Des nouveaux bons d’Etat qui feront moins mal aux banques

Vice-prime minister and Finance Minister Vincent Van Peteghem
Sebastien Buron
Sebastien Buron Journaliste Trends-Tendances

En choisissant d’émettre des bons d’Etat sur des durées plus longues qu’à un an comme ce fut le cas en septembre, le gouvernement écarte l’option de concurrencer frontalement le livret d’épargne des banques. Et donc, de ne (pas trop) les indisposer.

Le verdict est tombé. L’Agence de la dette n’émettra finalement pas de nouveau bon à précompte réduit à 15 % comme en septembre mais des bons d’Etat à 5 ans et 8 ans, dont les intérêts seront soumis à un précompte mobilier de 30 %. Les conditions définitives de l’émission (dont le taux d’intérêt brut) seront connues le mardi 28 novembre 2023. Quant à la période de souscription, elle se déroulera du jeudi 30 novembre 2023 au jeudi 7 décembre inclus.

Ne pas déstabiliser le secteur

A l’évidence, le gouvernement a donc choisi de ne pas concurrencer directement une nouvelle fois les livrets d’épargne des grandes banques. Comme le confirme Nicolas Claeys, expert en placements chez Testachats, “ce n’est pas le compte d’épargne qui va être concurrencer mais plutôt le compte à terme”. Pourquoi ? “D’abord parce que, selon Eric Dor qui enseigne à l’IESEG de Lille, le gouvernement peut avoir été préoccupé par la nécessité d’équilibrer la répartition des emprunts de l’Etat entre les différentes durées. Une nouvelle émission de bons d’Etat à un an aurait encore augmenté la part de la dette publique financée à court terme, qui aura à être remboursée assez vite, et qui devra donc être refinancée par de nouveaux emprunts d’ici relativement peu de temps. Cela aurait donc augmenté l’exposition de l’Etat au risque de remontée des taux d’intérêt, par exemple si l’inflation remontait à cause de nouveaux chocs énergétiques. Des émissions à 3 et 8 ans permettent de renforcer la partie de la dette dont le taux est garanti à moyen ou long terme.”

Surtout, l’équipe De Croo semble avoir voulu essayer d’éviter un nouveau choc de liquidité pour les (petites) banques risquant de se voir sensiblement fragilisées par une nouvelle fuite de capitaux. “Si ces émissions à 5 et 8 ans ont moins de succès que le bon d’Etat à un an de septembre, poursuit Eric Dor, il y aura une moindre réduction de l’encours des comptes d’épargne réglementée. Il y aura donc, pour les banques, un moindre manque à gagner dû à une baisse de leur encours sur la facilité de dépôt à la BNB qui leur rapporte 4 %, et une moindre obligation de compenser l’érosion des fonds sur les comptes d’épargne par d’autres sources de financement très coûteuses comme des emprunts interbancaires dont les taux sont hauts, des émissions d’obligations bancaires dont les taux exigés par les investisseurs sont très hauts, ou un recours aux opérations principales de refinancement de la BCE, par le biais de la BNB à 4,5 %”, avance l’économiste.

Nouvelle crise bancaire

On se souviendra en effet que le bon émis en septembre à l’initiative du ministre des finances Vincent Van Peteghem avait permis de collecter la somme record de 22 milliards d’euros grâce à des conditions imbattables par rapport à celles des comptes d’épargne. D’une durée d’un an, le bon d’Etat affichait un taux brut de 3,3 %, soit un rendement net de 2,80 %. Et ce, grâce à une réduction temporaire du précompte mobilier (15 % au lieu de 30 %). “A l’époque, aucune banque n’offrait une telle rémunération, même en tenant compte de la prime de fidélité, rappelle Nicolas Claeys. Les conditions étaient très concurrentielles par rapport aux livrets d’épargne.”

Les banques n’ont d’ailleurs guère apprécié de voir ainsi des milliards de dépôts d’épargne qui constituent une source de financement bon marché être aspirés par les caisses de l’Etat. Certains patrons de banques, à commencer par le CEO de KBC Johan Thijs, qui chiffre l’impact négatif sur les bénéfices du bancassureur à 212 millions d’euros au total, n’ont d’ailleurs pas mâché leurs mots à l’égard de la précédente émission qui, selon eux, constituait une forme de concurrence déloyale vis-à-vis du produit de placement le plus similaire, à savoir le compte à terme. Ce dernier, rappelons-le, étant quant à lui soumis au précompte normal de 30 % au lieu des 15 % qui prévalaient pour le bon d’Etat à un an. Ce faisant, plusieurs de ces patrons de banque ont également averti quant aux risques que représentait l’émission régulière d’un instrument défiscalisé de nature à déstabiliser le secteur et provoquer une nouvelle crise bancaire.

Pression moins forte

Pour Eric Dor, le gouvernement semble donc quelque part avoir entendu le message. En effet, “il semble vouloir mieux protéger la rentabilité des banques. La pression va donc être moins forte sur les banques pour encore augmenter les taux d’intérêt qu’elles offrent sur les comptes d’épargne réglementée, qui sont encore inférieurs à ce que pratiquent les banques de la plupart des autres pays de la zone euro”, estime le professeur qui ajoute : “Les grandes banques belges ont une rentabilité assez forte pour supporter une hausse du taux sur les dépôts d’épargne. Mais les petites banques d’épargne, dont les dépôts d’épargne réglementée représentent une grande partie du financement, et pour lesquelles les prêts hypothécaires sont une forte part des placements, avec un taux moyen sur le stock qui augmentent peu à cause du poids des anciens crédits octroyés à des taux très bas, ont moins de facilité pour augmenter les taux sur l’épargne réglementée, ou la remplacer pars d’autres sources coûteuses de financement.”

Intéressant quand même

Les nouveaux bons qui seront mis sur le marché en décembre devraient donc faire moins mal aux banques que le bon Van Peteghem. Bien sûr, “tout dépendra des conditions définitives et du rendement net qui sera offert, précise Nicolas Claeys. Celui-ci devrait varier entre 1,8 % et 2 %. On devrait être dans ces eaux-là. Le seuil de 2 % sera important. Mais est-ce que cela va pousser les banques à réagir et à se montrer plus compétitives ? Je ne le pense pas. Certaines offrent déjà plus sur le compte à terme et les comptes d’épargne de certaines proposent également des taux qui sont plus élevés.”

Ceci dit, ajoute Nicolas Claeys, “il pourrait être intéressant de sécuriser une partie de son épargne via ces nouveaux bons dans la mesure où les taux d’intérêt semblent aujourd’hui avoir atteint un plafond. On peut même penser qu’ils vont baisser. Souscrire aujourd’hui à des bons d’Etat aux durées plus longues, alors que les taux vont probablement se stabiliser voire diminuer, peut donc en soi être intéressant. Mais ce n’est pas par l’émission répétée de bons d’Etat que ce dernier arrivera à résoudre le manque de concurrence et de transparence dans le secteur bancaire”, complète l’expert de Testachats, plaidant à ce propos pour une fusion du taux de base et de la prime de fidélité en un seul taux, une amélioration de la mobilité des clients à l’image de ce qui se fait par exemple dans le secteur des télécoms, ainsi que l’extension de l’exonération fiscale du livret d’épargne à l’ensemble des revenus mobiliers.

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