Vos gains en bitcoin sont-ils taxables ?
Pour l’administration fiscale, les investissements en cryptomonnaies ont toutes les caractéristiques d’un placement spéculatif soumis à taxation. Mais en l’absence de cadre légal spécifiquement dédié aux monnaies virtuelles, il reste une marge d’interprétation.
C’est la question qui fait trembler tous les gagnants du bitcoin : les plus-values qu’ils ont réalisées grâce à leurs investissements en cryptomonnaies seront-elles taxées ? Une récente publication du Service des décisions anticipées (SDA), chargé des rulings au SPF Finances, semble l’indiquer : ” Les investissements en monnaie virtuelle possèdent généralement un caractère spéculatif “, pointe le SDA. Par conséquent, ” les revenus provenant de ces investissements constituent des revenus divers ” et sont donc taxés à un taux de 33 %. ” Il faut y ajouter les additionnels communaux, ce qui amène le taux de taxation aux alentours de 35 % “, précise Valérie-Anne de Brauwere, avocate fiscaliste et associée chez Thales.
Cette prise de position du SDA fait suite à une décision datant de décembre dernier. Un étudiant avait alors saisi l’administration fiscale afin de déterminer la qualification à apporter aux revenus qu’il avait générés sur ses investissements en cryptomonnaies. Selon le service du ruling, ces revenus ne sont pas ” professionnels “, l’activité de l’étudiant étant qualifiée de ” hobby “. Par contre, ses investissements sont considérés comme ” spéculatifs “, et donc assimilés à des revenus divers, taxables à 33 %.
Une taxation plus lourde…
Peut-on en déduire de cet épisode que toute plus-value réalisée en cryptomonnaie sera d’office taxée à un taux de 33 % ? Pas forcément. ” Comme il n’y a pas de législation spécifique en Belgique concernant ces investissements, le fisc a carte blanche pour édicter ses propres règles “, explique l’avocat Thierry Lauwers. Il y a donc un certain flou qui règne, contrairement à d’autres pays, où les choses sont plus claires. ” En France, la plus-value en cryptomonnaies est taxée à l’impôt des personnes physiques, au taux maximum. A l’autre extrémité, en Suisse, la plus-value n’est pas du tout taxée “, précise Thierry Lauwers.
Du coup, la taxation belge pourrait finalement s’avérer… supérieure à 33 %. Si l’investisseur est un pro du bitcoin, ses revenus ne seront pas ” divers ” mais bien ” professionnels “. Il se retrouve alors dans le droit commun des revenus découlant d’une activité déclarée : ” Dans ce cas, la taxation peut même aller au-delà de 50 % “, souligne l’avocat Thierry Lauwers, associé chez Lauwers & Seutin.
Cela dit, cette qualification reste encore théorique à l’heure actuelle. Le commerce de bitcoins n’est pas une activité reconnue. Le secteur des cryptomonnaies est encore une zone grise, où même les plus aguerris des traders n’officient pas en tant que professionnels, ni en leur nom propre, ni au nom d’une quelconque entreprise. Du moins en Belgique, où la commercialisation de produits financiers dont les rendements dépendent de monnaies virtuelles est interdite par un règlement émis en 2014 par la FSMA, le gendarme financier.
… ou plus légère ?
D’un autre côté, la taxation pourrait être plus légère que le taux de 33 % appliqué aux revenus divers. Le flou qui règne sur la question permet aux fiscalistes d’envisager une série d’échappatoires possibles : ” Avec la baisse du taux d’impôt des sociétés (jusqu’à 20 %), une personne qui est en société peut avoir intérêt à déclarer ses revenus dans le cadre de sa société. Quelqu’un qui a des activités à l’étranger pourrait aussi déclarer ses plus-values en monnaies virtuelles dans un pays où la fiscalité est plus avantageuse “, détaille Thierry Lauwers.
Le secteur des cryptomonnaies est encore une zone grise, où même les plus aguerris des traders n’officient pas en tant que professionnels.
La taxation en Belgique pourrait même être égale à… zéro si l’investisseur parvient à démontrer à l’administration fiscale que son placement n’est pas spéculatif mais reste dans les limites de la gestion d’un patrimoine en bon père de famille. Le fisc dit bien que les investissements en cryptomonnaies ont ” généralement ” un caractère spéculatif. Ce qui laisse la porte entrouverte.
Mais comment définir la spéculation ? ” C’est une transaction très risquée, via laquelle un investisseur a une chance de faire de grands bénéfices ou de grandes pertes “, nous explique le SPF Finances. Pour en savoir plus, il faut se référer aux circonstances de fait. ” C’est du cas par cas “, assure l’avocat Thierry Lauwers. L’étudiant qui a sollicité le SDA avait développé une application visant à acheter et vendre de manière automatique des monnaies virtuelles. ” Dans ce cas précis, le caractère spéculatif est lié au développement de cette application, qui vise à faire des plus-values rapides “, poursuit le spécialiste.
Bon père de famille
Le cas de l’étudiant et de son logiciel de trading n’est qu’un exemple parmi d’autres : ” L’importance et la répétition des opérations, un laps de temps court entre l’achat et la vente, ou encore l’importance du gain, sont des critères qui permettent de déduire l’intention spéculative “, explique Alain Vanderstraeten, avocat fiscaliste chez Van Cutsem, Wittamer, Marnef & partners.
A contrario, un investisseur qui achète du bitcoin et le conserve pendant longtemps avant de le vendre pourrait être considéré comme un bon père de famille qui cherche simplement à diversifier son patrimoine sans jouer sur la spéculation à court terme. ” Il n’y a pas une différence énorme entre l’achat d’un bitcoin, d’une action, d’une montre de luxe, une oeuvre d’art ou d’une devise étrangère. Chacun gère son patrimoine privé comme il l’entend en prenant soin de pondérer les risques “, complète Alain Vanderstraeten.
Valérie-Anne de Brauwere (cabinet Thales) a justement conseillé un client qui a investi dans le bitcoin et réalisé des gains quelques années plus tard. Selon l’avocate, il s’agit d’une gestion ” normale ” d’un patrimoine personnel qui exclut toute idée spéculative : ” C’est un client assez visionnaire, qui a investi dans le bitcoin il y a très longtemps “, pointe-t-elle. Les circonstances seraient différentes s’il avait investi mi-2017 pour revendre quelques mois plus tard, quand le cours du bitcoin a atteint des sommets. Quel délai devrait-on raisonnablement fixer entre l’achat et la revente pour que l’investissement puisse être vu comme celui d’un bon père de famille ? ” En dessous d’un an, le risque que l’investissement soit considéré comme spéculatif est élevé “, avance Valérie-Anne de Brauwere.
Autre critère qui peut être pris en compte dans l’évaluation du caractère spéculatif : le montant investi dans les monnaies virtuelles, par rapport au patrimoine de l’investisseur. S’il place la moitié de sa fortune dans le bitcoin, il risque fort d’être catalogué comme spéculateur. Même chose s’il contracte un emprunt dans le seul but d’acquérir des cryptomonnaies. ” L’usage ou non de ces devises virtuelles peut également intervenir complète Valérie-Anne de Brauwere. Si l’investisseur utilise ses bitcoins pour acheter des biens ou des services, il démontre que ce n’est pas simplement un instrument spéculatif. ” A l’heure actuelle, l’usage du bitcoin comme monnaie d’échange reste cependant relativement anecdotique, ce qui peut rendre cette démonstration complexe.
Quand la plus-value est-elle taxable ?
La plupart des avocats que nous avons contactés considèrent que la plus-value n’est taxable qu’au moment de la conversion des devises virtuelles en devises ” classiques ” (euros, dollars ou autres). Pour calculer la plus-value, il suffit de comparer le montant (en euros) utilisé pour acheter des bitcoins avec le montant retiré (en euros) au moment de la revente.
Mais entre ces deux opérations, l’investisseur peut avoir échangé ses bitcoins contre d’autres devises virtuelles (environ 1.500 cryptomonnaies sont disponibles sur le marché). Exemple fictif : M. Nakamoto achète 1 BTC (bitcoin), qu’il convertit ensuite en ETH (ether). Quelque temps plus tard, il revend ses ETH, à un meilleur taux, contre 2 BTC. Dans l’opération, M. Nakamoto a gagné 1 BTC. ” C’est une plus-value, qui pourrait donc être taxée “, avance Valérie-Anne de Brauwere.
La difficulté sera d’évaluer le montant en euros de la plus-value réalisée. Inutile, en effet, d’inscrire dans sa déclaration fiscale des revenus en monnaies virtuelles : le fisc n’accepte que les euros. Il faudrait donc déterminer le taux de change des différentes devises virtuelles échangées, par rapport à l’euro, au moment de chaque transaction, pour calculer le montant de la plus-value. Un vrai casse-tête, étant donné que chaque plateforme fixe son propre taux de change.
Hors du radar du fisc ?
Autre difficulté pour le fisc : repérer les plus-values réalisées par les investisseurs en monnaies virtuelles. A l’heure actuelle, ces investissements restent encore relativement discrets et échappent souvent au radar du fisc. Mais cela pourrait changer. D’après le quotidien De Standaard, quatre dossiers liés à des gains en cryptomonnaies ont été ouverts auprès de l’Inspection spéciale des impôts (Isi).
” Le fisc s’intéresse de plus en plus aux cryptomonnaies. C’est normal : partout où il y a de l’argent, l’administration fiscale vient voir ce qui se passe. Pour les monnaies virtuelles, on n’en est encore qu’au tout début “, confirme Thierry Lauwers, associé chez Lauwers & Seutin. Cet avocat s’est spécialisé dans les dossiers fiscaux relatifs aux monnaies virtuelles. Chaque jour, depuis un an, il reçoit de nouveaux dossiers.
Pêche interdite
Restent les investisseurs qui ne comptent pas déclarer leurs gains. Le fisc a-t-il les moyens de les identifier ? Aux Etats-Unis, l’IRS a obtenu les dossiers des 13.000 plus gros investisseurs en bitcoin présents sur la plateforme d’échange de monnaies virtuelles Coinbase. Ce type de procédé, qualifié de fishing expedition ne serait sans doute pas envisageable en Belgique : ” Le fisc ne peut pas aller à la pêche pour obtenir ce genre d’informations “, observe Valérie-Anne De Brauwere. Suivant une récente décision du tribunal de première instance d’Anvers, l’administration fiscale ne peut pas exiger d’une société de paiement (type Visa) qu’elle lui fournisse un relevé complet des transactions de tous ses clients sur une période déterminée. Cette jurisprudence pourrait être étendue aux plateformes d’échange de monnaies virtuelles.
Par contre, l’administration fiscale peut faire des demandes individuelles, sur base d’indices de fraude ou de blanchiment, par exemple. Avec cette difficulté supplémentaire : toutes les plateformes d’échange sont domiciliées à l’étranger, ce qui implique une collaboration avec l’administration fiscale des pays concernés.
Si elles y sont contraintes, les plateformes fourniront donc les informations nécessaires. Et elles y sont tout à fait préparées. Pour montrer patte blanche et pour se conformer aux règles anti-blanchiment, les plateformes les plus sérieuses exigent des investisseurs en bitcoin toute une série d’informations permettant de vérifier leur identité : copie recto-verso de la carte d’identité, photo, facture de gaz pour certifier l’adresse du domicile, etc.
Le rôle des banques
Une banque pourrait-elle prendre les devants et ” dénoncer ” son propre client qui toucherait des gains sur ses investissements en cryptomonnaies ? La plupart des banques sont très frileuses par rapport à ces actifs numériques méconnus qui traînent une réputation sulfureuse. Certains investisseurs, avec lesquels nous sommes entrés en contact, se sont fait bloquer leur compte en banque suite à des retraits effectués sur des plateformes d’échange en cryptomonnaies.
Nous avons interrogé Belfius sur le sujet. ” Belfius n’applique pas de politique qui empêcherait les clients d’investir en cryptomonnaies “, nous répond la banque. Mais elle prévient : ” Nous sommes bien conscients du risque potentiel de fraude lié à ces instruments. C’est pourquoi la banque est encore plus vigilante quand ses clients effectuent ce type d’opérations. Cette vigilance accrue implique notamment des contrôles supplémentaires sur la provenance des fonds. Si la banque a des présomptions de fraude, elle entreprend les actions nécessaires, qui peuvent notamment impliquer un signalement à la CTIF ( cellule anti-blanchiment, Ndlr) ou une rupture de la relation client. ”
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