Isabel veut devenir un acteur incontournable de la data
Après la vente de ses activités dans le secteur de la comptabilité, Isabel explore de nouvelles voies. La plus grande fintech de Belgique, détenue par les quatre grandes banques, souhaite développer une nouvelle activité autour des datas vérifiées et de la lutte contre la fraude, en plus des paiements. “Le plus grand défi avec les données est de savoir si elles sont correctes. Ce service n’était pas disponible”, déclare Kris De Ryck, CEO d’Isabel depuis l’année dernière.
Isabel est l’une des entreprises systémiques les plus importantes du pays, et pourtant son nom ne parle pas au grand public. Elle a été fondée en 1995 comme une joint-venture des quatre grandes banques, à savoir BNP Paribas Fortis, Belfius, KBC et ING Belgique, avec l’intention de créer une plateforme de paiements multibancaire pour les entreprises. Via une seule connexion, les entreprises peuvent accéder à tous leurs comptes bancaires, choisir à partir de quel compte effectuer un paiement et, le cas échéant, exécuter tous les paiements simultanément.
Plus de 50.000 sociétés utilisent les services d’Isabel pour accéder à un réseau de plus de 2.000 banques. La plateforme Isabel 6 traite quotidiennement plus de huit milliards d’euros de paiements, ce qui équivaut à quatre fois le produit intérieur brut (PIB) du pays sur une base annuelle. “Si Isabel 6 venait à tomber en panne, l’économie belge serait paralysée”, explique Kris De Ryck, CEO d’Isabel.
Ce dont le secteur financier fortement réglementé a besoin, ce sont des données d’entreprise fiables, actuelles et vérifiées.
Kris De Ryck
CEO d’Isabel
L’homme est à la tête d’Isabel depuis août 2023. Dans le passé, il a déjà dirigé d’autres joint-ventures dans lesquelles les grandes banques belges jouent un rôle central : Bancontact (paiements électroniques), itsme (identification personnelle) et Batopin (distribution d’argent liquide). Chez Isabel, il doit désormais mettre en œuvre une nouvelle stratégie.
Exercice stratégique
En 2017, Isabel avait choisi de diversifier ses activités. Cela s’est produit à la veille de l’entrée en vigueur de la directive européenne PSD2. Cette directive visait à encourager la concurrence entre les banques en rendant les données de paiement, avec l’accord du client, accessibles à toutes les entreprises intéressées, telles que les fintechs. Cette mesure semblait menacer le modèle économique d’Isabel, car n’importe qui pourrait proposer une plateforme multibancaire.
“Dans cette logique, le choix de la diversification était une décision intelligente”, explique Kris De Ryck. Isabel a développé, notamment grâce à des acquisitions, un volet important de services numériques pour les comptables. De cette manière, l’entreprise souhaitait stimuler l’interaction numérique entre les banques, les entreprises et les comptables. Avec des produits tels que Codabox (relevés de compte bancaire, extraits de carte de crédit et données de paie), Zoomit (factures électroniques), ClearFacts (flux de documents numériques entre comptables et entreprises) et Clearnox (gestion des créances), Isabel a construit une belle activité comptable. Celle-ci a été vendue il y a quelques mois pour 325 millions d’euros à Wolters Kluwer.
“Nos actionnaires ont réalisé un exercice stratégique l’année dernière, poursuit Kris De Ryck. Isabel reposait alors sur deux activités principales : des solutions bancaires et comptables. Comme de nouveaux besoins ont émergé dans le secteur bancaire, les activités dans le secteur de la comptabilité n’étaient plus considérées comme centrales. Elles ont finalement été vendues à un prix intéressant.”
Unir les forces
Quels sont ces nouveaux besoins auxquels les acteurs bancaires sont confrontés ? “PSD2 n’a peut-être pas conduit à la révolution attendue, dit le CEO, mais la concurrence pour les banques augmente tout de même. De plus en plus de nouveaux acteurs apparaissent sur le marché. L’open banking et les finances intégrées (processus financiers intégrés) ont conduit à davantage d’innovation, mais ont également accru les risques de sécurité sur le marché des paiements.”
La législation européenne pousse également à un accès accru et à un échange de données. Parallèlement, les banques sont confrontées à des règles plus strictes pour vérifier et contrôler ces données. “Dans le cadre des règles anti-blanchiment, ajoute Kris De Ryck, les banques doivent effectuer des contrôles rigoureux sur leurs clients et surveiller les transactions. Elles jouent également un rôle crucial dans la collecte des données ESG (environnementales, sociales et de gouvernance) de leurs clients commerciaux. Elles devront prouver que ces données sont fondées et correctes.”
Enfin, la lutte contre la fraude et la cybercriminalité exige également des banques une grande mobilisation de personnes et de moyens. “Il est logique qu’elles unissent leurs forces et partagent les coûts d’investissement, précise Kris De Ryck. Le législateur impose des normes de sécurité élevées et il s’agit d’y répondre de manière aussi efficace que possible.”
Notre entreprise a un rôle à jouer dans tous ces domaines, déclare le CEO. “Isabel se concentrera désormais sur des paiements multibancaires sécurisés, l’offre de données vérifiées et la surveillance de la fraude, résume-t-il. Dans ces trois domaines, nous voulons être un agrégateur et fournir des services utiles aux banques, aux entreprises et à l’économie numérique.”
Données vérifiées
Chacune des trois nouvelles priorités stratégiques d’Isabel a ses propres offres de produits. Le premier pilier, la plateforme de paiement multibancaire sécurisée, repose sur les produits phares Isabel 6 et Ponto, et se concentrera dans les années à venir sur l’ajout de nouvelles fonctionnalités, telles que les paiements instantanés. Isabel 6 est actuellement utilisé par 70.000 professionnels de la finance dans 20.000 grandes entreprises pour gérer des comptes dans différentes banques. Pour les petites entreprises et les indépendants, il existe Ponto, une version allégée d’Isabel 6, intégrée dans d’autres logiciels.
Chacune des trois nouvelles priorités stratégiques d’Isabel a ses propres offres de produits.
Kris De Ryck
CEO d’Isabel
La grande nouveauté est qu’Isabel se lance dans le domaine des datas et en fait immédiatement un deuxième pilier stratégique. La différence avec d’autres fournisseurs de données est qu’Isabel se concentre sur les données d’entreprise vérifiées. “Il y a beaucoup d’acteurs qui fournissent des données brutes aux entreprises et aux banques, indique Kris De Ryck. Mais ce dont le secteur financier fortement réglementé a besoin, ce sont des données d’entreprise fiables, actuelles et vérifiées. Les entreprises sont également confrontées à ce besoin, dans un contexte d’intelligence artificielle et de deepfakes. Le plus grand défi avec les données est de savoir si elles sont correctes. Ce service n’était jusqu’ici pas disponible.”
Dans ce but, Isabel a lancé plus tôt cette année la plateforme Kube, qui doit devenir un écosystème d’échange de données d’entreprise vérifiées. Selon Kris De Ryck, Kube pourrait bien devenir un succès immédiat. Actuellement, des informations vérifiées sur plus de 100.000 entreprises sont déjà présentes dans le système. D’ici la fin de 2025, ce nombre devrait atteindre 700.000. Ce sont les banques derrière Isabel qui fournissent les données vérifiées.
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“Cet échange de datas n’est possible que parce qu’il existe dans notre pays une confiance mutuelle entre les banques et entre les banques et les entreprises, précise Kris De Ryck. Les deux parties reconnaissent que le secteur bancaire est le secteur le plus réglementé et qu’il applique donc les normes les plus élevées en matière de contrôle et de sécurité. Dans d’autres pays, des projets visant une coopération similaire n’ont pas abouti.”
Partenaire de confiance
“La force d’Isabel est que nous sommes en contact direct avec les ‘cuisines’ des banques, poursuit le CEO. Cela nous permet de garantir des données d’une qualité élevée. Nous jouons en Ligue des Champions. Isabel peut gérer un niveau de complexité que d’autres fintechs, plateformes d’open banking ou entreprises de logiciels ne peuvent pas atteindre.”
La première application de Kube concerne le secteur bancaire et touche l’identification précise et les vérifications des données qu’une banque effectue sur ses clients commerciaux dans le cadre des obligations Know Your Customer (KYC). Via Kube, la banque pourra partager ses informations avec les autres banques affiliées (à ce jour, les quatre grandes banques). Cela permet d’économiser beaucoup de temps et de ressources humaines, souligne Kris De Ryck : “Lors de l’ouverture d’un compte bancaire ou de la souscription à un crédit, des centaines de champs de données doivent être remplis et des dizaines de documents doivent être rassemblés. Les entreprises sont soulagées de ne devoir passer par ce processus qu’une seule fois, plutôt que quatre fois.”
Un deuxième usage de Kube se situe dans le domaine des données ESG (environnementales, sociales et de gouvernance). L’Union européenne obligera les entreprises, à partir de 2026, à rendre compte de leur politique de durabilité, comme le pourcentage de véhicules électriques dans leur flotte. Kube permettra de partager ces raports de manière sécurisée et standardisée.
Cela n’est pas seulement intéressant pour les banques et les assureurs, mais aussi pour les entreprises qui doivent collecter les données de leurs fournisseurs. “Les banques doivent collecter ce tsunami de données pour l’ensemble de leur portefeuille de crédits, y compris pour les clients commerciaux qui ne sont pas eux-mêmes tenus de rendre des comptes, explique Kris De Ryck. Et pour les entreprises, les avantages sont également réels : toutes les données sont centralisées en un seul endroit, avec la possibilité de les mettre à jour en continu.”
Le troisième pilier d’activité d’Isabel sera la surveillance de la fraude. “Au fil des ans, Isabel a accumulé une grande expérience et expertise en matière de cybercriminalité. Si nous parvenons à combiner les données transactionnelles de notre plateforme de paiements avec les données vérifiées des entreprises, nous devrions être en mesure de détecter plus facilement les anomalies et les cas de fraude potentiels”, conclut le CEO.
Qu’advient-il des 325 millions d’euros ?
Isabel a reçu 325 millions d’euros de Wolters Kluwer pour la vente de ses activités comptables. Que va faire l’entreprise de cet argent ? “Nous allons examiner les ressources nécessaires pour réaliser nos objectifs, répond Kris De Ryck. Dans chacun des trois piliers stratégiques, nous prévoyons des investissements considérables. En ce qui concerne les paiements, il s’agit plutôt d’ajouter des fonctionnalités et de fournir des efforts commerciaux. Dans les deux autres secteurs, nous en sommes encore aux premières étapes de développement, et des investissements plus importants seront nécessaires. Nous avons déjà investi 20 millions d’euros dans le lancement de Kube. La mise en œuvre des données ESG sur la plateforme nécessitera certainement encore un montant substantiel. Mais Isabel dispose des ressources nécessaires et du soutien de ses actionnaires. Ce qu’il restera des 325 millions d’euros pourra éventuellement être utilisé pour des acquisitions. Il est également possible qu’une partie de cet argent retourne aux actionnaires, mais aucune décision n’a encore été prise.”
Si Isabel 6 tombait en panne, l’économie belge serait paralysée.
Kris De Ryck
CEO d’Isabel
“Doccle s’inscrit dans notre stratégie data”
Depuis 2021, Isabel détient 50 % de la plateforme de documents Doccle. L’autre moitié est détenue par Telenet. Cette participation s’inscrit-elle toujours dans la nouvelle stratégie datas d’Isabel ? “Oui , affirme Kris De Ryck. Doccle est une plateforme où divers documents, y compris des factures, arrivent et sont centralisés numériquement. Cela correspond étroitement à nos services de paiement. Il est important de savoir si une facture a été payée ou non. Nous souhaitons synchroniser ces informations. Les membres de l’écosystème Isabel sont des institutions financières et des entreprises avec des besoins complexes en matière de paiements. Avec Doccle, nous essayons de leur donner accès, dans les deux sens, à autant de documents et/ou de données pertinents pour eux que possible.”
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