Yves Delacollette: “Les régulateurs bancaires freinent l’émergence d’une saine concurrence”

Sebastien Buron
Sebastien Buron Journaliste Trends-Tendances

L’ex-banquier, qui a travaillé entre autres pour le Crédit Lyonnais et la Deutsche Bank, est aujourd’hui médiateur et juge au Tribunal de l’entreprise du Brabant wallon. Il nous livre ici son avis sur le mécontentement généralisé des clients vis-à-vis de leur banque.  

TRENDS-TENDANCES. Les clients sont-ils vraiment mécontents de leur banque ?

YVES DELACOLLETTE. Après avoir quitté Deutsche Bank et le monde de la banque, j’ai développé un cabinet spécialisé dans la résolution de conflits. Je peux vous assurer que j’interviens régulièrement dans le secteur financier. Je suis souvent sollicité pour trouver une solution à des négociations délicates entre les banques et leurs clients. Que ce soit dans le retail ou dans le corporate banking, le mécontentement à l’égard des banques n’a jamais été aussi élevé.

– D’où vient le malaise, selon vous ?

Les intérêts du management des banques et de leurs actionnaires s’éloignent toujours autant de la satisfaction du client que par le passé. Mais une autre couche est venue s’ajouter à cette idéologie ultra-libérale de maximisation du profit: une composante régulatoire forte visant à retarder l’intervention de l’Etat en cas de faillite d’une banque, comme ce fut le cas en 2008 avec Fortis et Dexia. Les régulateurs font tout pour que le secteur puisse accumuler suffisamment de bénéfices et disposer de solides réserves en vue d’éviter de nouvelles catastrophes.

– Jusqu’à freiner le concurrence ?

Le cas de NewB est révélateur à ce propos. Les régulateurs n’ont pas voulu d’une nouvelle banque dont la performance et la rentabilité, certes marginales, auraient pu peser sur les acteurs qu’ils protègent. On lui a donc mis des bâtons dans les roues avec des conditions telles qu’elles étaient impossibles à remplir. Résultat, le paysage bancaire est aujourd’hui aussi triste qu’un paysage de campagne anglaise: les taux sont partout les mêmes, la communication est idiote, les offres ne sont absolument pas différenciées, etc.

Yves Delacollette
Yves Delacollette © pg

– Les clients ont donc raison de se plaindre ?

Bien sûr, d’abord parce que l’émergence d’une saine concurrence est freinée. Ensuite parce que l’agence bancaire n’est plus indispensable au profit. Le client est devenu son propre gestionnaire de compte. Le héros qu’était le guichetier et qui trouvait une solution à vos problèmes est aujourd’hui devenu introuvable de par l’évolution digitale. Cela dit, en se fâchant sur les banques, les clients se trompent en partie de cible. Ils ne voient pas le rôle ambigu joué par l’Etat et le monde politique. Si les banques sont mal vues aujourd’hui, c’est aussi en partie à cause d’eux. D’un côté, on empêche la concurrence par excès de précaution, et de l’autre on fait du bank-bashing pour plaire au citoyen.

– C’est la schizophrénie de l’Etat ?

Tapez sur les banques, il en restera toujours bien quelque-chose, surtout à quelques mois des élections. Il faut pourtant se souvenir que l’Etat est actionnaire de la première banque du pays (BNP Paribas Fortis, Ndlr) mais aussi de la troisième principale banque du pays qu’il contrôle à 100% (Belfius, Ndlr). En plus, les banques prélèvent beaucoup de taxes et d’impôts pour le compte des caisses publiques… qui crient d’ailleurs famine. Par manque de moyens, l’Etat a aussi délégué aux banques pas mal de tâches en matière de contrôle des clients et de lutte contre le blanchiment.”

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