Un sommet anti-corruption à Londres… loin des îles britanniques pas très claires

Îles Vierges britanniques. © iStockphoto

Le Royaume-Uni accueille jeudi un sommet anti-corruption alors même que certains de ses territoires outre-mer sont dans le collimateur pour leur trop grande bienveillance vis-à-vis de capitaux à la provenance pas toujours claire…

Ces territoires “sont tous des agents de la City, d’où est contrôlé l’ensemble du système”, souligne Richard Murphy, professeur à la City University de Londres.

Sept de ces 14 territoires outre-mer sont qualifiés de “paradis fiscaux” par l’organisation non gouvernementale (ONG) Tax Justice Network (Réseau pour la justice fiscale) – Anguilla, les Bermudes, les Îles Vierges britanniques, les îles Caïmans, Gibraltar, Montserrat et les îles Turques-et-Caïques.

Selon un classement réalisé par l’ONG, les îles Caïmans se situent au 5ème rang mondial en matière d’opacité financière, et le Royaume-Uni au 15ème. Mais si le Royaume-Uni et ses dépendances étaient enregistrés comme une seule entité, ils se situeraient à la première place, ajoute-t-elle.

Autrefois décrits par un ministre britannique comme “des places au soleil pour des gens de l’ombre”, certains de ces territoires ont commencé à assainir leurs affaires au cours des dernières années. Ils ont signé des accords pour partager des informations financières avec d’autres autorités et ont récemment promis de permettre aux autorités judiciaires et fiscales britanniques un accès complet aux informations sur l’identité des propriétaires de compagnies présentes sur leurs sols

Insuffisant, estiment toutefois les acteurs de la lutte anticorruption qui souhaitent que ces informations soient accessibles au grand public également.

Petit portrait de trois de ces havres:

Les Îles Vierges britanniques

Le scandale des “Panama Papers” a révélé que sur les 210.000 comptes gérés par le cabinet panaméen d’avocats Mossack Fontesa plus de la moitié (113.000) étaient domiciliés dans cet archipel de 60 îlots.

Il y a quarante ans, les îles Vierges britanniques étaient un territoire agricole pauvre. Aujourd’hui, l’archipel de quelque 30.000 habitants figure parmi les cinq plus grands investisseurs en Russie et en Chine, selon un rapport de l’OCDE de 2014.

Tax Justice Network affirme que ces îles abritent le plus grand nombre de sociétés enregistrées au monde, avec 479.000 en 2015, des coquilles vides.

Un autre chiffre, de la Commission des Nations unies pour le commerce et le développement (Cnuced), révèle que l’archipel a reçu 56,5 milliards de dollars d’investissements directs en 2014 quand les sorties d’investissements directs ont représenté dans le même temps 54,3 milliards.

Les îles Caïmans

Autrefois lieu de villégiature privilégié des trafiquants de drogue de tous bords qui venaient y dissimuler leur argent, le territoire de quelque 250 kilomètres carrés est devenu le sixième centre bancaire mondial, selon Tax Justice Network.

Ses actifs bancaires s’élèvent à 1.400 milliards de dollars en 2014; il accueille 200 banques, compte plus de 95.000 sociétés enregistrées et est de loin le premier domicile élu par les fonds d’investissements.

Avec une population de quelque 55.000 personnes, les îles Caïman occupent la cinquième place du classement mondial en matière d’opacité financière de l’ONG (Financial Secrecy Index), après la 3ème place en 2013.

Les Bermudes

Plus de 15.000 sociétés internationales sont enregistrées dans cet archipel situé au large des Etats-Unis, selon un rapport de 2012 du ministère britannique des Affaires étrangères.

L’archipel , devenu britannique en 1707, ce qui en fait le plus ancien territoire outre-mer du Royaume-Uni, accueille les filiales de 75% des 100 plus riches entreprises américaines (Fortune 100) et leurs équivalents européens, selon le rapport.

Un mois après les “Panama Papers”

Le Premier ministre britannique David Cameron accueille donc dès jeudi des dirigeants du monde entier avec pour objectif de lancer une offensive internationale contre la corruption, à peine plus d’un mois après les révélations des “Panama Papers” sur l’évasion fiscale.

Le sommet réunira des représentants d’une quarantaine de pays, et notamment de ceux fortement touchés par la corruption, tels que le président afghan Ashraf Ghani, ou son homologue nigérian Muhammadu Buhari.

Ont également été invités le secrétaire d’Etat américain John Kerry, la directrice générale du FMI Christine Lagarde, le président de la Banque mondiale Jim Yong Kim ou encore le président de l’ONG anti-corruption Transparency International, José Ugaz.

A Londres, M. Cameron ambitionne de faire signer aux dirigeants présents “la toute première déclaration mondiale contre la corruption”, a indiqué l’exécutif britannique.

Ce texte incitera les signataires “à travailler ensemble” mais également à “reconnaître que la corruption sape les efforts menés pour lutter contre la pauvreté, promouvoir la prospérité et combattre le terrorisme et l’extrémisme”.

Les signataires devront également “traquer la corruption où qu’elle se trouve, poursuivre et sanctionner les personnes qui la commettent, la facilitent ou en sont complices”.

“La bataille contre la corruption ne se gagnera pas du jour au lendemain. Cela prendra du temps, du courage et de la détermination”, a déclaré M. Cameron, dans un communiqué. “Ensemble, nous mettrons la lutte contre la corruption là où elle doit être: au sommet de l’agenda international”.

Reste à voir si le sommet remplira les objectifs visés, alors que, selon le Times, la déclaration finale a déjà été édulcorée à la demande de certains pays, et même expurgée d’un passage qui excluait toute “impunité pour les corrompus”.

Moscou, qui dépêchera sur place le vice-ministre des Affaires étrangères Oleg Syromolotov, a d’ailleurs exprimé sa réticence quant à tout caractère obligatoire d’un futur accord.

Mais pour Robert Barrington, responsable de la branche britannique de Transparency International, David Cameron “ne doit pas céder” aux pressions des uns et des autres. “Le Premier ministre a créé une plateforme pour les gouvernements déterminés à combattre la corruption, et c’est maintenant aux autres de montrer qu’ils partagent cette ambition”, a-t-il dit.

Londres, la blanchisseuse

Dans une lettre publiée lundi par Oxfam, 300 économistes de 30 pays, dont Thomas Piketty et Angus Deaton, prix Nobel d’économie, appellent aussi à mettre fin aux paradis fiscaux, qui “privent les États de recettes fiscales et contraignent les pays pauvres à payer le prix fort”.

Ce sommet international intervient un peu plus d’un mois après les révélations des “Panama Papers”, qui ont provoqué l’ouverture de nombreuses enquêtes dans le monde et conduit le Premier ministre islandais et un ministre espagnol à la démission.

Les quelque 11,5 millions de documents du cabinet panaméen d’avocats Mossack Fonseca dévoilés par un consortium de journalistes montrent l’utilisation à grande échelle de sociétés offshore permettant de placer des actifs dans des territoires opaques et à très faible fiscalité.

David Cameron lui-même a été éclaboussé par le scandale, et dû avouer, lors d’une séquence particulièrement pénible pour son image, avoir détenu des parts dans la société offshore de son père Ian, décédé en 2010.

Décidé à montrer l’exemple, le dirigeant conservateur pourrait annoncer jeudi un train de mesures destiné à faire le ménage dans son propre pays en s’attaquant en premier lieu au marché immobilier londonien, devenu, selon Transparency International, une machine à laver l’argent sale d’une redoutable efficacité.

David Cameron est aussi sous pression pour rendre les territoires d’outre-mer britanniques plus vertueux: sur les 210.000 entreprises représentées par le cabinet Mossack Fonseca, plus de la moitié (113.000) sont domiciliées dans les îles Vierges britanniques, considérées comme un paradis fiscal.

Certes, le Royaume-Uni ouvrira le mois prochain un registre permettant de connaître, par-delà d’éventuelles sociétés-écrans, l’identité des propriétaires effectifs des entreprises implantées dans le pays, une première parmi les pays du G20 et dans l’Union européenne.

Mais les organisations anti-corruption veulent que Londres élargisse ce dispositif aux dépendances de la Couronne (îles Caïmans et Vierges, Bermudes, Jersey…).

“Si vous voulez vous présenter comme un chef de file, il faut d’abord nettoyer devant votre porte”, a souligné John Christensen, un responsable du collectif d’ONG spécialisé dans la justice fiscale Tax Justice Network.

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