Denis-Emmanuel Philippe

Enfin une réponse adéquate aux Paradise Papers ?

Denis-Emmanuel Philippe Avocat-associé Bloom Law - Maître de conférences (ULg)

Une obligation de déclaration des montages de planification fiscale par les conseillers fiscaux dissuadera ces derniers d’échafauder des montages d’optimisation fiscale agressifs, estime Denis-Emmanuel Philippe, avocat associé chez Bloom Law.

L’affaire Paradise Papers a dévoilé l’utilisation de sociétés offshore, par des particuliers fortunés (Bono, Madonna, Jean-Claude Van Damme…) et des grandes entreprises (Nike, Tiffany, Janssen Pharma…), à des fins purement fiscales.

Les personnes physiques aisées et les dirigeants de multinationales ne sont pas des surdoués de la fiscalité. Pour mettre en place leurs montages d’ingénierie fiscale, ils se font assister par un bataillon de professionnels: avocats, conseillers fiscaux, consultants, banquiers, etc.

Ces experts fiscaux, qui étaient jusqu’ici épargnés par ces scandales à répétition, sont aujourd’hui dans la ligne de mire. Ainsi, une proposition de la Commission européenne du 21 juin 2017 prévoit-elle que les intermédiaires doivent transmettre aux autorités fiscales des informations relatives à certains dispositifs fiscaux à caractère potentiellement agressif.

Cette obligation déclarative doit avoir lieu dans un délai de cinq jours ouvrables, commençant le jour suivant la mise à disposition du dispositif de planification fiscale au contribuable. Soit avant la mise en oeuvre du montage ! Cette mesure procède du constat que le fisc arrive souvent trop tard (après l’expiration des délais de prescription). L’idée consiste à permettre aux autorités fiscales des États membres de réagir rapidement contre les pratiques fiscales dommageables, en procédant à des contrôles fiscaux ciblés.

Nul n’est besoin de préciser que cette obligation déclarative aura un effet dissuasif pour les professionnels qui conçoivent et commercialisent des montages d’optimisation fiscale. Pourquoi aller proposer une planification fiscale à un client si c’est pour ensuite aller la déclarer au fisc, lequel ne manquera pas de tout mettre en oeuvre (en dégainant son arsenal de mesures anti-abus) pour neutraliser le schéma ?

Et quid si l’intermédiaire omettait de déclarer au fisc les informations concernant la construction fiscale ? Dans ce cas, il s’exposera à de lourdes sanctions financières, sans oublier le risque d’atteinte à sa réputation.

On anticipe déjà les questions que vont irrémédiablement se poser les praticiens de la fiscalité, en cas d’adoption de cette proposition de directive. Qui sont les intermédiaires visés ? Quels sont les montages de planification fiscale devant faire l’objet d’une déclaration ?

Qui est soumis à l’obligation de déclaration ?

La notion d’intermédiaire est très large, puisqu’elle couvre toute personne qui assume la responsabilité vis-à-vis du contribuable de la conception, de la commercialisation, de l’organisation ou de la gestion de la mise en oeuvre des aspects fiscaux d’un montage de planification fiscale. Est également visée toute personne qui s’engage à fournir, directement ou indirectement, une aide matérielle, une assistance ou des conseils en ce qui concerne la conception ou la mise en oeuvre du dispositif. L’obligation déclarative s’appliquera principalement aux avocats, comptables, conseillers fiscaux, banques et consultants.

Dans certaines situations, l’obligation déclarative est toutefois reportée sur les épaules du contribuable (par exemple, le riche particulier ou la multinationale). Il en va ainsi lorsque :

  • l’intermédiaire est établi en dehors de l’Union européenne (par exemple, à Hong Kong ou aux États-Unis) ;
  • l’intermédiaire bénéficie du secret professionnel en vertu de la législation nationale de son État membre (par exemple, un avocat) ;
  • le contribuable conçoit et met en oeuvre lui-même le montage d’optimisation fiscale, sans recourir à un intermédiaire. On songe en particulier à l’hypothèse où les fiscalistes “in house” d’une multinationale échafaudent eux-mêmes un dispositif fiscal transfrontalier agressif, sans recourir à des conseillers fiscaux externes (par exemple, les conseillers fiscaux d’un big four).

Quels sont les montages fiscaux agressifs déclarables ?

Il ne faut pas se fourvoyer : les conseillers fiscaux ne devront pas déclarer l’intégralité de leurs astuces à l’administration fiscale de leur État de résidence. La proposition de directive vise essentiellement les systèmes d’évasion fiscale à grande échelle. Seuls sont concernés les dispositifs de planification fiscale transfrontaliers comportant certaines caractéristiques – appelées “marqueurs” – révélatrices de leur caractère potentiellement agressif, notamment :

  • La mise en place d’un dispositif où l’intermédiaire est en droit de percevoir des honoraires, qui sont fixés par référence au montant de l’avantage fiscal découlant du dispositif (“success fee” ou “premium fee“).

Exemple: un conseiller fiscal belge conçoit et met en oeuvre, pour un particulier belge fortuné, une construction fiscale sophistiquée impliquant la constitution de structures sociétaires au Grand-Duché. Ses honoraires dépendent en partie de l’avantage fiscal (2% du montant de l’économie fiscale réalisée en Belgique, grâce à la mise en oeuvre du dispositif).

  • Le recours à un dispositif prévoyant la déduction de paiements à une société liée faiblement taxée.

Exemple: une société belge paie des intérêts ou des royalties à une société étrangère liée, qui bénéficie d’un régime fiscal préférentiel (exonération partielle ou totale de ces intérêts/royalties);

  • La mise en oeuvre de dispositifs mettant en scène des juridictions non liées par les accords d’échange automatique d’informations ou pourvues de régimes inadéquats en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux.

Exemple: un conseiller fiscal met en oeuvre un dispositif dans le but précis d’aider son client à éviter les échanges automatiques d’informations sur les comptes financiers (CRS). Tel serait le cas s’il aidait son client à transférer de l’argent vers une banque située au Dakota (États-Unis), pour éviter que les données financières concernant le compte soient transmises vers le fisc belge.

Cette proposition de directive recueillera très vraisemblablement l’assentiment de tous les États membres. La directive entrera en principe en vigueur à partir de 2019.

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