Tourisme durable: Wildharrt, Railtrip.Travel, Hike Up, ces start-up belges qui réinventent le voyage écoresponsable
Une nouvelle génération d’acteurs touristiques redéfinit l’art du voyage en mettant l’accent sur des expériences locales, immersives et respectueuses de la nature. Entre défis environnementaux, labels de qualité et expansion internationale, ces entrepreneurs démontrent qu’innovation peut rimer avec sensibilité écologique.
L’aventure commence en bas de chez soi”, telle est la devise de Cédric Maillaert, cofondateur de Hike Up, une agence namuroise spécialisée dans l’accompagnement des professionnels du tourisme vers des pratiques plus responsables. L’essor actuel du tourisme durable en Belgique repose sur deux grandes tendances : le slow travel et les escapades d’aventure. Ces nouveaux modes d’évasion répondent à une quête de sens des voyageurs.
Depuis la pandémie, l’intérêt pour des expériences au cœur de la nature, tout comme pour les “microaventures” proches de la maison, ne cesse de croître. Des pionniers comme Europ’Aventure, actif depuis 1985 dans l’organisation de séjours de randonnée écoresponsables, ou Emotion Planet et son “tourisme à dimension humaine” ont tracé la voie. De nouveaux acteurs enrichissent l’offre existante.
Une approche authentique et durable
Lancée en 2022 sous le nom de DiscoveRent, la start-up bruxelloise Wildhartt a opéré récemment un repositionnement stratégique après avoir constaté que ses clients cherchaient plus qu’une simple location de matériel outdoor. “Nous avons pivoté vers une plateforme proposant des séjours d’aventure guidés, en Europe. Le changement de nom reflète mieux nos valeurs centrées sur l’exploration et la protection des espaces sauvages”, commente Marie Frère, cofondatrice de la start-up en compagnie de Maxime Mertens.
Wildhartt privilégie une approche locale et durable. Son offre est conçue pour minimiser l’impact environnemental en favorisant les déplacements en train, à vélo ou le covoiturage. Tout en collaborant avec des prestataires locaux engagés et les plus authentiques possible. En partenariat avec Greentripper, l’organisation belge spécialisée dans la compensation carbone des voyages, un éco-score est calculé pour chacun de ses séjours. “Cela renforce notre transparence envers nos clients. Et cela nous aide à identifier des moyens concrets de réduire notre empreinte écologique”, explique Marie Frère.
Depuis leurs débuts, les deux jeunes entrepreneurs de bientôt 28 ans ont fait s’évader plus de 1.700 personnes et visent les 5.000 voyageurs à l’horizon 2025, en passant de quatre à huit employés.
Belle croissance
Le duo passé par les auditoires de l’UCLouvain – elle a fait sciences éco et un master en entrepreneuriat, lui est ingénieur de gestion – s’est lancé sur fonds propres avant d’organiser un crowdfunding, en mai 2022, qui a permis de récolter 12.000 euros. Wildhartt connaît une belle croissance, démontrant qu’ambition et impact positif vont de pair. Son chiffre d’affaires est passé de 70.000 euros en 2022 à 168.000 en 2023, soit une progression impressionnante de 140 %.
Pour 2024, l’entreprise franchira un nouveau palier. “Nous faisons un super bon mois de décembre et prévoyons de terminer l’année avec 300.000 euros de CA, soit une croissance de 78,5 %”, annonce fièrement Marie Frère. La start-up, qui a été incubée au StartLab Bruxelles (ULB), vient de finaliser une levée de fonds de 350.000 euros, avec le soutien d’Elev8te, l’outil de financement pour étudiants-entrepreneurs développé par BeAngels, finance&invest.brussels ainsi que quelques investisseurs particuliers (Nicolas Steisel d’Exki, Maxence Lacroix de Javry Coffee). Enfin, un prêt bancaire de 100.000 euros grâce à l’innovation.hub de BNBParibas a permis de clôturer le tour de table.
Secteur très concurrentiel
Wildhartt navigue dans un secteur concurrentiel. “Notre singularité réside dans la protection des espaces sauvages et les voyages guidés, avec des locaux qui connaissent intimement leurs régions. Cela nous distingue d’autres agences plus généralistes”, vante la fondatrice de Wildhartt.
La jeune pousse a comme objectif d’élargir son marché à la France, aux Pays-Bas et à la Flandre, tout en consolidant sa plateforme digitale pour offrir un accès direct à des guides locaux. “En plus de notre expansion géographique et technologique, nous souhaitons lancer de nouvelles gammes d’escapades dans les Balkans et en Écosse, annonce Marie Frère. Pour les personnes en quête d’une expérience plus exceptionnelle, nous venons d’inaugurer une nouvelle destination : la Laponie en train, qui rencontre déjà un grand succès en cette fin d’année.”
Des aventures 100% en train
La start-up connaît une forte hausse des demandes de voyage en train. L’écosystème du tourisme durable belge étant bien interconnecté, l’agence collabore avec Railtrip.Travel. Cette dernière se profile, depuis 2020, comme la première agence de voyages belge à proposer une vingtaine d’itinéraires réalisables à 100% en train à travers l’Europe. Cofondatrice de Railtrip.Travel avec Fabian Pirard, Estelle Nicolay nous explique sa philosophie. “Nous voulons réduire l’empreinte carbone des voyageurs qui frappent à notre porte tout en évitant les destinations saturées. Chaque itinéraire est conçu pour offrir une expérience unique et respectueuse des lieux visités.”
L’effet direct le plus important vanté par Railtrip.Travel est la réduction drastique des émissions de CO2 associées à leur catalogue. “En moyenne, le transport représente 70% à 90% de l’impact CO2 d’un tel périple. Pour un itinéraire de 12 jours en Slovénie, en choisissant de prendre l’avion et de louer une voiture sur place, le coût en CO2 est de 813 kg/personne. En optant pour le train, il est réduit à 202 kg/personne”, illustre Estelle Nicolay. L’agence, dans un premier temps uniquement en ligne, a ouvert au printemps une antenne à Namur, composée de huit personnes. Elle connaît également une forte croissance, ayant doublé son chiffre d’affaires durant deux années consécutives et visant désormais une augmentation annuelle de 50%.
Son offre séduit au-delà de nos frontières. “Cinquante pour cent de nos clients sont originaires de France. Cela peut paraître étonnant pour un si grand territoire, mais il n’existe pas d’agence française comme la nôtre”, commente l’une des deux personnes derrière Railtrip.Travel.
Le coût du voyage
Cédric Maillaert, également professeur de tourisme durable à l’Ephec, analyse ces nouvelles tendances: “Des acteurs comme Wildhartt ou Railtril.Travel jouent un rôle clé en intégrant des outils comme les ‘éco-scores’ et les bilans carbone. Ils permettent de répondre à une demande croissante pour des voyages plus respectueux de la planète.”
Ce type d’escapades n’est toutefois pas accessible à toutes les bourses. “Les clients de Wildharrt ont généralement entre 30 et 55 ans, possèdent un certain pouvoir d’achat et une vraie conscience écologique. Ils cherchent à se déconnecter des écrans, à se reconnecter à la nature”, détaille Marie Frère.
Nos clients ont généralement entre 30 et 55 ans, possèdent un certain pouvoir d’achat et une vraie conscience écologique.
Marie Frère
Cofondatrice de Wildharrt.
Chez Railtril.Travel, les voyageurs ont généralement aussi un pouvoir d’achat plus élevé. “Notre offre ‘tout compris’ a un certain coût, concède sa dirigeante Estelle Nicolay. Nous attirons des familles et des couples de 55 ans et plus, qui veulent prendre le temps de voyager autrement. En revanche, les jeunes backpackers préfèrent souvent s’inspirer de nos itinéraires pour organiser leurs propres périples. Et c’est très bien ainsi, car notre mission est avant tout d’encourager les gens à voyager en train.”
Le poids du “revenge travel”
Cédric Maillaert pointe aussi les nombreuses contradictions du secteur. “Beaucoup de personnes souhaitent voyager de manière responsable, mais la surconsommation de voyages low cost et des séjours all in reste bien présente. On observe une véritable explosion des voyages à vélo et à pied, mais d’un autre côté, il n’y a jamais eu autant de personnes qui prennent l’avion !”
Car, entre préserver l’environnement et s’en tenir à son souhait de départ d’évasion parfois lointaine, la seconde option l’emporte souvent, si l’on en croit une étude réalisée par Expedia. Une enquête de Booking.com datant de 2024 abonde dans ce sens : 45% des voyageurs estiment que voyager durablement est important, mais 28% des sondés jugent que leur temps de vacances est trop précieux pour faire de la durabilité une priorité. Surtout que le revenge travel post-pandémie, a toujours la cote.
“Le constat va au-delà du ‘tourisme de revanche’. Des personnes qui font attention le reste de l’année, s’autorisent tous les excès en vacances et n’ont plus aucune considération écologique”, regrette le représentant de Hike Up.
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Régulation et labels
Ces nouveaux agents doivent pouvoir proposer des offres véritablement durables, d’où l’importance des labels pour guider le choix des voyageurs. L’un des plus grands défis étant d’éviter le greenwashing. “De nombreux acteurs affichent une posture écologique sans engagement réel. Pour s’assurer de la durabilité d’une offre, il est important de se tourner vers des labels fiables, comme Green Key pour les logements, Green Globe ou l’écolabel européen Travel Life, ainsi que le label CERTA Green, préconise Cédric Maillaert. Certaines agences belges détiennent déjà ces certifications. Cela démontre leur véritable engagement et leur conformité avec des standards écologiques reconnus”.
Pour s’assurer de la durabilité d’une offre, il est important de se tourner vers des labels fiables.
Cédric Maillaert
CEO de Hike UP
Chez Railtrip.Travel, ces appellations ont leur importance, mais ne doivent pas être considérées comme le Graal. “Ces labels, qui demandent souvent beaucoup de temps et d’argent pour une entreprise comme la nôtre, peuvent parfois virer au greenwashing, explique sa responsable. Nous ne les considérons pas comme un critère déterminant. Nous préférons vérifier directement que nos partenaires partagent nos valeurs de durabilité.”
Un secteur en pleine mue
“Les territoires doivent aussi faire leur mue pour mieux gérer les ressources et limiter les tensions entre touristes et habitants, avance Cédric Maillaert, le fondateur de Hike Up. Il y a de nombreuses réflexions en cours à ce sujet. Notamment sur la manière de repenser les modes de quantification et de qualification des vacances et des bassins touristiques. Pour les territoires, on parle souvent de nuitées ou d’impact économique en termes de retombées financières. Mais, il est également crucial d’introduire d’autres indicateurs. Ceux-ci permettent de mesurer la préservation de la nature et d’autres aspects non économiques. Ces données sont essentielles pour une vision plus globale et durable du tourisme.”
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