Georges-Louis Bouchez: “En Belgique, il y a un problème avec l’argent et l’ambition”

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Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

Le président du MR estime que l’on n’est pas riche avec 6.000 euros net par mois. Et souligne le risque que l’on prend en tuant la classe moyenne. “Il faut réhabiliter l’ascenseur social”, plaide-t-il.

Non, on n’est pas riche avec un salaire mensuel situé entre 3.000 et 6.000 euros net. Oui, il faut continuer à encourager l’achat d’une seconde résidence. Georges-Louis Bouchez, le président du MR, n’hésite pas à poser de façon plus large le débat sur le rapport des Belges avec l’argent et sur le climat politique et culturel désastreux à cet égard. Il s’en explique sans tabous.

TRENDS-TENDANCES. Vous avez évoqué le fait que l’on n’était pas riche avec 3.000, 4.000, 5.000 ou 6.000 euros net. Votre propos faisait suite, notamment, à la volonté de certains de supprimer les aides fiscales à l’achat d’une seconde résidence, alors que cela sert de revenu complémentaire pour beaucoup. Je résume bien?

GEORGES-LOUIS BOUCHEZ. Exact. Il y a un problème en Belgique avec l’ambition et avec l’argent, et davantage encore en Belgique franco- phone. Le constat est simple: en politique, on ne peut plus parler aujourd’hui que des gens qui gagnent 1.200, 1.300 ou 1.400 euros. Comme si le monde entier vivait avec un revenu faible, ce qui est tout à fait faux, évidemment. C’est un souci. Mon propos ne consiste pas à dire que gagner de l’argent, c’est une fin en soi. Mais gagner de l’argent, ce n’est pas mal non plus, ce n’est pas suspect, ce n’est pas coupable. C’est d’ailleurs indispensable pour financer l’Etat et les services sociaux. Il faut remettre un peu de rationalité dans le débat. Mon premier constat est d’ordre culturel: on essaye d’induire l’idée selon laquelle il serait vertueux d’avoir peu de revenus et problématique d’en avoir beaucoup. Et la notion de “beaucoup”, surtout, arrive trop tôt. Un Etat composé de bas salaires est un Etat qui n’a pas les moyens d’investir dans la santé, dans l’éducation, dans la recherche…

Si l’on dit aux gens qu’ils travailleront toute leur vie sans pouvoir acquérir un logement pour leurs enfants, très franchement, certains arrêteront de bosser.

Concrètement, le débat est avant tout fiscal, non?

Ce problème culturel engendre un problème fiscal, en effet. Pourquoi? Parce qu’aujourd’hui, en Belgique, le revenu médian est de 2.300 euros net. Et on est même pénalisé avant ce seuil: chaque euro gagné au-delà de 2.150 euros net est fiscalisé à 50%. Cette conception culturelle amène à modifier les régimes fiscaux. Ces dernières années, les efforts de baisse d’impôts ont porté essentiellement sur les revenus les plus bas. En fait, la Belgique commence à être un petit paradis fiscal pour les bas revenus. A 1.200 ou 1.300 euros, on ne paye pratiquement pas d’impôts dans ce pays. Tant mieux! Je n’ai pas de problème avec ça, au contraire. Mais le souci, c’est que comme les plus bas revenus ne payent pratiquement pas d’impôts et que plus on a de hauts revenus, plus on a de mécanismes fiscaux d’optimisation ici ou à l’étranger, toute la charge fiscale se trouve finalement concentrée sur la classe moyenne, sur les gens qui gagnent de 1.800 euros à – je l’ai dit, oui – 6.000 euros net.

Est-on riche avec 6.000 euros net?

Non. On a peut-être accès à de l’aisance. Mais tout dépend de vos conditions familiales: avec 4.000 ou 5.000 euros et deux enfants, vous n’êtes pas riche. Tous les gens qui sont dans cette situation savent à quel point je parle juste. Ce n’est pas parce que l’on arrive à se payer des vacances une fois par an que l’on est riche. Après des milliers d’années de progrès et de croissance économique, je pense par ailleurs que ce n’est pas mal d’avoir un peu d’aisance! Il faut arrêter de dire que c’est mal. Selon moi, vous êtes riche à une condition: quand vous pouvez vivre sans vous soucier du lendemain et sans avoir l’obligation de travailler. Là, vous avez atteint l’optimum de l’autonomie et on peut considérer que vous êtes riche. Mais des gens qui doivent travailler pour vivre, même s’ils sont dans l’aisance, ne sont pas riches.

Ahmed Laaouej
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Ahmed Laaouej (PS): “La richesse réfère davantage au patrimoine”

“C’est un débat qui mérite mieux qu’une approche binaire, comme tente de l’imposer Georges-Louis Bouchez, souligne Ahmed Laaouej, chef de file du PS à la Chambre. On peut avoir 6.000 euros net de revenus, mais, en même temps, 6.000 euros de dépenses avec six ou sept enfants, un prêt hypothécaire, un accident de la vie… Pour moi, la notion de richesse réfère davantage à celle de patrimoine matériel et immatériel.” Au niveau du patrimoine, poursuit notre interlo- cuteur , ce que l’on sait, c’est que 1% des Belges, soit un peu plus de 100.000 personnes, disposent d’un patrimoine supérieur à un million d’euros. “Cela ne signifie pas que les 10 millions d’autres Belges sont pauvres”, précise-t-il. Le chef de file du PS se dit favorable à un tax shift ambitieux. “Ce serait la bonne approche, pour renforcer l’équité. Il serait possible d’effectuer un shift assez drastique des revenus du travail vers ceux du capital, qui permettrait de faire gagner plusieurs centaines d’euros pour certains revenus du travail.” Le seuil de la “richesse”, pour les revenus du travail? “Ce sont toujours des approches un peu grossières, reconnaît Ahmed Laaouej. A titre d’exemple, on a récemment décidé de donner une réduction d’impôt en dessous d’un revenu imposable – c’est-à-dire ni net, ni brut… – situé sous les 28.000 euros par an. C’est un choix de considérer que c’est sur cette catégorie-là qu’il faut concentrer l’effort.” Le PS privilégiera toujours les bas et les moyens revenus dans le cadre d’une réforme fiscale. Et insistera sur les incitants fiscaux en faveur de certaines dépenses prioritaires.

Donc, dans le cadre d’une grande réforme fiscale, un effort devra être fait pour les classes moyennes?

Mieux que ça. La prochaine réforme fiscale ne doit porter QUE sur les classes moyennes, c’est très clair. Sur ceux qui gagnent entre 1.800 euros et 5.000 ou 6.000 euros net. Il faut aussi pousser les gens à travailler plus, à progresser dans leur carrière, à faire en sorte qu’ils ne soient pas systématiquement les pigeons du système. Aujourd’hui, la classe moyenne est trop riche pour avoir des aides, mais trop pauvre pour éviter l’impôt: c’est ça, le noeud du problème. Ce qui est intéressant dans ce débat, c’est que j’ai fait enfin tomber les masques du PTB et du PS. Si l’on considère qu’avec 4.000, 5.000 ou 6.000 euros net mensuels, on est riche, cela veut dire qu’en cas d’impôts nouveaux, ces gens-là seront visés. Personnellement, j’en ai un peu marre des débats de la gauche, qui consistent à dire qu’il faut taxer les riches, mais sans jamais donner de montants. Ce débat montre que ceux qui ne sont pas d’accord avec ce que je dis souhaitent taxer encore plus la classe moyenne. Enfin, au-delà de l’enjeu économique, la classe moyenne, c’est le moteur de la démocratie. Aristote disait déjà quatre siècles avant Jésus-Christ qu’il n’y a pas de cité sans classe moyenne. Comme on la tue de plus en plus, cette classe moyenne a tendance à se tourner vers les partis populistes. Les conséquences peuvent être graves, si on ne réagit pas rapidement.

Quand on parle d’un salaire de 6.000 euros net, on ne tient pas forcément compte du statut d’indépendant. C’est pour cela que vous soutenez aussi la nécessité de pouvoir investir dans l’immobilier, en tant que garantie pour l’avenir…

Cela vaut pour tout le monde. Il y a de nouveau cette logique selon laquelle si vous avez un second logement, c’est que la vie est facile pour vous. Mais non! En réalité, il faut réhabiliter l’ascenseur social et montrer à la classe moyenne que quand elle bosse, elle peut gagner du pognon et elle peut accroître son patrimoine. C’est la clé de voûte du progrès de nos sociétés. Certains m’ont rétorqué que ce ne devait pas être un idéal: évidemment, quand on a de l’argent soi-même, c’est beaucoup plus facile de dire aux autres qu’ils devraient faire preuve de modération.

François De Smet
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François De Smet (DéFI): “Nous devons faire basculer la fiscalité”

“Un revenu net de 6.000 euros, cela concerne peu de monde, s’exclame François De Smet, président de DéFI. Seuls 10% des salaires, en Belgique, dépassent le niveau de 5.800 euros brut.” Donc, oui, avec 6.000 euros net, on est plutôt riche. Mais le vrai débat doit surtout concerner ces salaires qui sont outranciers parce qu’ils “ne correspondent plus à un travail” ou, estime le philosophe, qui n’ont d’autre volonté que de se concurrencer les uns les autres, alors qu’ils sont “indépensables”. Un changement de paradigme doit aussi intervenir, sous la forme d’un déplacement de la taxation du travail vers celle des revenus du capital. “Il faut un certain courage politique pour mener un tel débat, souligne le leader d’opposition. Voilà pourquoi une telle réforme doit être menée en début de législature.” Traduisez: pour la Vivaldi, il est peut-être déjà trop tard. Insistant sur l’importance de la justice fiscale, François De Smet estime qu’il faut davantage aider fiscalement les jeunes qui veulent acheter leur premier logement que faire un “cadeau” à l’achat d’une seconde ou d’une troisième résidence. Et s’il s’agit de donner une garantie pour l’avenir aux indépendants, cela doit plutôt passer par une revalorisation de la pension.

Un des arguments de ceux qui s’opposent à ce soutien à l’achat d’une seconde résidence, c’est qu’il est préférable d’aider les jeunes à acquérir leur premier logement…

Premièrement, le mécanisme d’aide pour accéder à son premier logement existe, que ce soit en Wallonie ou à Bruxelles. Et contrairement à ce que l’on dit, la Flandre n’a pas supprimé le soutien, puisque les droits d’enregistrement y sont désormais de 3%.

Deuxièmement, je rappelle que les jeunes ont des parents. Il faut arrêter ce cinéma: si les parents parviennent à acquérir un deuxième logement grâce au fruit de leur travail, en général, c’est pour faire plaisir au gamin ou à la gamine et l’aider à démarrer dans la vie. Il faut arrêter de considérer que nous serions tous des orphelins et que le patrimoine ne se transmettrait pas de génération en génération.

Moi, je suis sidéré par la société dans laquelle on vit, où la bêtise semble avoir pris le pouvoir. Déjà à l’époque napoléonienne, on avait compris que faire naître une classe moyenne et une petite bourgeoisie dotées d’un patrimoine qui passerait d’une génération à l’autre, c’était une clé de la richesse du pays. Nous sommes dans une société un peu bizarre où l’on a totalement nié le rapport à la solidarité familiale. Je sais qu’il y a plein de situations différentes, je suis libéral, donc je pense qu’il faut autonomiser l’individu, mais c’est aussi une réalité. Si l’on dit aux gens qu’ils travailleront toute leur vie sans pouvoir acquérir un logement pour leurs enfants, très franchement, certains arrêteront de bosser.

Certains disent aussi que l’on devrait travailler davantage à la revalorisation des pensions, notamment pour les indépendants. Est-ce une autre option?

Pour revaloriser les pensions, la seule option, c’est de faire de la convergence entre les statuts.

Cela se fait petit à petit, non?

A ce niveau-là, on ne peut plus dire “petit à petit”, mais “à pas de fourmi”. Cette convergence est la clé. Nous ne pouvons pas continuer dans un régime qui coûte 42 milliards par an, qui augmente d’un milliard d’euros chaque année et qui génère des pensions qui vont du simple au double pour des gens exerçant exactement la même fonction. Si vous conduisez votre bus comme indépendant à titre principal, vous aurez une pension de 50% inférieure à celle des chauffeurs du Tec ou de De Lijn. Cela n’a pas de sens. Il y a aussi le cas bien connu de deux fonctionnaires assis au même bureau, qui auront eux aussi des pensions complètement différentes parce que l’un est statutaire et l’autre, contractuel. Les études universitaires montrent que si vous êtes propriétaire de votre maison, vous réduisez de façon drastique le risque de tomber dans la pauvreté ou d’avoir des difficultés au moment de votre retraite. Je sais que beaucoup d’économistes disent qu’être propriétaire de son logement n’est pas forcément le plus intelligent parce qu’avec la fiscalité et les frais d’entretien, on n’arrive jamais à récupérer sa mise. C’est vrai. Mais le fait d’être locataire impose d’avoir un niveau de revenu constant sur une longue période et donc, d’avoir une certitude. Dans un monde plein d’incertitudes, et les Belges l’ont bien compris, être propriétaire offre une certaine sécurité. Aux Etats-Unis, la crise des subprimes a donné lieu au tsunami que l’on connaît. Le vrai enjeu, c’est de faire en sorte que les gens soient propriétaires de leur logement tout en étant encouragés à investir à risque l’argent qui dort sur les comptes d’épargne. Mais aujourd’hui, on dit tellement de mal de l’investissement boursier, on taxe à ce point les compte-titres et les produits financiers sécurisés et on vilipende tant le monde de l’entreprise, que les gens ayant un peu d’épargne ne pensent plus qu’à une chose: investir dans la brique.

Je pose une question toute bête: a-t-on encore le droit de gagner de l’argent? Et si l’on en gagne, où peut-on le placer? On pousse la population à acheter des montres, à ranger ses billets sous le matelas et à avoir des comportements qui ne sont pas du tout intéressants sur le plan macroéconomique.

Maxime Prévot
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Maxime Prévot (cdH): “La richesse? Se passer volontairement de travailler”

“Avec 6.000 euros net, on gagne très bien sa vie puisque c’est plus ou moins le double du salaire moyen brut, estime Maxime Prévot, président du cdH. Mais la richesse dépend aussi du patrimoine. Celui ou celle qui gagne moins, mais qui dispose de plusieurs biens immobiliers, par exemple, peut probablement profiter d’une certaine aisance. La composition familiale, le fait d’avoir une ou plusieurs sources de revenus, des pensions alimentaires à payer, d’avoir éventuellement hérité, sont des paramètres qui influencent la situation patrimoniale. Etre riche n’est donc pas une notion univoque.” Le président humaniste conclut: “Au fond, tout est assez relatif, et la richesse matérielle n’est-elle pas de pouvoir se passer volontairement de travailler?”

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