Steven Vanackere, Vice-gouverneur de la BNB : “en heures travaillées, la Belgique fait aussi bien que les Pays-Bas”
Rien n’est encore joué, « mais si le prochain gouvernement ne parvient pas à mettre en œuvre les réformes nécessaires, ce pays aura un problème”, prévient Steven Vanackere, qui donne ici sa première grande interview depuis le début de son mandat à la Banque nationale.
C’est la première fois depuis sa nomination comme directeur à la Banque nationale en 2019 que Steven Vanackere donne une grande interview. Cet ancien ministre des finances de 59 ans préfère la discrétion. Cet homme que ses proches qualifient volontiers de studieux et de bourreau de travail a été nommé vice-gouverneur en 2021 et a vu ses fonctions évoluer après le départ de Jean Hilgers. Il supervise aujourd’hui, entre autres, tout ce qui concerne le secteur financier.
Les banques ont vu près de 22 milliards d’euros d’épargne affluer vers le bon d’État. Doivent-elles s’en prendre à elle-même?
STEVEN VANACKERE : ” La Belgique est un pays à forte capacité d’épargne. D’autres pays nous l’envient. Pour les banques, cette épargne est une source stable de financement, mais il existe un contrat non écrit selon lequel l’épargnant doit bénéficier d’un rendement équitable en retour. Alors oui, je pense que l’on peut blâmer les banquiers”. Je pense que le bon d’État a changé la donne en retirant des liquidités du marché et que les banquiers ont retenu la leçon. C’est un bon stress test, le secteur est suffisamment solide. Je voudrais d’ailleurs dédramatiser l’effet du bon d’État. Ce n’est pas parce qu’une banque frappe à la porte de la BCE qu’elle a un problème. La semaine dernière, 30 institutions financières ont demandé 7 milliards de liquidités à la BCE. C’est tout à fait normal. Par contre il aurait été encore plus utile d’émettre un bon d’État à trois ou cinq ans. Parce que donner son argent pour un an alors que les risques sont limités, c’est assez facile. C’est se fiancer sans se marier.
Les banques affirment qu’elles ne peuvent pas augmenter les taux d’épargne plus rapidement parce qu’elles disposent d’un portefeuille de prêts historiques encore constitué à des taux d’intérêt peu élevés.
“Je reconnais que leurs arguments sont en partie corrects. La Belgique est un pays où 90 % des prêts hypothécaires sont accordés à un taux d’intérêt fixe. C’est un luxe pour les emprunteurs. En Finlande, par exemple, c’est le contraire. Là-bas, les familles doivent attendre la décision de la BCE pour estimer le montant qu’elles devront consacrer au remboursement de leur maison le mois suivant”.
Pourquoi la Banque Nationale vient-elle d’activer le coussin de fonds propres contracyclique, obligeant ainsi les banques à détenir davantage de capital ?
“Il faut considérer ce coussin comme un dépôt de sécurité. Il est constitué en période de prospérité pour être libéré en période difficile. Les provisions des banques ont atteint les niveaux d’avant la pandémie, mais de nombreux risques subsistent. Il suffit de penser au taux d’inoccupation dans l’immobilier commercial, aux marchés boursiers potentiellement surévalués, aux prix élevés des logements et à nos biens trop énergivores. En outre, il existe des tendances sous-jacentes, telles que la Chine qui s’améliore de plus en plus dans le secteur de l’automobile, ce qui a pour effet d’affaiblir les constructeurs automobiles allemands. Nous ne sommes pas un État allemand, mais notre économie est très dépendante de celle de l’Allemagne. Il n’y a pas de place pour l’autosatisfaction. C’est le bon moment pour se constituer une tirelire.
Si l’on peut se féliciter d’être performant en temps de crise, le revers de la médaille est que nous le sommes moins en période de prospérité. La succession de crises nous donne donc la fausse impression que l’économie belge se porte bien. Par exemple, en Belgique, il n’y a pas de marge pour des augmentations de salaires réels dans les années à venir. Et ce handicap salarial temporaire pourrait avoir des conséquences structurelles s’il éloigne les investisseurs étrangers.
La combinaison d’un déficit budgétaire, d’une dette publique élevée et de l’augmentation du coût du vieillissement constitue-t-elle une menace pour ce pays ?
“À court terme, il ne faut pas paniquer. La dette publique a été financée à long terme par l’Agence de la dette. Cela permet aux responsables politiques de prendre des mesures qui ne porteront leurs fruits que dans quelques années. Si nous visons de manière crédible un déficit budgétaire qui reste durablement inférieur à 3 %, cela se traduit par une légère baisse du taux d’endettement et il n’y a là pas de quoi trop stresser pour les finances publiques. Rien n’est donc encore joué. Mais si un prochain gouvernement ne parvient pas à mettre en œuvre les réformes nécessaires, nous serons dans le collimateur des marchés financiers ou de la Commission européenne et ce pays aura un problème.
Pour citer Herman Van Rompuy: nous avançons le dos au mur et le nez au-dessus de l’abîme. À cet égard, la Belgique est l’Europe en miniature. Nous avons la capacité de prendre des mesures lorsque c’est vraiment nécessaire. C’est pourquoi il est important que le débat public des prochains mois, à l’approche des élections de 2024, s’oriente vers ce qui est vraiment important au lieu de se préoccuper des faits divers. En Belgique, il n’y a souvent plus de place pour des discussions approfondies. Les médias ont abandonné ce format. La qualité du débat social est moins bonne dans notre pays que dans d’autres démocraties, ce qui n’est pas toujours à l’avantage des hommes politiques les plus sérieux. J’ai l’impression que rien ne doit être trop compliqué.
L’augmentation du taux d’emploi devrait ainsi être au cœur des inquiétudes…
“Je ne veux pas gâcher la fête, mais tous les experts et institutions sont d’accord : le taux d’emploi n’atteindra pas 80 % en 2030. Le Bureau du Plan, par exemple, le situe à 74 % en 2028. Avec cette réserve : une personne qui ne travaille que quelques heures par semaine participe aussi au marché du travail. Nous ne prêtons pas assez attention à ce point. Nous envions aux Pays-Bas leur taux d’emploi élevé, mais nous oublions qu’une grande partie de la population n’y travaille pas à temps plein. Si l’on considère le nombre total d’heures travaillées, la Belgique fait aussi bien que les Pays-Bas. Cependant, nous avons l’habitude, pour ne pas dire l’obsession, de considérer qu’un emploi est un emploi à temps plein. Nous mettons la pression sur un groupe limité jusqu’à ce qu’il s’épuise, alors qu’aux Pays-Bas, la charge de travail est répartie sur une plus grande partie de la population. Il en va de même pour les pays scandinaves. En termes de bien-être au travail et d’équilibre entre vie et travail, ce sont des pistes que nous devons également explorer davantage.”
En tant que vice-président du Conseil supérieur de l’emploi, vous avez proposé comme solution possible le travail à temps partiel, éventuellement combiné à des allocations partielles. Quelles ont été les réactions ?
“Les syndicats regardent le travail à temps partiel avec méfiance, comme s’il ne s’agissait pas d’un véritable emploi. Et les employeurs affirment que le travail à temps partiel est plus difficile à organiser. Mais pour certaines catégories d’inactifs, comme les plus de 60 ans, les éternels étudiants ou certaines femmes au foyer un emploi à temps partiel est en effet une solution possible. Il s’agit d’une possibilité d’entrée viable, plutôt que de leur proposer le choix suivant : un emploi à temps plein ou rien”.
Que faut-il faire pour donner aux femmes plus d’opportunités sur le marché du travail ?
“Il s’agit de choix éducatifs et de stéréotypes. Mais la réponse se trouve aussi en dehors du marché du travail. Les hommes devraient enfin s’investir davantage dans le ménage. La participation des femmes au marché du travail s’est nettement améliorée, mais il y a encore des progrès à faire. Cela tient à une répartition équitable des tâches ménagères ainsi qu’à la disponibilité des services de garde d’enfants. On ne soulignera jamais assez l’importance d’une bonne garde d’enfants, en particulier pour les groupes très vulnérables comme les parents isolés, principalement les mères. Il leur est pratiquement impossible de combiner emploi et garde d’enfants.
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