Tom Théobald, CEO de Luxembourg for Finance, était dernièrement de passage à Bruxelles. Dix ans après la fin du secret bancaire, il souligne la vitalité de la place financière luxembourgeoise, qui élargit désormais son champ d’expertise vers des domaines sophistiqués tels que les fonds alternatifs, les ETF, la banque d’entreprise ou encore les actifs numériques.
Dix ans après la disparition du secret bancaire, comment se porte aujourd’hui la place financière luxembourgeoise ?
Finalement, l’impact a été bien moindre qu’on ne l’imaginait. Le secteur financier luxembourgeois emploie aujourd’hui plus de 73.000 personnes. Le secret professionnel existe toujours, comme dans tous les pays, mais le secret bancaire au sens fiscal a disparu. Une grande partie du secteur financier luxembourgeois n’a jamais été concernée : l’industrie des fonds, qui est la plus importante en volume, n’y était pas liée. Même dans la banque privée, l’activité continue à croître.
Plus précisément ?
Le profil des clients a évolué. On est désormais loin du cliché du dentiste belge qui empruntait la route d’Arlon pour venir encaisser ses coupons. Il s’agit désormais davantage de “high net worth individuals” à dimension internationale, c’est-à-dire des personnes ultra fortunées dont les avoirs augmentent régulièrement. Aujourd’hui, la banque privée au Luxembourg gère environ 630 milliards d’euros d’actifs, un montant qui a doublé en dix ans.
Comment expliquez-vous cette progression malgré les secousses des marchés ?
Parce que la dynamique reste très positive. Selon le dernier Global Wealth Report de Deloitte, le Luxembourg figure parmi les centres en forte croissance, aux côtés de Hong Kong. On observe un intérêt croissant des family offices pour s’établir ici ou utiliser le Luxembourg comme plateforme de structuration patrimoniale et d’investissement. Cela s’explique par la force de notre écosystème en matière de fonds alternatifs et de gestion de patrimoine.
La place profite-t-elle du boom des actifs privés ?
Oui, le private equity, la dette privée ou encore le financement d’infrastructures connaissent une croissance très soutenue. L’an dernier, les fonds luxembourgeois de private equity et de dette privée ont progressé de plus de 20 %. Aujourd’hui, plus d’un tiers des actifs sous gestion au Luxembourg sont logés dans des fonds alternatifs. A côté des investisseurs institutionnels, les clients fortunés, family offices et banques privées entrent dans ce segment. Cela attire de nouveaux acteurs, y compris de grands cabinets d’avocats américains et britanniques qui ouvrent des bureaux au Luxembourg.
L’autre grande tendance, ce sont les ETF ?
Absolument. Depuis quelques années, on constate un essor des fonds passifs, notamment parce qu’une nouvelle génération d’investisseurs utilise des plateformes numériques pour investir. Les ETF (fonds indiciels cotés) répondent à cette demande. Le Luxembourg est aujourd’hui la deuxième place européenne derrière l’Irlande, avec environ 500 milliards d’euros sous gestion dans les ETF. Nous avons adapté notre cadre réglementaire pour soutenir ce développement, par exemple en supprimant la taxe d’abonnement pour les ETF actifs et en clarifiant les règles de transparence. C’est un atout pour attirer les gestionnaires d’actifs.
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Le Luxembourg mise aussi sur les actifs numériques et la tokenisation ?
Oui, c’est un domaine encore jeune mais prometteur. Nous avons progressivement adapté notre législation pour donner une sécurité juridique aux acteurs qui utilisent la blockchain, que ce soit pour émettre des obligations numériques ou tokeniser des fonds. On a déjà vu des initiatives concrètes : la Banque européenne d’investissement a émis une obligation numérique au Luxembourg, la banque HSBC y a installé un centre pour ses activités liées aux actifs numériques, et Franklin Templeton a lancé le premier fonds monétaire tokenisé en Europe. La tokenisation ouvre de nouveaux canaux de distribution pour les asset managers.
La réglementation européenne, notamment MiCA, change aussi la donne ?
Tout à fait. MiCA (Markets in Crypto-Assets) crée enfin un régime clair pour les crypto-actifs et les stablecoins. Désormais, les acteurs doivent obtenir une licence, avec un passeport européen, ce qui leur permet de proposer leurs services dans toute l’UE. Cela attire aussi des acteurs institutionnels. Par exemple, Standard Chartered vient d’ouvrir une succursale au Luxembourg pour offrir du custody d’actifs numériques. Cela montre bien que la demande est là, et qu’elle est de nature institutionnelle.
En résumé, quel est aujourd’hui l’argument clé du Luxembourg ?
La stabilité. Dans un monde instable, l’Europe reste une juridiction prévisible et fondée sur l’État de droit. Le Luxembourg offre un cadre réglementaire clair, une fiscalité stable et une expertise reconnue. C’est un argument de poids, tant pour les investisseurs privés que pour les institutionnels. Notre ambition est de continuer à positionner le pays comme un havre de stabilité et d’innovation au cœur de l’Europe.