Est-on riche avec 6.000 euros net par mois?
Pour le président du MR Georges-Louis Bouchez, la réponse est non: quelqu’un qui a une famille et qui gagne entre 3.000 et 6.000 euros net par mois n’est pas forcément riche. Mais alors, c’est quoi, être riche, en Belgique? Qui est fortuné, qui ne l’est pas? A partir de quels revenus, et avec quel patrimoine? Voici ce qu’en pensent les économistes.
A partir de quand doit-on considérer que quelqu’un est riche? Interrogé dernièrement par nos confrères de la VRT, Georges-Louis Bouchez a affirmé que celui qui a une famille et qui gagne entre 3.000 et 6.000 euros par mois n’est pas nécessairement riche. Le président du MR réagissait à la volonté de certains de supprimer l’avantage fiscal sur l’achat d’une seconde résidence. Un avantage qui, comme le patron des libéraux francophones le développe longuement dans les pages qui suivent, permet simplement à de nombreux indépendants de se constituer un revenu complémentaire et une meilleure pension. D’où notre question, au-delà de la saillie médiatique dont l’homme a le secret: existe-t-il vraiment un seuil à partir duquel on commence à être riche? Cette question, posez-la à table un samedi soir et vous verrez: vous obtiendrez autant d’opinions qu’il y a de convives. Certains vous diront qu’être riche, c’est pouvoir vivre de son épargne. D’autres affirmeront que c’est le fait d’être propriétaire de plusieurs biens immobiliers, d’avoir un grand jardin avec piscine ou de pouvoir partir en vacances plusieurs fois par an. D’aucuns jugeront enfin que c’est tout simplement n’avoir aucune fin de mois difficile.
Le revenu seul ne suffit pas pour estimer l’aisance matérielle d’un individu.
A chacun ses critères
Bref, à chacun sa définition de l’aisance matérielle, ses propres critères de richesse. “Cela dépend de qui vous fréquentez”, acquiesce l’économiste Etienne de Callataÿ (Orcadia Asset Management). En France, on se souviendra notamment des déclarations de François Hollande qui, durant la campagne présidentielle de 2012, s’était risqué à ce périlleux exercice de définition, estimant que l’on est riche à partir de 4.000 euros par mois. Mauvaise pioche, selon la critique hexagonale. Chez nous, les fiscalistes font pourtant remarquer que l’on atteint le taux marginal le plus élevé de l’impôt des personnes physiques (50%) dès l’instant où les revenus franchissent la barre des 41.060 euros par an, soit moins de 4.000 euros brut par mois. Dans un autre registre, la taxe sur les comptes-titres, dont l’objectif, rappelons-le, est de mettre à contribution les citoyens aux épaules les plus larges, cible les sommes supérieures à un million d’euros. Quant aux millionnaires, ils sont plus de 133.000 en Belgique, selon la dernière édition du World Wealth Report, établi par le bureau de conseil Capgemini.
Contexte et vision
Divers et variés, ces marqueurs attestent en fait d’une réalité de fond: cerner ce qu’est la richesse n’est pas simple. Selon l’économiste Philippe Defeyt, tout est en effet question de contexte et de vision. “Chaque personne, chaque pays, a son approche, dit-il. Les réponses sont influencées à la fois par des caractéristiques intrinsèques, comme l’état de santé ou le niveau d’endettement, et par le contexte socioéconomique et culturel.” Par ailleurs, ajoute l’expert, “il y a moins de références académiques en matière de richesse qu’en matière de pauvreté. Et pour ce qui est de la richesse, les travaux concernent plus souvent le patrimoine que les revenus”. De plus, comme le souligne Geert Noels, fondateur du gestionnaire de patrimoine Econopolis, il ne faut jamais perdre de vue qu’il ne s’agit souvent que de fortunes professionnelles, qu’une faiblesse de la Bourse peut du jour au lendemain éroder. “Prenez le cas d’Elon Musk, détaille-t-il. Il est riche, mais sur papier. Sa fortune n’est composée quasiment que d’actions de ses deux sociétés, Tesla et SpaceX. Elle est essentiellement virtuelle.” Autrement dit, il ne s’agit pas toujours de “vrai argent”.
Il y a moins de références académiques en matière de richesse qu’en matière de pauvreté.” Philippe Defeyt (économiste)
Revenu médian
Ceci n’empêche toutefois pas certaines institutions comme, en France, l’Observatoire des inégalités, de fixer le seuil de richesse au double du revenu médian. De quoi s’agit-il? Du double du revenu qui coupe, pour ainsi dire, la population d’un pays en deux parties égales: autant de personnes gagnant plus que ce salaire médian que de personnes gagnant moins. Résultat des courses: avec ce critère, on devient riche en Belgique à partir de 4.280 euros net par mois pour une personne seule, 6.420 euros pour un couple et 8.987 euros pour une famille avec deux jeunes enfants.
A l’inverse, le seuil de pauvreté est fixé à 60% du revenu médian net. Pour la Belgique, ce seuil se situait pour 2020 (revenus de 2019) à 15.403 euros net par an, soit 1.284 euros net par mois pour un isolé, et à 32.346 euros net par an, soit 2.696 euros net par mois, pour un ménage composé de deux adultes et deux enfants (de moins de 14 ans). Dès lors, 15% environ de la population belge vit en dessous du seuil de pauvreté. Sauf que cette méthodologie aboutit, selon Philippe Defeyt, à une mauvaise évaluation des conditions de vie réelles. “Prenez l’exemple d’une personne seule qui gagne 1.100 euros par mois, réfléchit-il. Elle sera considérée comme pauvre même si elle dispose d’un logement gratuit, ce qui lui laisse un revenu disponible de 1.100 euros par mois pour toutes ses autres dépenses, tandis que ne sera pas considérée comme pauvre une personne seule disposant d’un revenu de 1.500 euros par mois mais devant débourser tous les mois un loyer de 700 euros, ce qui ne lui laisse que 800 euros pour vivre”. Philippe Defeyt souligne également les répercussions des autres formes de rémunération (voiture de société, chèques-repas, etc.). Traduction: un jeune haut profil qui dispose d’un revenu de 4.500 euros net par mois ne gagne peut-être pas mieux sa vie, en effet, qu’un commercial payé 4.000 euros net mais dont la rémunération est complétée par une série d’avantages en nature, comme une grosse cylindrée de fonction doublée d’une carte d’essence, par exemple.
Le patrimoine aussi
En fait, le revenu seul (le salaire, la pension, etc.) ne suffit pas pour estimer l’aisance matérielle d’un individu. Son patrimoine, financier et immobilier, y contribue également. Le salarié qui dispose d’un revenu de 5.000 euros net, mais qui rembourse un emprunt hypothécaire conséquent et qui n’a pas d’épargne n’est pas nécessairement plus riche que quelqu’un qui gagne 4.000 euros net mais a fini de payer sa maison et a hérité d’un gros portefeuille d’actions. C’est qu’en plus d’avoir une brique dans le ventre, les Belges disposent d’un patrimoine financier évalué par la Banque nationale à près de 1.200 milliards d’euros (! ), soit un “stock” d’épargne de plus de 250.000 euros en moyenne par ménage.
Elon Musk est riche, mais sur papier.” Geert Noels (Econopolis)
Pour Etienne de Callataÿ, “on peut tenter de définir la richesse soit par le revenu, soit par le patrimoine. Les deux approches sont défendables, mais je donnerais la priorité à l’approche par le patrimoine. D’une part, parce que c’est ce patrimoine qui vous met à l’abri des accidents matériels de la vie (perte de revenu professionnel, maladie, etc.). D’autre part, parce qu’un patrimoine vous donne la liberté de choisir, de prendre de nouvelles orientations dans la vie, comme démissionner par exemple. C’est d’autant plus vrai qu’aujourd’hui plus qu’il y a 50 ans, les personnes à hauts revenus et celles à haut patrimoine ont tendance à être les mêmes. Pour le dire autrement, on trouve de plus en plus, parmi les hauts revenus, des gens qui ont déjà un beau patrimoine.” C’est d’ailleurs la thèse développée par Thomas Piketty dans son best-seller Le Capital au XXIe siècle, qui se penche sur les inégalités de patrimoine, dont il estime que la distribution est plus concentrée que celle des revenus.
L’effet Matthieu
Bien sûr, tous les patrimoines ne génèrent pas les mêmes revenus (intérêts, dividendes). “C’est le paradoxe du pêcheur de l’île de Ré, résume Philippe Defeyt. Il dispose d’un revenu modeste, mais sa petite maison vaut une fortune, sans pour autant lui rapporter quoi que ce soit.” Et puis, autre biais, être propriétaire de son logement n’est pas gratuit, ajoute notre interlocuteur: “Les maisons et les appartements ont cette désagréable habitude de vieillir avec leurs propriétaires, jusqu’au jour où ceux-ci ne peuvent plus faire face à l’entretien de leur logement.”
Economiste mais aussi entrepreneur, Geert Noels se dit quant à lui particulièrement attentif à un autre aspect des choses: à ses yeux, il est surtout important que les règles du jeu soient les mêmes pour tous. “La richesse a une connotation négative. Pourtant, le problème n’est pas là, raisonne-t-il. Ce qui compte, c’est que la réussite en affaires ne dépende pas de relations privilégiées avec le monde politique. Les règles du jeu doivent être claires, stables et les mêmes pour tout le monde. Les autorités publiques doivent garantir cette égalité des chances.” Car joue aussi ce que les économistes appellent l’effet Matthieu, qui tire son nom d’un passage de la Bible, selon lequel plus on grimpe dans l’échelle des revenus, plus on tire parti des investissements publics et des dépenses assumées par la collectivité. “Il est vrai que les gens plus aisés profitent davantage des dépenses publiques en matière culturelle. L’opéra est un bon exemple, acquiesce Etienne de Callataÿ. Les personnes aisées profitent aussi plus des dépenses publiques en matière d’enseignement universitaire et, dans une certaine mesure, en matière de santé. Une personne aisée ira voir trois spécialistes, là où quelqu’un dont les revenus sont plus modestes n’en verra qu’un. Mais d’un autre côté, les personnes à hauts revenus cotisent aussi plus. Plus largement, il serait exagéré de parler du système des pensions comme d’un système Robin des Bois à l’envers, où on prendrait à la classe moyenne pour donner aux plus nantis, dont l’espérance de vie est plus élevée”, estime l’économiste.
On est toujours le moins riche de quelqu’un d’autre.” Etienne de Callataÿ (Orcadia Asset Management)
Le paradoxe d’Easterlin
Reste, bien sûr, “la” question: l’argent fait-il le bonheur? Pas toujours. La réponse des experts est en effet nuancée. Elle relève du paradoxe d’Easterlin, du nom de cet économiste américain qui a démontré dans les années 1970 qu’à partir d’un certain seuil de richesse, le bonheur n’augmente plus. Il y a deux raisons à cela. La première est que l’on s’habitue à son train de vie. C’est l’effet cliquet. Difficile de descendre de catégorie quand on est accoutumé aux hôtels d’un certain niveau. “Les Belges, en moyenne, ne se disent pas plus heureux que les Nigérians, illustre Etienne de Callataÿ. Mais les Belges qui figurent parmi les classes les plus aisées se disent plus heureux que les Belges moins favorisés.” C’est la deuxième explication au paradoxe d’Easterlin: la jalousie. Il y a toujours plus riche que soi. Et comme l’humain n’en a jamais assez, il jalouse celui qui présente plus de signes extérieurs de richesse. D’où l’irrésistible attrait des produits de luxe. C’est précisément parce qu’ils sont chers, et donc inaccessibles à la majorité, qu’ils se vendent si bien. Une montre Bulgari, un sac Louis Vuitton, un parfum Chanel: tout cela confère un statut… dont les nouveaux riches raffolent. Même chose pour la marque Apple, qui ne vend pas simplement des outils technologiques, mais des produits haut de gamme. Avoir un iPhone dernier cri, c’est avoir un plus beau smartphone que son voisin. Exprimé autrement, l’argent rend plus heureux si l’assiette du voisin est moins remplie. Nous l’avons dit: tout est relatif. “Est-on riche avec 6.000 euros net par mois? Il n’y a pas de réponse, conclut Etienne de Callataÿ. Un indépendant de 50 ans qui gagne cette somme ou qui a un ou même deux appartements pour financer ses vieux jours, ne se sentira vraisemblablement pas riche dans sa tête. On est toujours le moins riche de quelqu’un d’autre.”
133.000
Le nombre de Belges qui possèdent un patrimoine financier supérieur à un million d’euros.
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