Votre banque, dommage collatéral de Trump 2.0?

Trump compte bien faire tout ce qu’il peut pour voir les États-Unis rester la première machine à cash du monde.
Sebastien Buron
Sebastien Buron Journaliste Trends-Tendances

Choc fiscal, dérégulation, protectionnisme… Les banques européens craignent de faire les frais du retour de Donald Trump à la Maison Blanche, contrairement à leurs concurrents américains qui se frottent les mains. Explications.

S’il y a bien un secteur qui devrait profiter de la réélection de Donald Trump à la tête des États-Unis, c’est celui des banques qui battent pavillon américain. Via une politique axée sur l’assouplissement réglementaire, des baisses d’impôts pour les entreprises et une vision protectionniste du commerce international, le futur locataire de la Maison Blanche compte bien faire tout ce qu’il peut pour voir les USA rester la première machine à cash du monde. Et de ce fait renforcer encore un peu plus la position concurrentielle de ses déjà très puissants établissements bancaires.

La preuve ? De Citi à JP Morgan en passant par Bank of America et Goldman Sachs, les grands mastodontes américains n’ont pas attendu longtemps pour être à la fête. Dès l’annonce de la victoire du milliardaire en novembre dernier, ils ont fait des étincelles en Bourse. Et pas uniquement parce que cette victoire sans appel du prochain président écartait tout risque de tensions politiques à court terme. Non, comme l’explique l’économiste Bernard Keppenne, le retour de Donald Trump aux affaires ouvre la voie à plusieurs éléments très positifs pour les banques made in USA.

“La baisse annoncée des impôts des sociétés va encourager l’activité économique et soutenir la croissance avec un effet positif pour les banques américaines. On peut y ajouter la baisse des impôts sur les pourboires, les prestations de sécurité sociale et la rémunération des heures supplémentaires, tout cela devrait améliorer les salaires et dès lors l’épargne des ménages. Le tout au bénéfice des valeurs boursières américaines, ce qui devrait là aussi profiter aux banques via les commissions”, analyse l’expert de la banque CBC.

Phase de dérégulation

Si elles devraient donc profiter de la baisse des impôts comme toutes les entreprises qu’elles financent, les grandes banques états-uniennes entrevoient aussi une nouvelle ère de dérégulation qui se profile à l’horizon. Ardent défenseur du laisser-faire en la matière, Donald Trump avait déjà détricoté lors de son premier mandat une partie des règles votées par l’administration Obama dans le sillage de la faillite de Lehman Brothers. La supervision avait alors été recentrée sur les plus grandes banques et offert davantage de liberté aux banques régionales qui abondent aux États-Unis. Un laxisme qui, comme on le sait, a conduit à la mini-crise de mars 2023 déclenchée par la chute de la Silicon Valley Bank.

“La déréglementation est une bonne chose, mais elle n’est pas sans risque lorsque les taux d’intérêt s’inversent soudainement”, souligne Erik Joly, économiste chez ABN Amro, qui rappelle que “seule une intervention décisive de la Fed avait pu à l’époque empêcher la contagion de l’ensemble du système bancaire et éviter un risque systémique”.

Pour corriger le tir, la Fed comptait aussi imposer dans la foulée un cadre plus exigeant au secteur à l’occasion de la transposition aux États-Unis des dernières normes du Comité de Bâle, l’instance internationale qui élabore les exigences en capital du secteur. Mais l’intense lobbying des banquiers américains a conduit la Fed à revoir sa copie cet été. Les JP Morgan et autres Bank of America peuvent même espérer l’abandon complet du projet sous le second mandat de Donald Trump.

“Après l’annonce en septembre par la Réserve fédérale d’une réduction des exigences de Bâle en matière de fonds propres pour les banques américaines, ces mêmes règles de Bâle pourraient être encore réduites, voire supprimées, sous la nouvelle administration”, précise Erik Joly, pour qui les grandes banques américaines sont les plus susceptibles d’être positivement impactées par cette phase de déréglementation attendue sous une seconde administration Trump.

Les banquiers européens ont peur de ne pas pouvoir lutter à armes égales face à leurs concurrents américains. © Getty Images

Avantage compétitif

En clair, JP Morgan et compagnie pourraient prochainement bénéficier d’un cadre nettement plus favorable pour investir ou faire crédit. Et donc, asseoir encore un peu plus leur domination sur la planète finance. Pourquoi ? Parce que permettre aux géants bancaires américains d’immobiliser moins de capitaux propres pour se prémunir contre les prêts douteux, cela revient à doper leur avantage compétitif face aux banques de la zone euro. Des banques européennes (BNP Paribas, Belfius, etc.) dont la capacité à octroyer des prêts aux ménages et aux entreprises risque par contre de souffrir.

De fait, “les banques européennes risquent d’être pénalisées par une application stricte des nouvelles règles de Bâle alors que cela sera moins le cas aux États-Unis, affirme Bernard Keppenne. Avec comme conséquence une exigence en capital plus élevée en Europe qu’aux États-Unis par rapport aux risques de marché.”

“Les banques européennes risquent d’être pénalisées par une application stricte des nouvelles règles de Bâle alors que cela sera moins le cas aux États-Unis.” – Bernard Keppenne (CBC)

Comme le sous-entend l’expert de CBC, la perspective ne réjouit guère les banquiers européens qui craignent de plus en plus de ne pas pouvoir lutter à armes égales face à leurs concurrents américains. Certains d’entre eux n’ont d’ailleurs pas hésité à monter au créneau pour faire part de leur inquiétude face à ce scénario qui s’annonce défavorable aux banques de la zone euro, et demander aux régulateurs de se montrer plus souples.

Interrogé par Les Échos, Nicolas Namias, le président de BPCE (Banque populaire et Caisse d’épargne), deuxième groupe bancaire de France, est intervenu publiquement dans la presse pour souligner les risques que fait peser l’élection de Trump sur les secteurs bancaires français et européen. Il faudra “collectivement être vigilants à l’égard de la réglementation des deux côtés de l’Atlantique” et que “l’Europe ne soit pas naïve”, a-t-il ainsi prévenu dans une interview au journal français.

Le chaînon manquant

Bien que dans un registre un peu différent, la présidente de la BCE, Christine Lagarde, semble sur cette ligne. Dernièrement, elle a tiré la sonnette d’alarme pour accélérer les réflexions et les propositions visant à créer un véritable marché européen des capitaux, ce dernier constituant selon elle “le chaînon manquant” qui devrait permettre aux Européens de “transformer leur épargne importante en davantage de richesse”, alors que “le déclin de la position de l’Europe en matière d’innovation est devenu plus évident”.

Un marché unique des capitaux est effectivement fondamental pour réindustrialiser l’Europe, abonde Bernard Keppenne. “C’est pour cette raison que Mario Draghi insiste tellement sur ce point dans son rapport, souligne l’économiste de CBC. Il est indispensable pour financer les entreprises européennes et pour essayer de réduire le flux des capitaux européens qui actuellement va vers les valeurs boursières américaines. Pour restaurer la compétitivité en Europe, il faudra des moyens énormes qui passeront en partie par l’émission d’obligations de la part de la Commission – si les pays se mettent d’accord évidemment – qui aurait tout intérêt à avoir alors un marché unique des capitaux pour attirer l’épargne des Européens”.

Mariages bancaires

Car l’achèvement du marché des capitaux, et la souveraineté financière du Vieux Continent qui l’accompagne, est aussi lié à la question d’une consolidation du secteur, souvent évoquée par la BCE ces dernières années. Selon l’institution de Francfort, il nous faut absolument créer de véritables champions européens pour pouvoir rivaliser, à l’image du récent rachat du pôle gestion d’actifs d’Axa par BNP Paribas pour 5 milliards d’euros. En réalité, la gardienne de l’euro a toujours estimé qu’il fallait des groupes bancaires plus grands, tout en souhaitant un bon équilibre pour éviter de se retrouver avec des banques qui pourraient représenter des risques systémiques pour l’ensemble du secteur financier.

“Le second semestre 2025 risque d’être dramatique pour l’économie européenne.” – Erik Joly (ABN Amro)

“Un marché unique des capitaux aurait tout intérêt à avoir des acteurs européens de plus grande taille pour pouvoir porter les projets d’investissements en accompagnant les secteurs public et privé, prolonge Bernard Keppenne. De plus, des banques de plus grande taille pourraient soutenir des opérations de fusion, des introductions en Bourse dans des secteurs comme le digital, les énergies renouvelables, l’IA, etc. pour faire naître des groupes européens capables de rivaliser avec les sociétés américaines et chinoises.”

En attendant, c’est surtout le ralentissement de la croissance en Europe qui touchera l’économie européenne et ses banques de plein fouet (moins de crédits, risque de faillites, sociétés qui migrent aux États-Unis). “Avec l’introduction des droits de douane promise par Trump, les exportations européennes seront directement affectées, juge Erik Joly. Peut-être que l’introduction de ces droits de douane aux États-Unis sera progressive et qu’il y aura une marge de négociation. Mais le second semestre 2025 risque d’être dramatique pour l’économie européenne. La question est de savoir dans quelle mesure les entreprises européennes seront capables de rembourser leurs emprunts, c’est une vraie préoccupation pour les banques de la zone euro”, conclut l’économiste d’ABN Amro. 

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