Dominique Laboureix (CRU) démantèle les banques en difficulté: “Moins vous entendrez parler de nous, mieux cela sera”

Dominique Laboureix © KAREL DUERINCKX
Patrick Claerhout Patrick Claerhout is redacteur bij Trends.

“Je ne prétends pas qu’il n’y aura plus jamais de crise bancaire dans l’Union européenne, mais nos banques sont beaucoup plus résistantes aujourd’hui qu’il y a 15 ans”, affirme le Français Dominique Laboureix. Il dirige le Conseil de résolution unique (CRU), l’institution chargée de démanteler les banques en difficulté.

Au début de l’année, une potentielle nouvelle crise bancaire a fait couler beaucoup d’encre. Aux États-Unis, des établissements de taille moyenne comme la Silicon Valley Bank et la Signature Bank ont fait faillite. En Suisse, le Crédit suisse a dû être transféré à la hâte à son homologue, l’UBS. Toutefois, les craintes d’une contagion au système bancaire européen se sont révélées infondées.

“La crise s’est arrêtée aux portes de l’Union bancaire européenne”, se félicite Dominique Laboureix. “Cela prouve que notre système fonctionne. Nous avons une réglementation stricte, ce qui rend la résilience de nos banques bien plus élevée qu’il y a 15 ans, lorsque l’Europe a été confrontée à une grave crise bancaire”.

Le Français Laboureix dirige le Conseil de résolution unique (CRU). Il s’agit de l’institution européenne chargée de liquider ou de dissoudre les banques en difficulté (voir l’encadré “Parfois, nous laissons une banque faire faillite”). Ces dernières années, le CRU n’a eu à intervenir que lorsque la banque espagnole Banco Popular a connu des difficultés en 2017, et l’année dernière lorsque les filiales européennes de la banque russe Sberbank ont été liquidées.

“Moins vous entendrez parler de nous, mieux cela sera”, reconnaît M. Laboureix. “Si le CRU n’a pas à intervenir, cela signifie que les banques sont suffisamment solides et résistantes. Mais cela ne signifie pas que le CRU va continuer à rester les bras croisés. Au contraire, beaucoup de travail a été accompli en huit ans”, affirme M. Laboureix. “Nous avons réussi à doter les banques d’une capacité d’absorption suffisante des pertes et à élaborer des plans de résolution concrets pour chaque institution. En cas de crise bancaire, il s’agit d’être bien préparé et d’être prêt à intervenir”.

Qu’est-ce que cela signifie concrètement ?

1. Une bonne coopération avec les autorités de surveillance et de résolution locales

Le CRU travaille en étroite collaboration avec les autorités de résolution locales des 21 pays de l’Union bancaire européenne. Il travaille également en étroite collaboration avec les autorités de surveillance. En effet, le CRU est le deuxième pilier de l’Union bancaire européenne. La supervision bancaire unique (Mécanisme de supervision unique), exercée par la Banque centrale européenne (BCE), en est le premier pilier.

“Une bonne coopération entre les deux institutions est très importante”, a souligné M. Laboureix, qui a été superviseur à la Banque de France. “Si la BCE reçoit des signaux indiquant des problèmes, elle peut obliger une banque à prendre des mesures. Si les problèmes s’aggravent et deviennent une menace, nous prenons les devants. C’est pourquoi il est important que nous ayons élaboré tous les plans de résolution. Ces plans indiquent comment une banque peut être liquidée sans toucher aux dépôts protégés des clients et sans recourir à l’argent public”.

Afin de renforcer la coopération avec la BCE, le Conseil de résolution unique, basé à Bruxelles, procédera à un échange de personnel avec Francfort à partir de l’année prochaine. “Nous travaillons déjà très bien ensemble, mais en échangeant des équipes, nous voulons créer une culture commune encore plus forte”, explique M. Laboureix.

2. Des liquidités suffisantes

Pour liquider les banques en difficulté sans recourir aux fonds publics, il faut de l’argent. Beaucoup d’argent. De nombreuses questions ont déjà été posées à ce sujet par le passé. Les fonds disponibles sont-ils suffisants ? D’autant plus que les banques elles-mêmes ont dû financer le Fonds de résolution unique par des contributions annuelles.

“L’objectif était de créer un fonds contenant au moins 1 % des dépôts couverts”, explique M. Laboureix. “À la fin de cette année, nous aurons pratiquement atteint cet objectif. C’est un résultat très important, car nous pouvons désormais répondre aux besoins de solvabilité et de liquidité des institutions défaillantes. Cela devrait donner confiance au secteur bancaire européen”. Le fait que les banques doivent fournir elles-mêmes l’argent pour ce fonds, en plus de la constitution de leurs réserves pour absorber les pertes, est difficile à accepter pour certains banquiers. “Dans le passé, certains banquiers se sont plaints de devoir supporter eux-mêmes les coûts. Mais entre-temps, la plupart ont compris que le fait d’avoir des plans de résolution ET le financement pour les mettre en œuvre contribue à leur résilience”, répond M. Laboureix.

D’ici la fin de l’année, le Fonds de résolution unique disposera de 80 milliards d’euros. Selon M. Laboureix, ce montant est suffisant pour financer la plupart des plans de résolution des banques. Pour faire face à d’éventuels problèmes plus importants, il est prévu d’autoriser le CRU à emprunter de l’argent auprès du Mécanisme européen de stabilité (MES). Seule l’Italie tarde encore à approuver cette proposition.

“Si le feu vert est donné, nous aurons accès à 70 milliards d’euros supplémentaires”, a déclaré M. Laboureix. “Cela placerait nos ressources à peu près au même niveau que celles de notre homologue américain, la Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC). Et si cela ne suffit toujours pas, par exemple pour répondre aux besoins de liquidités de très grandes institutions, nous pourrons bien sûr continuer à coopérer avec les banques centrales”.

3. Créer et tester des plans de résolution

Mais que se passe-t-il si une grande banque européenne, comme la BNP Paribas ou la Deutsche Bank, est en difficulté ? “Si une institution est en difficulté, vous êtes de toute façon dans une situation de crise”, admet M. Laboureix. “C’est pourquoi il est important d’être aussi préparé que possible. Nous disposons de plans, de feuilles de route et de scénarios élaborés à l’avance, dont la faisabilité est ensuite testée.

“Un plan de résolution est dynamique”, explique M. Laboureix. “Les banques changent de stratégie ou de modèle d’entreprise, leur bilan et leur gouvernance peuvent évoluer, et de nouveaux risques apparaissent en permanence. Pensez aux cyber-risques, aux risques de réputation ou aux risques climatiques. Une banque comme la Sberbank, par exemple, disposait de ressources suffisantes, mais est devenue victime de la réputation de ses actionnaires en raison des sanctions européennes contre la Russie.”

Tous ces éléments et événements doivent être intégrés dans les plans de résolution et testés à maintes reprises sur le plan opérationnel. M. Laboureix souhaite faire de ce dernier point une priorité dans les années à venir : “Tout le monde doit être prêt à mettre en œuvre les décisions à prendre. En premier lieu, la banque en difficulté elle-même. Il ne suffit pas d’avoir une liste d’instruments de capital subordonné. Il faut aussi savoir où sont les obligations, qui les détient, combien elles valent, quels sont les codes ISIN, etc. C’est pourquoi nous allons effectuer davantage de missions sur place auprès des banques dans les années à venir, afin de vérifier très concrètement la mise en œuvre opérationnelle. En outre, le CRU et les autorités locales doivent également disposer d’équipes de crise prêtes à être déployées immédiatement.

4. Prendre exemple sur les crises bancaires dans d’autres régions

Plusieurs banques de taille moyenne ont déjà fait faillite cette année aux États-Unis et, en Suisse, un géant comme le Crédit Suisse a dû être sauvé via un rachat par UBS. Dans chaque cas, cela s’est fait avec l’aide de fonds publics ou de garanties. Ainsi, lors de la chute du Crédit Suisse, une partie du capital a été sauvée, tandis que les instruments de capital supplémentaires sont devenus sans valeur.

“Ce serait impossible dans l’Union européenne”, a souligné M. Laboureix. “En Europe, l’actionnaire perd toujours complètement son argent en premier lieu et ce n’est qu’ensuite que les détenteurs d’instruments de capital supplémentaire et d’obligations subordonnées sont pris en compte. Nous voulons être très clairs à ce sujet. En tant qu’autorité de résolution, notre objectif est d’être prévisibles, afin que les investisseurs sachent exactement à quoi s’en tenir.”

Selon M. Laboureix, le “bail-in” européen (qui consiste à mettre les créanciers dans le bain pour qu’ils absorbent les pertes) est l’outil privilégié pour résoudre une crise dans 80 % des cas. Mais il admet que dans certains cas, la vente d’une division ou d’une activité peut s’imposer : “Cela implique qu’il faut être suffisamment flexible en plus d’être prévisible. C’est ce qui s’est passé avec Banco Popular en 2017. Nous avons fini par vendre cette banque à Santander. Tout simplement parce qu’une vente était une meilleure solution qu’un bail-in. Il n’existe pas une seule recette unique applicable à toutes les banques.”

Dernière leçon donnée par le chef du CRU: “À la Silicon Valley Bank, aux États-Unis, on a assisté à la fuite plutôt rapide des dépôts. Cela signifie que, face à une crise, il faut réagir extrêmement rapidement. C’est pourquoi il est bon que nous disposions en Europe d’un outil de moratoire, qui nous permet de “geler” les comptes pendant deux jours. Par le passé, une banque était souvent fermée pendant le week-end, mais la chute de Banco Popular en Espagne s’est produite en milieu de semaine. C’est pourquoi nous avons créé cet outil, qui nous donne deux jours supplémentaires pour trouver une solution.

Parfois, nous laissons une banque faire faillite

Le Conseil de résolution unique a été créé en 2014 à la suite des grandes crises financières de 2008 et 2011. Un an plus tard, cette institution européenne est devenue opérationnelle. Le CRU a pour objectif de veiller à ce que les banques en difficulté soient liquidées sans que cela coûte aux contribuables et sans mettre en péril la stabilité financière. Pour ce faire, il a recours à un système de renflouement, dans le cadre duquel les détenteurs d’actions et d’obligations sont les premiers à encaisser les pertes.

“Notre objectif n’est pas de sauver la banque en tant que telle”, explique Dominique Laboureix, directeur du SRB. “Nous agissons dans l’intérêt de la stabilité financière. Si une résolution n’apporte pas de valeur ajoutée, que les dépôts des clients sont protégés et qu’il n’y a pas de risque de contagion, nous pouvons simplement laisser la banque faire faillite. Cela ne s’applique évidemment pas aux grandes institutions d’importance systémique, mais cela pourrait être le cas pour une petite banque”.

La résolution bancaire, après la supervision commune, est le deuxième pilier de l’Union bancaire européenne. Le troisième pilier doit être un système européen de garantie des dépôts. Mais ce projet est politiquement difficile à mettre en œuvre, les États membres restant pour l’instant responsables de l’assurance des dépôts jusqu’à 100 000 euros par client.

“Il serait plus logique de réglementer cela au niveau supranational”, estime M. Laboureix. “Mais politiquement, c’est une question délicate. Une proposition européenne est prête et elle reviendra sur la table à un moment ou à un autre. Quand ? Le plus tôt sera le mieux. Si nous pensons qu’une garantie commune des dépôts génère plus de confiance dans le secteur bancaire européen, alors nous devrions y aller. Mais son absence ne rend pas impossible le fonctionnement de l’union bancaire. Les deux premiers piliers fonctionnent bien et l’argent pour la garantie des dépôts se trouve maintenant dans les fonds nationaux.

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