Le secteur du “private banking” se réduit : “De nombreux gestionnaires de patrimoine sont devenus des vendeurs”

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Patrick Claerhout Patrick Claerhout is redacteur bij Trends.

Ces dernières années, un grand nombre de banques de gestion de patrimoine et d’actifs ont disparu du paysage bancaire belge. Les plus petits établissements ont été absorbés par de plus grands ; quant aux grandes banques de gestion de patrimoine, elles sont tombées dans l’escarcelle de groupes étrangers. Cette consolidation a entraîné une réduction de l’offre. Mais tout n’est pas négatif, cette situation crée des opportunités pour les acteurs de niche.

Par où commencer ? Si l’on reprend la liste des banques de gestion de patrimoine et d’actifs qui existaient il y a 20 ans, on constate que la plupart des noms ont disparu. Quelques exemples : la Banque Degroof et le groupe financier Petercam ont fusionné en 2015, une fusion qui n’a jamais tenu ses promesses, et Degroof-Petercam a été vendue l’année dernière au groupe français Indosuez (Crédit Agricole). Puilaetco Dewaey a été racheté par le groupe debanque privée qatari Quintet Private Bank basé à Luxembourg. La banque néerlandaise ABN AMRO a repris en 2018 la Société Générale Private Banking Belgique, filiale (à 100%) de banque privée de l’institution française Société Générale. Le gestionnaire de patrimoine familial Mercier Vanderlinden est passée dans les mains de la banque de patrimoine néerlandaise Van Lanschot Kempen. Et tout récemment, Dierickx Leys a été absorbé par Delen Private Bank. Sans oublier la Banque Nagelmackers, la plus ancienne banque de Belgique spécialisée dans les services aux clients fortunés, est rachetée par le géant bancaire français BPCE.

De plus, précisons que les quatre grandes banques classiques, à savoir BNP Paribas Fortis, Belfius, ING Belgique et KBC, se sont aussi davantage concentrées sur le private banking et la gestion d’actifs ces dernières années.

Le Belge est fortuné

Si de plus en plus d’acteurs étrangers s’intéressent au marché belge, c’est avant tout parce que le Belge moyen est « riche ». Selon le World Wealth Report 2024 du cabinet de conseil Capgemini, notre pays comptait, l’an dernier, 138.000 millionnaires, qui tous ensemble possédaient la bagatelle de 352 milliards de dollars. Est particulièrement bien représentée en Belgique, la catégorie disposant d’un patrimoine de 1 à 5 millions de dollars. Celle-ci représente les deux tiers des grandes fortunes de notre pays, contre seulement 43% à l’échelle mondiale.

“En Belgique, la pension complémentaire est versée en une seule fois, ce qui permet à la plupart des Belges de disposer d’un patrimoine financièrement intéressant lorsque sonne l’heure de la retraite. Nombreux sont ceux qui ont déjà remboursé leur maison et qui disposent d’un fonds d’épargne. Ils peuvent donc investir l’argent de leur pension”, explique Oliver Delfosse, country manager de la Deutsche Bank Belgique. En outre, la Belgique est un pays de PME et d’entrepreneurs. La plupart d’entre eux vendent leur entreprise à un moment ou à un autre. Par conséquent, beaucoup d’argent circule dans notre pays, et pas seulement parmi les personnes âgées.

La consolidation a été motivée principalement par le désir des banquiers et des gestionnaires d’actifs d’obtenir certains ratios de rentabilité. Il est dit souvent qu’un minimum de 10 milliards d’euros d’actifs sous gestion est nécessaire pour supporter tous les coûts et investissements, tout en restant suffisamment rentable.

Ces coûts se répartissent en trois catégories. Premièrement, il y a les coûts de conformité (vérification que toutes les règles ont été respectées) et de respect des lignes directrices de la MiFID2. Ces réglementations compliquent certaines activités et nécessitent surtout de nombreuses formalités administratives et des investissements informatiques importants. Il y a ensuite les investissements auxquels les banques de patrimoine doivent faire face pour numériser leurs offres de produits et de services. Enfin, il y a la guerre des talents, qui a souvent rendu plus difficile et plus coûteux le fait d’attirer des personnes compétentes et expérimentées.

Standardisation de l’offre

Une conséquence directe de la consolidation et des économies d’échelle est l’appauvrissement du marché. Geoffroy Vermeire, CEO de la succursale belge de la banque suisse Lombard Odier, nous avait déjà parlé de cette “standardisation de l’offre” : “Il n’y a plus guère d’acteurs qui croient en la gestion conseil. Le marché belge se réduit de plus en plus à une offre d’un seul fonds patrimonial ou d’un seul produit pour tous les types de clients de 10.000 à 10 millions d’euros. Que ce soit dans le domaine de la banque privée ou les grandes banques, de nombreux acteurs proposent une gestion discrétionnaire via un nombre limité de fonds”.

En Belgique, c’est surtout la Banque privée Delen qui fait figure de référence dans ce domaine. La plupart de ses clients optent pour une gestion discrétionnaire à travers les cinq fonds patrimoniaux de la banque. Cela n’a pas nui à Delen, qui a connu la plus forte croissance sur le marché ces dernières années et présente de bons chiffres et des bénéfices année après année. Mais l’approche de Delen n’est pas unique. La plupart des grandes banques fonctionnent de la même manière.

Pourtant, les choses peuvent se passer très différemment. Un petit gestionnaire d’actifs comme Leo Stevens à Anvers parvient à être rentable même avec des actifs de 1,3 milliard d’euros. “J’entends toujours parler de ce chiffre de 10 milliards d’euros, mais je ne sais pas d’où il sort”, déclare Ive Mertens, PDG de Leo Stevens. “Ce sont surtout les grands acteurs qui l’avancent. Avec Leo Stevens, nous prouvons qu’en tant qu’acteur de niche, il est possible de réussir à condition d’offrir des services à forte valeur ajoutée.

Des conseils personnalisés

Parce que le besoin de services et de conseils personnalisés est de plus en plus important. Le rapport de Capgemini montre que 62% des Belges fortunés se plaignent d’un manque de conseils personnalisés, y compris en matière de planification successorale. C’est pourquoi ils s’adressent de plus en plus à différents conseillers en gestion de patrimoine et que le nombre de family offices augmente rapidement.

Cette situation offre des opportunités à des acteurs de niche comme Leo Stevens, estime Mertens : “Le marché belge de la banque privée devient de plus en plus un marché où la vente de produits est centralisée et où les banquiers sont devenus des vendeurs. Par conséquent, un certain nombre de clients ne se sentent pas soutenus personnellement. Moins il y a d’acteurs et moins il y a de conseils personnalisés, plus il y a de place pour nous”.

Etienne de Callataÿ, ancien économiste en chef de Degroof Petercam et cofondateur du gestionnaire d’actifs Orcadia Asset Management, partage cet avis. Selon lui, les petits gestionnaires d’actifs peuvent être parfaitement rentables s’ils jouent sur leurs points forts : la proximité, la relation personnelle avec les clients et la qualité du service.

M. de Callataÿ : “Le commentaire selon lequel il faut être grand pour être rentable est largement exagéré. Il est possible d’être suffisamment rentable dans le secteur financier sans maximiser les économies d’échelle. Il est vrai que certains coûts sont proportionnellement plus élevés pour les petits acteurs. Mais cela ne signifie pas qu’il est impossible de servir les clients rapidement, personnellement et en se concentrant sur les personnes.

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