Bruno Colmant
L’approche du néant monétaire?
Depuis plusieurs années, et contrairement à toutes les disciplines monétaires martelées depuis un demi-siècle, la BCE finance directement les États européens jusqu’à en détenir 30% de l’encours des dettes publiques. La BCE a sauvé l’économie publique, mais aussi privée. Mais derrière ou après la création monétaire des banques centrales, il n’y a plus rien pour soutenir la fuite en avant du capitalisme. Et le problème de ce dernier, c’est son absence mortifère de limite.
Il n’y a plus rien, car derrière les banques centrales qui formulent l’état de confiance associé à la monnaie, il n’y a pas d’institution supérieure. Contrairement au gnosticisme qui affirmait que l’imperfection du monde ne pouvait qu’être l’oeuvre d’un démiurge dissident qui avait temporairement usurpé les pouvoirs du vrai Dieu et que Dieu avait un Dieu, il n’y a pas de véritable banque centrale derrière les banques centrales. Il n’y a plus rien, et c’est ce qui explique la pusillanimité dont firent preuve les gouvernements européens lors de la crise des dettes souveraines de 2009-2011 avant de se résoudre à utiliser le bilan de la BCE pour refinancer des États prisonniers des contraintes excessives associées aux Traités de l’euro.
Dans différentes récentes contributions, Jacques de Larosière, ancien Directeur général du FMI et Gouverneur de la Banque de France attire l’attention sur les dangers profonds des politiques monétaires contemporaines. Sans oser aborder la question de l’implosion monétaire, il frôle le sujet en rappelant que la création monétaire excessive ne peut qu’entraîner une poussée d’inflation qui déstabilise les équilibres sociétaux.
Mais, contrairement à ce point de vue, je crois que le système financier doit retrouver un point d’équilibre non pas dans l’expansion ultérieure du financement par les banques centrales, mais par une aspiration en lui-même consistant en l’utilisation dirigée des dépôts bancaires et des réserves d’assurances, qui sont eux-mêmes les reflets de cette création monétaire, vers le financement des États. Cette évolution ne s’effectuera pas par une expropriation des actionnaires privés de ces institutions financières, mais par l’affectation de leurs actifs, dont l’origine provient des dépôts des épargnants, émanant eux-mêmes de la création monétaire des banques centrales, vers le financement de la dette publique. Il en résultera bien sûr une réduction de la rentabilité de ces institutions puisqu’elles deviendront perméables à la rémunération que les États voudront leur octroyer.
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L’aboutissement de la création monétaire par les banques centrales sera alors sa propre négation, c’est-à-dire la tutelle accrue des banques commerciales et des entreprises d’assurances au sein desquelles la monnaie créée par les banques centrales est logée. En d’autres termes, faute de pouvoir être financés ad infinitum par les banques centrales, les États vont devoir se financer auprès des institutions financières qu’ils contrôlent.
La circulation de la monnaie, qui est pourtant consubstantielle à son existence, va certes en être altérée. Mais, en vérité, il est impossible qu’un tel niveau d’endettement public, de surcroît fragmenté selon les États membres de la zone euro, ne conduise pas à une tutelle accentuée du secteur financier.
Cette tutelle monétaire sera complétée par l’émission d’euros numérisés, émis par la BCE, qui permettront de juxtaposer, au sein du bilan de la BCE, les dettes publiques que cette institution finance et l’épargne domestique des citoyens. Les États vont aussi capturer une partie des flux monétaires pour financer la transition énergétique et la remédiation environnementale.
Faudra-t-il s’en étonner ? Aucunement. La monnaie est consubstantielle à l’autorité des États. Elle fait écho au paiement de l’impôt, les deux droits régaliens (à savoir celui de battre monnaie et de lever l’impôt) étant l’avers et l’envers de la même réalité, reflété par la locution Monetandi jus principum ossibus inhæret : le droit de battre monnaie inséparable de la souveraineté.
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