Copenhague, capitale gourmande

NYHAVN En bord de canal, le quartier rassemble parmi les meilleures adresses de la capitale. © GETTY IMAGES

Qui l’eût cru? En une quinzaine d’années et sous l’impulsion du Noma, sacré cinq fois meilleur restaurant du monde, la capitale danoise s’est imposée comme une destination incontournable pour les “foodies”.

Avec ses six millions d’habitants à peine, le Danemark est un pays de moyenne importance en Europe. Proportionnellement, son influence culturelle est pourtant considérable. Il suffit de mesurer l’impact global d’une marque comme Lego, qui séduit désormais quasi autant les adultes nostalgiques que les plus petits…

Mais le soft power danois passe aussi par le cinéma qui, ces 30 dernières années, a imposé de grands noms comme Lars Von Trier ou Thomas Vinterberg, ou par des séries télé avec des succès planétaires comme The Killing, Borgen ou The Bridge, ou encore par le design avec un géant comme Arne Jacobsen (1902-1971), dont les fauteuils Egg ou Swan restent indémodables.

ALCHEMIST Dans un ancien entrepôt de Refshaleøen, l'adresse propose une aventure sensorielle totalement inédite.
ALCHEMIST Dans un ancien entrepôt de Refshaleøen, l’adresse propose une aventure sensorielle totalement inédite.© PHOTOS H.H.

Leader de tendances

Depuis une bonne quinzaine d’années, la gastronomie fait également partie des produits d’appel du Danemark, et singulièrement de sa capitale Copenhague. Un intérêt qu’elle doit notamment à un certain René Redzepi dont le Noma a été élu régulièrement meilleur restaurant du monde depuis 2010. Mieux: en octobre 2021, non seulement le Noma retrouvait sa place en tête de l’influent Fifty Best mais, sur la deuxième marche, se trouvait un autre restaurant copenhaguois, le Geranium de Rasmus Kofoed.

Le fait que ce soit désormais du Nord que viennent les tendances culinaires ne doit rien au hasard. L’immense talent de Redzepi et autres chefs joue évidemment, mais il faut aussi compter avec le soutien des pouvoirs publics, et celui des médias. Ainsi, l’office de tourisme de Copenhague qui aide les journalistes internationaux à venir découvrir la ville et ses richesses en offrant des nuits d’hôtel, des cartes de transport en commun et autre location de vélo…

Après la période covid, l’heure est à la réouverture. Et pour le foodie, le voyage s’impose. Tous deux triplement étoilés au guide Michelin, le Noma et le Geranium valent à eux seuls le trajet ( lire les encadrés). Reste qu’un week-end ne suffit pas à découvrir l’ensemble de la scène culinaire, vibrante, de la capitale. Le succès international du Noma a en effet donné un coup de fouet à la haute gastronomie locale, avec des tables tout aussi courues et acclamées telles que Kadeau **, AOC**, Jordnær**, Kong Hans Kælder** ou encore Alchemist **.

SMØRREBRØDS Classiques ou réinventés, ces standards sont de toutes les bonnes tables: Barr.
SMØRREBRØDS Classiques ou réinventés, ces standards sont de toutes les bonnes tables: Barr.© PHOTO H.H.

Ce dernier est un véritable ovni. Installé à côté du très intéressant musée Copenhagen Contemporary, dans un ancien entrepôt de l’ex-quartier portuaire en plein boom de Refshaleøen, Alchemist propose une aventure sensorielle totalement inédite. A 30 ans, Rasmus Munk semble avoir pris le contrepied de la tendance nordique pour inscrire ses pas dans ceux de Ferran Adrià du temps d’elBulli. Déjà doublement étoilé, le jeune chef ne propose pas à ses hôtes un repas, mais une “expérience”. Et l’on ne parle donc pas ici de “plats”, mais de 50 “impressions”, mêlant musique, happening et une incroyable installation vidéo. La plus grande partie du repas se déroule sous un immense dôme où sont projetées des paysages visuels et sonores en rapport avec ce que l’on mange, pour aborder des thématiques comme la pollution des océans ou l’élevage des poules en batterie… L’expérience est totalement bluffante! Même si la cuisine en tant que telle est inégale, passant de propositions tout simplement géniales à des bouchées paraissant déjà vieillies par leur surjeu sur les textures… A noter, en outre: un ticket d’entrée très dissuasif: 510 euros jusqu’à 1.750 euros par personne, du moins si l’on veut aussi profiter de la sélection complète des boissons!

Les enfants de René

Ouvert depuis 20 ans, le Noma a vu passer dans ses cuisines des centaines de jeunes cuisiniers venus des quatre coins du monde, pour qui l’expérience aura été déterminante. Certains sont rentrés dans leur pays d’origine pour ouvrir leur propre restaurant, d’autres ont choisi de rester à Copenhague. Ce sont notamment ces “bébés Redzepi” qui apportent sa vitalité à la scène culinaire locale.

Ancienne cheffe pâtissière du Noma, Rosio Sanchez se propose ainsi, dans son bistrot Sanchez, de relire sa cuisine mexicaine natale de façon moderne. De son côté, l’Autrichien Philipp Inreiter a retenu de son passage chez Redzepi l’utilisation d’ingrédients uniquement locaux pour imaginer Slurp, cantine sans réservation qui sert parmi les meilleurs ramens du monde (hors Japon évidemment)! Quant à l’Irlandaise Louise Bannon, qui a également travaillé en pâtisserie au Noma, elle s’en est allée ouvrir sa Tir Bakery à la campagne avant d’inaugurer un comptoir à Copenhague. Elle y propose des pâtisseries de haut vol à base de farines fraîchement moulues à partir de céréales anciennes cultivées de façon durable.

SMØRREBRØDS Classiques ou réinventés, ces standards sont de toutes les bonnes tables: Told & Snaps.
SMØRREBRØDS Classiques ou réinventés, ces standards sont de toutes les bonnes tables: Told & Snaps.© PHOTO H.H.

Car le matin, on ne manquera pas de faire le tour des pâtisseries de Copenhague. Et pas seulement pour le traditionnel kanelbulle (roulé à la cannelle)… Parmi les immanquables, la Hart Bageri (ouverte par le Noma, encore lui, en collaboration avec Richard Hart, ancien boulanger du génial Tartine à San Francisco). Ou la formidable Lille Bakery installée depuis 2018 dans un ancien garage de Refshaleøen. Ou encore Andersen & Maillard, du côté de l’agréable cimetière Assistens, bel espace boisé où l’on peut découvrir les tombes d’Hans Christian Andersen, Niels Bohr ou Søren Kierkegaard.

SMØRREBRØDS Classiques ou réinventés, ces standards sont de toutes les bonnes tables: Selma.
SMØRREBRØDS Classiques ou réinventés, ces standards sont de toutes les bonnes tables: Selma.© PHOTO H.H.

C’est d’ailleurs Andersen & Maillard qui fournit le rugbrød (pain de seigle) au fantastique Selma. Sponsorisée par le brasseur itinérant Mikkeller (qui a lancé la mode des microbrasseries au Danemark avec d’excellentes bières signées par exemple Amager Bryghus ou Alefarm Brewing), l’adresse propose une parfaite mise à jour des smørrebrøds! Installé dans les anciens locaux du Noma, Barr relit lui aussi avec bonheur ce classique danois (et suédois). Garnies de hareng, de poisson fumé, de langue de veau, de tartare de boeuf, de bleu danois, etc., ces tartines variées sont incontournables à midi. Restée dans son jus quasiment depuis 1877, Schønnemann est l’une des plus anciennes tavernes de la ville, où touristes et Danois se régalent de ces smørrebrøds en version 100% classique, avec une pinte de bière ET un shot d’aquavit ou de schnaps. Même programme du côté de chez Told & Snaps, dans le quartier du Nyhavn…

Une gastronomie durable

Ce qui frappe aussi à Copenhague, c’est l’attention à la durabilité, que ce soit dans les transports publics, les hôtels et évidemment les restaurants. Là encore, avec son “locavorisme”, Redzepi a ouvert le chemin – il a d’ailleurs décroché, tout comme l’Alchemist, une étoile verte Michelin.

Ainsi, au très rock’n’roll Kødbyens Fiskebar, dans le quartier un peu excentré de Vestebro, on sert le meilleur de la pêche danoise: huîtres sauvages, moules ou homard du Limfjord, oeufs de lump des côtes danoises. Un Bib gourmand amplement mérité. Tout comme celui du Marv & Ben, petit bistrot proposant un menu court (ça change…) à base de produits locaux et inspiré de classiques danois, qui ravit la clientèle, essentiellement locale.

L’attention à la durabilité est telle que l’une des chaînes de hotdogs les plus populaires de cette ville qui en raffole autant que New York ou Berlin, est DØP. Soit “Den Økologiske Pølsemand”, la “saucisse bio”! Car oui, même en termes de street-food (on pense notamment aux excellents burgers de chez Gasoline Grill ou de Popl), Copenhague a de quoi séduire les foodies

Copenhague, capitale gourmande
© PHOTOS H.H.

Noma, toujours contemporain

En 2010, le Noma succédait à elBulli à la tête du classement World’s Fifty Best, marquant le passage de flambeau entre la cuisine ultra-technique (“moléculaire”, disait-on alors) développée par le Catalan Ferran Adrià et la cuisine nordique réinventée de René Redzepi. Lequel a su imposer, un peu partout dans le monde, son approche locavore, sa volonté de pureté des produits et sa passion pour la fermentation. Une décennie plus tard, la cuisine du Noma, qui a déménagé en 2018 tout à l’est de l’ancien quartier hippie de Christiania, dans un décor campagnard, n’a rien perdu de sa modernité, ni de sa pertinence. A la réouverture du restaurant après le confinement, en février, le menu Océan (390 euros, jusqu’au 21 mai) offrait un moment de pur bonheur. Celui-ci s’ouvrait par un ludique “Embrasser le crabe”. Soit deux carapaces de crustacés réunies en une flasque accueillant un puissant bouillon de crabe à l’huile de cèpe.

Composé d’une petite vingtaine de propositions s’enchaînant, avec un rythme impeccable, sur plus de trois heures, le repas laisse l’impression générale d’une immense maîtrise des saveurs. Mais aussi d’une forme de maturité pour le chef de 44 ans. Laquelle impressionne lorsque l’on reçoit, en guise de plat final, une “simple” langoustine (en provenance des viviers du Noma), dont chaque partie (corps, pinces, pattes et cervelle) a été travaillée différemment, avant de reformer le crustacé sur assiette, servi avec un beurre blanc au garum de moule (pour le côté fermenté) et un petit coing acidulé. Tout simplement magique!

Copenhague, capitale gourmande
© PHOTOS H.H.

Geranium, le challenger

Si le Michelin a récompensé Rasmus Kofoed de trois étoiles dès 2016 (René Redzepi aura dû attendre 2021…), force est de constater que son Geranium, installé au sommet du stade du FC Copenhague, n’a pas encore tout à fait la renommée internationale du Noma. Il n’en est pas moins déjà classé deuxième au Fifty Best et compte bien rafler la première place dès l’année prochaine. Le chef et ses investisseurs font d’ailleurs tout pour cela, notamment en invitant de nombreux journalistes du monde entier à découvrir le nouveau menu 2022.

A 47 ans, Kofoed affirme avoir largement repensé sa cuisine, d’inspiration classique française – il a gagné le prestigieux Bocuse d’or en 2011 après avoir été formé notamment en Belgique, au Scholteshof de Roger Souvereyns.

Après avoir imaginé durant la crise sanitaire Angelika, un pop-up végétalien, Kofoed a désormais banni la viande de sa cuisine. Sur trois bonnes heures, son menu (390 euros) propose une vingtaine de dégustations ultra-techniques d’un très grand raffinement. Ainsi, ces magnifiques ravioles de céleri-rave fermenté, algue, crème aigre et caviar. Ou ces pousses de chou-fleur frites, servies dans un jus de chou fermenté avec une vinaigrette à la truffe blanche. Grandiose!

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