Gamestop, Cryptos, SPAC, AMC… d’une bulle spéculative à l’autre
De GameStop à AMC en passant par les cryptomonnaies et les SPAC: les bulles spéculatives s’enchaînent les unes après les autres sur les marchés financiers. Un phénomène qui en dit long sur l’abondance de liquidités et la puissance des réseaux sociaux.
AMC, cryptomonnaies, SPAC, GameStop… Depuis quelques mois, les bulles se suivent et se ressemblent à Wall Street. Dès qu’un marché haussier montre des signes d’essoufflement, c’est un autre actif qui flambe. Le soufflé est à peine retombé quelque part que la bière mousse déjà ailleurs, une bulle chassant l’autre.
Voici deux semaines, le commentateur économique Marc Fiorentino écrivait dans sa newsletter quotidienne: “Les Robinhood traders, ces particuliers qui sont devenus accros à la Bourse à l’occasion de la crise sanitaire, continuent à animer la Bourse américaine. Malgré le déconfinement. Malgré le redémarrage des compétitions sportives et des paris en ligne. Ils continuent à chasser en meute, portant leur dévolu de façon surprenante sur des valeurs à la casse. Grâce à des plateformes en ligne gratuites comme Robinhood, ils ont pu utiliser les chèques que le gouvernement leur a donnés pour se transformer en traders”. Et d’ajouter: “On aurait pu croire qu’avec le déconfinement, cette euphorie collective allait s’étioler. Il n’en est rien. Le gouvernement a de nouveau distribué des chèques. Et une partie de ces chèques se retrouve en Bourse. Et en plus, comme les marchés continuent à monter, les Robinhood traders se sentent pousser des ailes”.
On aurait pu croire qu’avec le déconfinement, cette euphorie collective allait s’étioler. Il n’en est rien.”
Marc Fiorentino
Comme Zorro
Dernier exemple en date de titre ciblé par ces Robin des Bois des temps modernes: AMC. Se donnant rendez-vous sur WallStreetBets, un forum du site web Reddit où ils se partagent leurs meilleurs coups et leurs tuyaux, ils ont fait de cette chaîne de cinéma qui a fort souffert de la crise sanitaire, jusqu’à se retrouver au bord de la faillite, leur nouvelle coqueluche. Et ce “dans un esprit vengeur, type Zorro, pour forcer les acteurs orientés à la baisse sur le titre à se racheter”, plante Jérôme van der Bruggen, head of investments au sein du département private banking chez Degroof Petercam.
Résultat des courses? La société qui valait à peine quelques centaines de millions de dollars il y a six mois affiche désormais une capitalisation boursière qui dépasse les 20 milliards de dollars! Son cours a été multiplié par 25 depuis le début de l’année. Alors que le titre AMC ne valait plus que deux dollars en janvier, il a crevé le plafond des 60 dollars début juin, avant de retomber aux alentours des 50 dollars ces derniers jours. La bulle commence-t-elle déjà à se dégonfler? Seule certitude, “les spéculateurs passent rapidement à autre chose dans l’espoir de gains rapides et de ne surtout pas subir la correction inévitable à partir du moment où l’engouement s’amplifie et où des petits investisseurs peuvent rapidement paniquer”, observe Bernard Keppenne, économiste en chef à la banque CBC.
En début d’année, c’est sur GameStop, du nom de cette chaîne de magasins de jeux vidéo implantée aux Etats-Unis, ainsi que sur d’autres titres comme BlackBerry ou Nokia, que les Robinhood traders s’étaient attaqués. Avec toujours le même objectif: “punir” les fonds qui vendent à découvert en se ruant tous ensemble à l’achat sur ces valeurs. Jusqu’à les propulser, dans le cas de GameStop, à des niveaux de valorisation stratosphériques, causant 20 milliards de pertes aux puissants hedge funds qui avaient spéculé sur la baisse du titre.
Epargne Covid
Les “meme stocks”, ces actions prisées par la nouvelle génération de jeunes investisseurs actifs sur les réseaux sociaux (un site leur est même entièrement dédié: www.memestokcs.org), ne sont pas les seules à faire les gros titres des médias économiques depuis quelques mois. Dernièrement, les SPAC (Special Purpose Acquisition Company), véhicules d’investissement très particuliers, ont également le vent en poupe et retiennent l’attention des journalistes. “A la différence tout de même de ce que l’on a vu en début d’année avec des investisseurs qui se sont ligués pour aller attaquer les shorteurs de GameStop, nous sommes ici en présence d’une innovation financière, certes poussée par les banques d’investissement”, indique Jérôme van der Bruggen. Quant à l’envolée des cryptomonnaies (bitcoin, ethereum ou encore dogecoin), “on sait que lorsqu’il envoie un tweet, Elon Musk peut faire bouger le cours du bitcoin à lui tout seul ; chacune de ces bulles a donc ses spécificités, même si elles ont une grosse caractéristique commune: l’abondance de liquidités dans le marché”, ajoute le spécialiste de Degroof Petercam.
Cette pluie de milliards déversés par les banques centrales pour soutenir les économies face au virus explique en effet beaucoup de choses. “On peut faire la comparaison avec l’économie réelle et en particulier l’inflation, situe Bernard Keppenne. Il y a dans les marchés financiers des actifs qui connaissent de l’inflation, et un petit nombre d’entre eux qui connaissent de l’hyperinflation. Cette inflation dans les marchés financiers et cette hyperinflation sur certains actifs est la conséquence de l’abondance des liquidités et de la faiblesse des taux d’intérêt.” Mais ce n’est pas tout. “Il faut encore ajouter la crainte de la hausse de l’inflation qui pousse les investisseurs à acheter des actifs qui pourraient les protéger contre cette dernière, complète l’économiste de CBC. Sans oublier d’autres éléments comme la hausse de l’épargne des ménages aisés durant la pandémie, la multiplication des plateformes telles que Robinhood qui permettent d’acheter à moindre frais en Bourse et l’arrivée de jeunes investisseurs attirés par les fortes hausses et moins sensibles au risque.”
Aucun de ces phénomènes n’a la capacité de venir aujourd’hui mettre en danger un portefeuille investi en Bourse.”
Jérôme van der Bruggen (Degroof Petercam)
Prochaines cibles
Comme le souligne également Jérôme van der Bruggen, le phénomène est essentiellement américain. “Le revenu disponible des ménages y est aujourd’hui 12% supérieur à ce qu’il n’était avant la crise en mars de l’année dernière. Une partie des chèques distribués par le gouvernement américain est dépensée, une partie est épargnée mais une autre est aussi investie. Or, rares sont aujourd’hui les actifs qui rapportent. Du coup, l’argent va se loger à gauche et à droite, là où il peut.”
Quelles seront dès lors les prochaines cibles de ces (très) jeunes boursicoteurs (pour beaucoup, des milléniaux encore aux études)? Difficile à dire. “Sans doute certaines petites valeurs liées aux énergies renouvelables, certaines matières premières (c’est déjà le cas pour le bois, par exemple), les biotechs et sans doute aussi certaines devises”, se risque Bernard Keppenne. Une chose est néanmoins certaine, selon lui: l’absence de véritables contrôles sur d’éventuelles manipulations des cours sans que les autorités compétentes n’interviennent n’est pas à négliger. “Cette situation est clairement un facteur de risque qui pourrait entraîner une correction si les spéculateurs devaient couvrir des pertes en catastrophe.”
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Dégâts limités
Force est toutefois de constater que si elles sont de plus en plus courtes et leur dégonflement de plus en plus rapide, ces bulles à répétition ont un impact relativement limité. “Aucun de ces phénomènes actuels, quand on les prend isolément ou même conjointement, n’a la possibilité aujourd’hui de venir faire dérailler les marchés et de mettre en danger un portefeuille investi en Bourse”, estime Jérôme van der Bruggen, pour qui ces mouvements ne sont pas systémiques. “Nous ne sommes pas en présence d’une activité nocive pour les marchés qui pourrait toucher très largement une base d’investisseurs. Par exemple, dans le cas d’AMC, la société s’est quand même refinancée plusieurs fois au cours des derniers mois. Elle a profité de l’augmentation de son cours de Bourse pour émettre du capital et rembourser ses dettes, ce qui lui a permis de survivre. Même chose pour Tesla fin de l’année dernière. Raison pour laquelle les régulateurs américains se montrent très pragmatiques et n’interviennent pas pour le moment.”
Bernard Keppenne relativise également, soulignant que “les montants en jeu dans ce type d’actif par rapport aux montants totaux investis restent limités”. L’expert de la CBC rappelle néanmoins au passage quelques conseils de base, pour éviter de se brûler les doigts. “Diversifier son portefeuille aussi bien en termes de type d’actifs, que de régions et de devises ; éviter d’avoir de trop fortes corrélations entre les actifs ; connaître son profil de risque et son horizon de placement ; ne jamais oublier qu’un investissement s’envisage sur le long terme ; faire le point régulièrement avec son conseiller ; se méfier des offres qui semblent trop belles pour être vraies ou des taux qui sont totalement irréels ; privilégier les fonds qui offrent une plus grande diversifications ainsi que les thématiques ; faire un investissement systématique car il n’y a jamais un bon moment pour investir ou ne pas investir ; et en cas de valeurs individuelles en actions, investir uniquement dans des valeurs que l’on connaît, et mettre des stop loss ainsi que des take profit“, conclut-il.
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