Les seniors, ces nouveaux exclus bancaires
Si la digitalisation des banques facilite la vie des clients à l’aise avec le numérique, elle se fait toutefois au détriment des clients les plus âgés, dont beaucoup peinent à maîtriser ces nouvelles habitudes bancaires.
Faire un virement, consulter son compte, bloquer sa carte, enregistrer un ordre permanent, ouvrir un compte d’épargne, simuler un prêt hypothécaire… Aujourd’hui, presque n’importe quelle opération bancaire peut être réalisée en ligne, sans la moindre intervention humaine. Merci le digital! Les banques poursuivent à marche forcée leurs investissements dans les nouvelles technologies. Dans un monde toujours plus connecté, l’hyper-digitalisation devient la norme.
Selon une enquête menée au printemps dernier par le bureau d’études iVOX pour le compte de la fédération bancaire belge (Febelfin), un quart des Belges déclarent en effet utiliser de plus en plus les services bancaires à distance. Cette utilisation croissante des applications bancaires et du PC pour effectuer des opérations bancaires se traduit par une augmentation continue du nombre d’utilisateurs. La barre des 15 millions d’abonnements a ainsi été franchie l’an dernier pour les services bancaires via PC. Ces derniers sont désormais utilisés par 89% de la population belge.
A cela s’ajoute bien évidemment l’essor des applications mobiles dont l’usage se généralise aussi. Leur utilisation a encore fortement augmenté ces deux dernières années, pour passer de 71% en 2020 à pas moins de 82% en 2022, au point de “prendre tout doucement le pas sur les services bancaires via PC”, se réjouit Febelfin.
Fracture numérique
Mais attention, comme dans toute médaille, il y a un revers à cette hyper-digitalisation. Si la numérisation des services bancaires séduit de plus en plus de Belges, elle ne fait cependant pas que des heureux. De nombreux clients peinent à maîtriser les outils nécessaires à cette transition qui s’est accélérée à la faveur de la pandémie. Les personnes les plus concernées? Celles et ceux qui ont un faible niveau de revenus ou de diplôme, ainsi que les seniors.
“Chez les plus âgés, internet est tout simplement arrivé trop tard dans leur vie quel que soit l’usage qu’on peut en faire, indique Anne Fily, chercheuse en inclusion financière au sein de l’ASBL Financité qui milite pour une finance responsable et solidaire. Ils n’ont pas tous trouvé un intérêt à s’y mettre. Certains ont aussi essayé et ont abandonné. Ceux qui utilisaient déjà internet, par exemple dans un cadre professionnel, ont continué à s’en servir.”
“Les plus âgés sont plus touchés par la disparition des agences car beaucoup préfèrent le contact humain.”
Selon la dernière enquête sur l’usage des nouvelles technologies réalisée par Statbel, l’office national de statistique, 22% des 65-74 ans n’ont pas utilisé la banque en ligne en 2022, ce qui représente pas moins de 429.000 personnes. Force est de constater que la situation est encore pire pour les plus de 75 ans. Selon une étude de Digital Wallonia datant de 2019, 73% de cette catégorie d’âge n’utilisaient pas la banque en ligne.
Si on applique ce taux à l’ensemble du pays pour cette tranche de la population, près de 800.000 personnes âgées de plus de 75 ans n’utilisent pas la banque en ligne. Au total, plus d’un million de seniors n’auraient donc pas recours à la banque numérique, ce qui n’est pas rien. Chez Belfius par exemple, le taux de pénétration de l’appli mobile (qui totalise 1,9 million d’utilisateurs) s’élève à seulement 35% auprès des plus de 65 ans alors qu’il atteint presque 90% pour les jeunes âgés entre 18 et 24 ans.
Difficultés multiples
Si beaucoup de ces seniors rencontrent des difficultés avec les canaux digitaux des banques, c’est notamment en raison de la forte diminution du nombre d’agences dont font l’objet les grands réseaux (BNP Paribas Fortis, Belfius, KBC-CBC et ING) afin de réduire les coûts.
“Les plus âgés sont effectivement touchés par la disparition des agences car beaucoup préfèrent avoir un contact humain, acquiesce Anne Fily. Ils se plaignent aussi de l’impossibilité de contacter leur agence bancaire par téléphone et d’être renvoyés vers un call center avec de multiples sélections à faire, voire de devoir dialoguer avec un chatbot. Ils regrettent aussi souvent la disparition des appareils dans les espaces de self-banking qui permettaient de faire des virements et d’imprimer autant d’extraits de compte que nécessaire. S’ils n’utilisent pas la banque digitale, la seule solution est un relevé mensuel unique envoyé par la poste et payant. Mais ne pas utiliser la banque en ligne coûte plus cher: les virements papier sont payants en plus du forfait mensuel ou annuel. Idem pour les extraits de compte.”
Bien sûr, des neurones moins jeunes ont un impact sur la capacité à s’adapter à un environnement nouveau. Dans le cadre de travaux de réflexion sur la commercialisation de produits financiers auprès des personnes âgées, les autorités de contrôle du secteur financier en France précisent que “pour les plus anciens, la diminution de leur force, de la vitesse d’exécution, de la motricité fine et de la coordination œil-main peut se traduire par une difficulté à manipuler des commandes et de petits objets: boutons d’un téléphone à clavier, d’un guichet automatique ou d’un clavier de payement, etc.”
Par ailleurs, outre ces difficultés induites par le vieillissement, n’oublions pas le facteur “peur” lié au risque de fraude (phishing). “Les banques appliquent en effet une définition très large du concept de négligence grave de la part du client en cas d’accident. Il n’y a pas de doute que cette pratique n’encourage pas les clients encore réticents à passer à la banque en ligne”, regrette Anne Fily.
Inclusion digitale
Alors, les banques sont-elles conscientes du problème? A priori, oui. Pour améliorer l’accessibilité, Febelfin a mis en place des séances d’information à la banque digitale avec le réseau des Espaces publics numériques (EPN) de Wallonie. Même effort d’éducation chez BNP Paribas Fortis qui organise, par exemple, des Digital Ateliers destinés aux clients et clientes qui ne maîtrisent pas les technologies numériques. Dans un autre registre, KBC a lancé cette année un service à domicile Belmobiel, via lequel un employé de la banque se rend chez le client afin de l’aider en cas de besoin. Etc.
“Mais il n’y a pas de remise en cause de la banque digitale, estime Anne Fily. L’objectif est d’essayer de convaincre tout le monde de s’y mettre. Chez Financité, nous considérons pourtant qu’il est essentiel de maintenir deux canaux d’accès aux services bancaires afin de ne laisser personne de côté. Bien sûr, il faut faire la différence entre les banques. Certaines maintiennent un service de proximité: CPH, vdk bank, bpost banque. En revanche, les plus grandes ont fermé beaucoup d’agences et s’orientent pour la plupart vers le tout-digital pour les opérations courantes.”
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