Convergences des luttes

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T u ressembles à une juive, le dernier livre de la Française Cloé Korman diffère de ses précédents. Ce n’est pas vraiment un roman. Il n’est pas non plus classé parmi les essais du Seuil. Disons que c’est un plaidoyer, un coup de gueule et de poing dans la face de la complaisance et des complaisants. Ici, il est question de complaisance par rapport aux racismes. Et employons ce terme au pluriel, car ce que nous explique Cloé Korman à travers sa propre histoire, sa judéité, mais aussi à travers son expérience d’enseignante en banlieue, c’est qu’il n’y a pas de différence fondamentale entre antisémitisme et islamophobie, ” ces haines sont issues de la même structure de pensée “, nous dit-elle. Et il est grand temps selon elle de ” descendre dans l’arène du langage, de faire la généalogie des idées et de décrire le champ de force des propagandes qui sont à l’oeuvre dans la France d’aujourd’hui “.

Les crimes dont mes grands-parents ont été les témoins et les victimes se perpétuent à travers certains discours.

Une même matrice raciste

Cette généalogie, Cloé Korman s’emploie à la sortir de l’ombre dans un texte court, introspectif et percutant. Ecrit sans chapitre, à lire d’une traite, et à relire ensuite pour nourrir sa propre réflexion, Tu ressembles à une juive est le fruit d’une colère digérée, de sorte que l’autrice parvient à nous montrer ce que l’on ne voit pas, avec sensibilité et nuance. Comme Drancy, ce non-lieu de mémoire, symbole de la complicité de l’Etat français dans l’extermination des juifs et où s’entassent aujourd’hui des ” minorités dites visibles (…), noires et arabo-berbères ” dans des ” tours d’habitation les plus pauvres d’Ile-de-France “. Elle écrit : ” La coïncidence présente entre ce lieu de mémoire des crimes antisémites et les lieux de relégation de la France pauvre me plonge dans le malaise “. Et encore ces comparaisons qui nous mettent face à nos réalités : ” (…) hier le commerce triangulaire de l’Atlantique, (…) aujour-d’hui le tombeau de la Méditerranée où se noient ceux qui souhaiteraient un destin meilleur en Europe “.

Plus fort que la fiction

Cloé Korman parle de “trajectoire immobile” en banlieue, de ” l’ennui jusqu’à l’écoeurement “. Et il ne faudrait pas s’imaginer que ses constats ne seraient valables que pour le territoire français. En Belgique, une récente étude menée par la Banque nationale montre que ” l’ascenseur social est cassé pour les personnes issues de l’immigration”, qu’elles soient de la “première” ou “deuxième génération”. Si l’avenir est bouché, que reste-t-il ? La lutte, nous dit Cloé Korman : “La solidarité entre les luttes contre le racisme et contre l’antisémitisme, et mener ces combats de façon tolérante et pluraliste, en surmontant les divisions liées à nos origines sociales et culturelles”. Sinon, c’est une mort lente qui nous guette, “jusqu’à ce que la rose soit à la rose moins qu’une rose mais une rose de poussière, une rose d’épines, un fil barbelé de cauchemar”.

On le disait donc, Tu ressembles à une juive n’est pas un roman, contrairement à Les Hommes-couleurs (prix du Livre Inter, il avait remporté un grand succès en 2010), Les Saisons de Louveplaine (2013) ou Midi (2018). Tous encensés, ils ont fait de son autrice une plume à suivre de la littérature française contemporaine. Mais ce passage du roman vers un récit de l’ordre de l’essai marquera-t-il un ” aller simple ” dans sa production ? Peut-on revenir vers la fiction après avoir traité les racismes avec autant de sincérité et de justesse, en y mettant autant de soi ? Cloé Korman pourrait bien continuer de nous surprendre.

Cloé Korman, ” Tu ressembles à une juive “, Seuil, 108 pages, 12 euros.

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