Des geysers aux icebergs

Thingvellir, site classé à l'Unesco. © Sylvie Bresson et Getty IMagES

Toujours plus loin: alors que l’Islande fait désormais partie des destinations classiques, c’est le Groenland qui s’impose aujourd’hui pour un périple sortant de l’ordinaire. Dépaysement garanti.

Le choix de destinations de voyage vers le Sud méditerranéen se rétrécit depuis une bonne dizaine d’années, rendant le Nord d’autant plus populaire. Cela vaut plus encore pour les croisières. On débarque moins à Tunis et même plus du tout à Tripoli, mais on se rend toujours plus nombreux au Spitzberg, en Norvège. Dernière coqueluche en date: le Groenland, souvent combiné avec l’Islande. C’est le choix effectué par le croisiériste Rivages du Monde, avec des trajets aller et retour à bord du superbe World Explorer, navire qui emmène 180 passagers maximum. Trois croisières seulement par an, au mois d’août. Plus lointain et nécessitant des trajets plus longs, le Groenland accapare fort logiquement deux tiers du temps de croisière. Les trois jours consacrés à l’Islande suffisent toutefois à en admirer les sites les plus réputés puisque ceux-ci sont concentrés dans le Sud-Ouest. Non sans avoir au préalable consacré une après-midi à la visite de Reykjavik où, décalage horaire aidant, on arrive sur l’heure de midi avec un vol direct de Bruxelles.

Parc de Geysir et son fameux geyser.
Parc de Geysir et son fameux geyser.© Sylvie Bresson et Getty IMagES

Une longue journée est dédiée au fameux Cercle d’Or et à ses sites emblématiques: les impressionnantes chutes Gullfoss, le tout aussi couru parc de Geysir et son célèbre geyser, ainsi que la faille d’Almannagja, voisine du site sacré de Thingvellir (site Unesco). Ici, on marche littéralement entre l’Europe et l’Amérique! Arrivée à Isafjordur le lendemain d’où, entre autres choix, on peut mettre le cap sur l’île de Vigur. Celle-ci est réputée pour ses oiseaux marins, dont les agressives sternes arctiques et les macareux, chouchous des naturalistes. Bon à savoir: ces derniers repartent en haute mer dès la mi-août. Le World Explorer n’est pas seul à quai dans la petite ville: un autre croisiériste français le côtoie, tandis qu’un navire plus important, resté au large, débarque ses passagers américains par chaloupe. Le tourisme prend visiblement de l’ampleur à Isafjordur, point de départ de diverses excursions. Il se développe du reste dans l’ensemble de l’Islande, qui a passé le cap des deux millions de visiteurs par an, soit plus de cinq fois la population locale! Troisième journée islandaise: escale à Grundarfjordur, pour une excursion dans la péninsule de Snaefellsness, avant d’appareiller, en fin d’après-midi pour le Groenland.

“World explorer” permet au croisiériste français Rivages du Monde de taquiner son compatriote Ponant.© Sylvie Bresson et Getty IMagES

Timide présence humaine

Ce trajet de plus de 1.000 kilomètres prendra la nuit, la journée du lendemain et la nuit suivante. On est en haute mer et elle est agitée, d’où quelques défections au restaurant… Au matin du sixième jour, un premier iceberg annonce le Groenland. Pour arriver de l’autre côté, sur la côte ouest, le navire prend un raccourci: le passage du Prince Christian. Exactement comme on emprunte le détroit de Magellan pour passer de la côté est à la côte ouest de l’Amérique du Sud. Etroit au début, le passage est encaissé entre des parois abruptes d’où émergent de nombreux glaciers, débordements de la calotte glaciaire qui occupe tout le centre de l’île. On a compris qu’ici, la nature ne tolère l’homme qu’en certains endroits! Des paysages somptueux apparaissent quand le passage s’élargit, tandis qu’une présence humaine se révèle au travers de deux petits bateaux et d’un village inuit. Plus isolé que ça…

Ilulissat dans la baie de Disko,
Ilulissat dans la baie de Disko, “l’usine à icebergs de l’hémisphère Nord”.© Sylvie Bresson et Getty IMagES

Arrivée à Narsarsuaq le lendemain, village et aéroport créés en 1941. D’un intérêt fort limité… si l’on ne pouvait traverser la baie pour visiter Qassiarsuq. On y a reconstitué une chapelle et une habitation vikings, témoins du village ici fondé par Erik le Rouge, dont la statue trône sur une colline. L’explorateur a colonisé le Groenland et son fils passe pour avoir découvert l’Amérique vers l’an 1.000.

Après une nuit et une matinée de navigation, voici Nuuk, la capitale du Groenland. Cette petite ville en forte croissance frise les 20.000 habitants, d’où ces avenues au trafic dense. Dépaysement néanmoins garanti, y compris en raison d’une population essentiellement inuite. Après une visite au fort instructif musée national, une balade à travers la ville révèle un centre commercial à l’architecture intéressante, des restaurants et hôtels très modernes, sans oublier plusieurs boutiques vendant de l’artisanat inuit. Attention: pas sûr que cette défense de narval puisse entrer dans l’Union européenne, dont ce territoire danois ne fait pas partie.

Arrivée dans le Grand Nord

On ne se bouscule pas encore au Groenland, il s’en faut de beaucoup, mais la destination a le vent en poupe. Le sentiment est le même à Ilulissat, escale suivante, où plusieurs agences proposent des tours et randonnées. On se situe ici dans la baie de Disko (site Unesco), “l’usine à icebergs de l’hémisphère Nord”. Ce statut saute aux yeux: tandis que le World Explorer a mouillé au large de la ville, les zodiacs slaloment entre les blocs de glace pour entrer au port. Ilulissat est sans doute l’escale la plus spectaculaire de la croisière. Le ton est donné dès l’arrivée à l’ancien héliport, départ de la balade du matin. Des niches et des chiens partout, par centaines! L’un d’eux se met à hurler, rapidement suivi par les autres. Ce sont des chiens de traîneau, on l’a compris. Quel changement de décor! Après la très citadine capitale Nuuk, ici, on est clairement dans le Grand Nord. Soit près de 300 km au-delà du cercle polaire. La balade? Une descente sur caillebotis, avant de grimper sur une colline avec vue plongeante sur… non, ce n’est pas un glacier mais on le jurerait, tant les icebergs s’amoncellent dans ce fjord, bloqués par des hauts-fonds dans leur descente vers la mer. Un paysage impressionnant, plusieurs fois agrémenté par un craquement qui l’est tout autant. Le retour en ville se fait de préférence en effectuant une grande boucle dans les collines puis en longeant la mer. L’occasion d’admirer de près quelques icebergs de belle taille… Ceux-là mêmes qu’on approchera d’ailleurs l’après-midi, à bord des nombreux petits bateaux de pêche que Rivages du Monde a mobilisés pour emmener les passagers au large de la ville, dans l’espoir d’apercevoir les baleines qui croisent régulièrement dans les parages. On ne les verra pas longtemps mais elles sont de fait au rendez-vous!

Chutes gullfoss, un des perles du Cerle d'Or.
Chutes gullfoss, un des perles du Cerle d’Or.© Sylvie Bresson et Getty IMagES

Revenir de loin…

On pique un peu plus au nord encore le lendemain pour aller admirer le glacier Equip Sermia, qui se jette dans la mer au fond d’un fjord. Avec le vent qui se lève, l’approche en zodiac n’est toutefois pas jugée assez sûre et on se contentera, dans un endroit abrité, d’approcher quelques icebergs de tout près.

C’est au milieu de ces glaçons, bourguignons (nom donné aux plus petits icebergs) et icebergs géants que le World Explorer effectue sa navigation de retour vers le sud, de jour cette fois. Serait-il excessif d’affirmer que la croisière en vaudrait la peine rien que pour les heures passées dans un paysage aussi fascinant? Même si le surlendemain, la matinée du départ n’est pas moins pittoresque: trajet vers l’aéroport à bord d’un antique school bus canadien, sur une route cabossée tracée dans la steppe, après la traversée d’un bout de fjord qui s’envase. L’aéroport international de Kangerlussuaq accueille tant des appareils de la compagnie domestique Air Greenland que des avions militaires américains, à l’usage desquels il fut construit. Tout cela conforte le sentiment qu’on revient de loin, au sens propre…

En zodiac dans le fjord du glacier Equip Sermia.
En zodiac dans le fjord du glacier Equip Sermia.© Sylvie Bresson et Getty IMagES

En direct et en français

En affrétant le World Explorer, le croisiériste français Rivages du Monde vient assez clairement taquiner son compatriote Ponant, réputé luxueux, mais en visant des tarifs moins élevés. Construit en 2019, ce navire battant pavillon portugais est en effet moderne, haut de gamme et spacieux, tandis que la cuisine y est variée et joliment présentée.

Bien établi en Belgique suite au rachat d’All Ways, Rivages du Monde propose plusieurs croisières avec vol direct au départ de notre pays. Sous la conduite d’un directeur de croisière super-actif et omniprésent, l’encadrement ne souffre guère de critiques, à bord comme lors des excursions. Lesquelles sont très nombreuses et bénéficient presque toutes d’un guide parlant français. Un plus: équipé d’un drone, le cinéaste de bord réalise un film superbe (offert aux passagers) malgré un défaut très classique: des voix peu audibles par rapport à la musique. Le moins (à nos yeux): le World Explorer maintient la tradition des dîners de gala, mais à défaut de dress code imposé, le chic y côtoie le très relax, y compris parmi l’équipage…

En bateau, obligatoirement

Le grand intérêt pratique d’une croisière, c’est de découvrir des endroits différents sans changer de chambre d’hôtel, affirme-t-on à juste titre. Pour le Groenland comme pour quelques autres régions du monde, la Patagonie chilienne notamment, l’attrait monte d’un cran: il n’est possible de voir ces paysages et de visiter ces villes qu’en se déplaçant en bateau tout simplement parce qu’il n’y a pas de route. Ou plus précisément: elles n’existent qu’à un échelon très local. Bien que le réchauffement climatique lui fasse parfois perdre une dizaine de milliards de tonnes de glace en un seul jour d’été (! ), une épaisse calotte glaciaire recouvre toujours 81% du Groenland, tandis que ses montagnes s’étendent souvent jusqu’à la mer. Un réseau routier est donc impensable sur ce territoire, d’autant qu’il n’accueille que 56.600 personnes sur plus de deux millions de kilomètres carrés. A densité équivalente, la Belgique compterait… 801 habitants.

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