Quand Belfius se fait taper sur les doigts par le gendarme des marchés, décodage d’un étrange rappel à l’ordre
La banque est lourdement sanctionnée pour avoir commercialisé un produit d’épargne sans le feu vert des autorités de contrôle. Décodage d’un rappel à l’ordre à la fois sévère et bizarre.
La FSMA, le gendarme des marchés financiers, a osé : elle réclame un million d’euros à la banque Belfius pour avoir commercialisé au printemps 2023 des bons caisse sans validation au préalable du mode d’emploi qui accompagne un tel produit d’épargne. Mais en plus de cette amende en monnaie sonnante et trébuchante, Belfius devra également renforcer son comité de direction en procédant à l’engagement d’un “nouveau membre doté d’une solide formation juridique”. La banque s’engage enfin aussi à mettre en place, dès le 1er janvier 2025, un comité exécutif qui accompagnera et conseillera le management dans la mise en œuvre de sa stratégie et de sa politique.
Le rappel à l’ordre est sévère. Et pour cause : ce n’est pas la première fois que Belfius se fait taper sur les doigts par notre gendarme des marchés. En 2021, le bancassureur avait déjà dû s’acquitter d’une amende de 300.000 euros pour des infractions comparables, à savoir la non-approbation préalable de la FSMA d’une campagne publicitaire pour des fonds maison. Cette fois, le gendarme belge des marchés réclame donc un million d’euros à la banque. Un montant inhabituel qui s’explique par le profil de Belfius qui est une banque importante, par le fait que plusieurs infractions sont constatées et surtout parce que la principale intéressée est une récidiviste.
Une vraie claque
Pour les distraits, on rappellera que cette réprimande infligée à Belfius fait entièrement partie de la mission de la FSMA, chargée de la protection des consommateurs de produits et services financiers. Ses pouvoirs lui permettent de vérifier et contrôler les marchés et donc de faire en sorte que la législation, qui est assez complexe, soit respectée. Mais il est assez bizarre de voir l’autorité de contrôle s’intéresser à la gouvernance et aux dispositifs de contrôle interne d’une banque de premier plan comme Belfius. On peut parler de vraie claque. Une vraie claque que la FSMA justifie par des “lacunes dans l’organisation de Belfius, ainsi qu’un manque de réflexes juridiques et de culture du risque au sein de certains de ses départements”, indique l’autorité de contrôle dans un communiqué détaillant la sanction à l’égard de Belfius.
“Le rôle de la FSMA est effectivement de sanctionner des infractions à la loi ou au règlement sur les prospectus, analyse Jean-Pierre Buyle, avocat spécialisé en droit bancaire (Monard Law) et ancien bâtonnier de Bruxelles. Mais il est exceptionnel de voir le régulateur conditionner la conclusion d’un accord transactionnel à l’obligation pour la banque poursuivie de prendre des mesures organisationnelles de plusieurs de ses lignes d’activités pour éviter que des défaillances similaires se reproduisent à l’avenir.”
Selon Jean-Pierre Buyle, le fait que la banque soit une récidiviste en la matière n’est pas étranger à cette forme d’ingérence. L’avocat rappelle néanmoins qu’un règlement transactionnel n’équivaut pas à un mea culpa. “L’avantage d’un tel règlement, dit-il, est de permettre de construire une solution alternative de règlement de conflit plus appropriée.” En l’occurrence, outre les mesures prises au niveau du comité de direction, la banque a aussi décidé de renforcer la présence de juristes seniors au niveau de ses deux grandes business lines (Private, Business & Retail et Wealth, Enterprises & Public), mais aussi au sein du département marketing de ces business lines et de la salle des marchés (département financial markets, ndlr).
Ancien banquier, Bruno Colmant parle lui aussi d’une contribution utile. “Certes, la sanction de la FSMA comporte un aspect punitif et correctif associé à une amende. Mais, dit-il, je crois qu’il faut voir les choses différemment : les pouvoirs de la FSMA ont été significativement étendus depuis 2008, année où l’épargne des Belges a été mise en péril, notamment à cause d’une information déficiente des clients bancaires. Or le rôle de la FSMA est de protéger le consommateur de services financiers. Son action vise donc à sécuriser globalement les banques, parfois contre elles-mêmes, pour assurer un système bancaire fiable.”
La revanche des juristes
Si cette amende représente peut-être pour Belfius une opportunité de renforcer ses dispositifs de contrôle interne, c’est certainement une belle revanche pour les juristes. Le dossier témoigne en effet d’une tendance de fond à l’œuvre depuis plusieurs années dans le secteur financier, et bancaire en particulier. Une tendance qui a trait à la place – pour ne pas dire pouvoir – grandissante prise par les compliances officers dans le monde bancaire. Des compliance officers dont le job est d’analyser et de faire respecter l’ensemble des textes réglementaires auxquels une banque doit se conformer. Pour faire simple, on dira que ce sont en quelque sorte les gardiens de l’orthodoxie. Dans certaines institutions financières, leur nombre est devenu bien souvent supérieur aux juristes d’entreprise et aux conseillers juridiques. Les réglementations se sont multipliées ces dernières années et continuent de déferler. De plus en plus nombreuses, ces nouvelles règles (AML, tax fraud prevention, investor protection, data protection, consumer protection, business ethics, etc.) sont aussi de plus en plus strictes et de plus en plus complexes. Les obligations ne manquent pas. Et les effectifs des départements juridiques, chargés notamment de la compliance, c’est-à-dire de la mise en conformité, ne cessent de croître.
L’autorité de contrôle des marchés financiers justifie son blâme en raison de “lacunes dans l’organisation de Belfius.
Alors, ne savait-on pas chez Belfius que la dispense de prospectus tombe à partir du moment où les souscriptions dépassent le seuil de 75 millions d’euros ? N’est-on pas en droit d’attendre d’une banque d’État qu’elle soit plus rigoureuse que les autres ? En quoi tout cela va-t-il lui éviter d’autres manquements ? “Le débat est en tout cas recadré”, avance Jean-Pierre Buyle. “Le rôle des juristes est clairement mis en avant, en les intégrant au plus haut niveau de la banque. Comme juriste, je ne peux que m’en réjouir”, se félicite l’avocat qui ajoute : “Peut-être d’ailleurs que le règlement d’ordre intérieur du comité de direction de certains établissements de crédit devrait être revu quant au fonctionnement de cet organe. L’organe légal d’administration des banques devrait en tous les cas évaluer l’aptitude des dirigeants des comités de direction au regard de leurs réflexes juridiques.”
En agissant de la sorte, la FSMA se mêle néanmoins des compétences et va sur le territoire de la Banque nationale. C’est elle qui est responsable du contrôle prudentiel des banques et pas la FSMA. “Normalement, dans la répartition des compétences, c’est la BNB qui vérifie que les structures organisationnelles et opérationnelles soient appropriées dans les établissements de crédit, poursuit Jean-Pierre Buyle. En ce sens, elle s’assure de la solidité, de la diligence et de la cohérence de la culture du risque juridique de la banque ainsi que de la qualité de sa gouvernance, selon l’avocat. Il n’est d’ailleurs pas exclu de penser que le traitement de ce dossier rebondisse par la suite lors de l’évaluation a posteriori par la BNB de l’efficacité de la nouvelle organisation mise en œuvre, selon l’avocat. Oui, mais “la FSMA ne remet pas en cause les compétences de Belfius, elle exige une représentation managériale différente”, note cependant Bruno Colmant pour qui la FSMA dispose bel et bien de compétences lui permettant d’exiger que chaque banque dispose d’une organisation adéquate.
De plus en plus régulé
Quoi qu’il en soit, l’affaire est révélatrice de l’importance qu’a prise la conformité réglementaire dans le secteur bancaire. “Depuis les crises bancaires successives, le droit bancaire est surréglementé, on le sait. Les autorités européennes qui ont créé l’Union bancaire n’y sont pas étrangères, relève Jean-Pierre Buyle. La confiance des consommateurs et de certains investisseurs dans le monde de la finance s’est altérée. On l’a encore vu dans les conclusions des enquêtes parlementaires sur la faillite d’Optima et sur les Panama Papers. L’assujettissement, en 2025, de plus de la moitié des banquiers à un serment et au respect de différentes normes individuelles contraignantes et sanctionnées est un autre témoin de cette surréglementation.”
“On ne vend pas un compte d’épargne comme de la lessive.”
Bruno Colmant
économiste
Est-ce là le prix à payer pour protéger correctement les consommateurs bancaires ? En tout cas, “cette protection exige une information très complète des épargnants, et c’est d’ailleurs une tendance mondiale, observe Bruno Colmant. C’est aussi la contrepartie du fait que l’État garantit les dépôts jusqu’à 100.000 euros. Il est vrai que ces exigences d’informations sont lourdes, mais elles sont d’autant plus nécessaires que le marketing bancaire s’est fortement développé à la suite de la hausse des taux d’intérêt, à la concurrence avec le bon d’État, et à la concurrence que les banques se livrent entre elles. On ne vend pas un compte d’épargne comme de la lessive : on parle d’épargne publique, qui provient du travail des citoyens, et qui exige donc la transparence la plus complète.”
Peut-être, mais ce corset réglementaire n’entrave-t-il pas la marche des affaires ? Pire encore, le banquier peut-il encore exercer son métier dans un monde bancaire de plus en plus régulé ? “C’est plus difficile, reconnaît Bruno Colmant, encore que je ne pense pas que l’activité bancaire soit altérée. Mais il faut savoir ce que l’on veut : il y a 16 ans, tout le système bancaire a failli s’effondrer et seul l’État l’a sauvé. Il est donc normal que l’État exige le respect de règles transparentes. Vous savez, j’étais expert lors du procès d’épargnants contre Citibank. Je me souviens de cette salle remplie d’épargnants ordinaires, rassemblés par centaines et représentés par des dizaines d’avocats. Ce jour-là, j’ai compris que la banque touche à la réalité, pas seulement aux hautes sphères spéculatives”, conclut Bruno Colmant.
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