Comptes bancaires: tous fichés!

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Qu’en est-il exactement de ce nouveau fichier central des comptes bancaires, dernière nouveauté fiscale du gouvernement ? Serons-nous bientôt tous en permanence épiés par le fisc ? Se rapproche-t-on du cadastre des fortunes ? Le point sur le sujet en 10 questions et réponses concrètes.

Tombée en pleine torpeur estivale, l’information est un peu passée inaperçue. Elle concerne pourtant des millions de Belges. Et risque d’en effrayer plus d’un. Jugez plutôt : tous les comptes en banque des clients des institutions financières belges seront bientôt dévoilés… et répertoriés ! Telle est la conséquence d’un arrêté royal daté du 17 juillet dernier relatif au fonctionnement du “point de contact central”. Celui-ci rassemblera toutes les informations des clients des banques du pays. Un énorme fichier qui devrait contenir des données relatives à une quarantaine de millions de comptes bancaires et une centaine de contrats concernant des prêts ou des emprunts hypothécaires. De quoi susciter pas mal d’inquiétude et d’interrogations. 1. Pourquoi un fichier central des comptes bancaires ? L’idée ne tombe pas du ciel. Elle remonte à avril 2011, lorsqu’il a été décidé d’assouplir le secret bancaire et de créer au sein de la Banque nationale de Belgique (BNB) un “point de contact central” qui rassemblerait les informations des clients des banques belges. Avec comme objectif de permettre au fisc de mener des enquêtes auprès des banques s’il dispose d’indices de fraude suffisants (train de vie disproportionné, compte à l’étranger non déclaré, etc.).

Rien de neuf donc. Si ce n’est que la mise en place de ce nouveau registre était attendue depuis deux ans, faute de texte de loi fixant ses modalités de fonctionnement. C’est aujourd’hui chose faite. Dès l’an prochain, les agents du fisc ne devront plus s’adresser à chacune des banques du pays pour avoir accès aux comptes d’un contribuable indélicat. Ils pourront se tourner vers la BNB, pour savoir s’il possède un ou plusieurs comptes et dans quelles banques.

2. Qui sera fiché ? Tout le monde ! Tous les clients des banques belges sont en effet concernés par ce nouveau répertoire, qu’ils soient belges ou étrangers. Il s’agit aussi bien des personnes physiques (Madame, Monsieur…) que des personnes morales (sprl, SA, asbl, etc.). Sont également concernées, les associations sans personnalité juridique (syndicats, sociétés civiles). Outre leur identité, il conviendra pour les banques (sociétés de Bourse, sociétés de leasing, organismes de crédit et prestataires de paiements, etc., mais donc pas les compagnies d’assurance) de transmettre les informations relatives aux comptes et aux contrats de leurs clients (particuliers ou sociétés). Dans ce contexte, “constituer une société civile restera malgré tout intéressant pour celui qui souhaite garder discret un compte en banque aux yeux du fisc”, signale d’emblée François Parisis, directeur de la structuration patrimoniale chez Puilaetco Dewaay. Selon lui, les banques ne seront pas tenues de communiquer le bénéficiaire économique de ladite société civile. 3. Quels comptes sont dans le collimateur ? Par compte, on entend “tout compte bancaire ouvert en Belgique qui permet au client d’une institution financière de percevoir des revenus, d’effectuer des retraits ou des versements en espèces, d’effectuer des paiements en faveur de tiers ou de recevoir des paiements d’ordre de tiers”, stipulent les termes de l’arrêté royal.

La définition est assez large. Elle permet de viser non seulement les comptes à vue mais aussi les comptes à terme ainsi que les comptes d’épargne réglementés ou non. Sans oublier les comptes-titres. Du moins si ceux-ci ne sont pas liés à un compte à vue. “Dans la mesure où il ne s’agit pas d’un compte permettant d’effectuer des paiements ou de recevoir des revenus, un compte-titres lié à un compte à vue n’apparaîtra pas dans le fichier, précise Rodolphe de Pierpont, porte-parole de Febelfin, la fédération du secteur financier. En revanche, l’existence isolée d’un compte-titres dans une institution financière fera, elle, bien l’objet d’une communication au point de contact.” En clair, tous les clients apparaîtront d’une manière ou d’une autre dans le fichier. Pour le fisc, cela facilitera les enquêtes ciblées à l’égard des fraudeurs.

Pour ce qui est des contrats, sont notamment visés : les crédits hypothécaires, les contrats de leasing, les prêts et ventes à tempérament portant sur des montants supérieurs à 200 euros ainsi que les ouvertures de crédit.

4. Que dévoileront les banques ? L’obligation de communication porte sur les comptes ayant existé à n’importe quel moment de l’année civile concernée. “Cela va donc plus loin que d’exiger simplement les comptes et contrats existants à la date de clôture de l’année civile, souligne à ce propos Marc Marlière, avocat spécialisé en droit fiscal au cabinet Xirius. Cette obligation permettra ainsi au fisc de suivre l’évolution d’un compte sur sa durée ou de retrouver la trace d’opérations ponctuelles qui sont effectuées dans le cadre de montages fiscaux.”

Toutefois, les banques ne sont pas tenues de communiquer les transferts effectués par leurs clients (dépôts, retraits ou virements) ni les soldes des comptes. Autrement dit, situe encore François Parisis, le fichier en lui-même ne comporte aucune information chiffrée sur la situation financière de son titulaire. “Pour autant que les conditions de la levée du secret bancaire soient remplies, le fisc aura un accès automatique au patrimoine financier d’un contribuable. Une fois les numéros de compte connus, les banques ne pourront pas s’opposer à sa demande d’information.”

5. Quand aura lieu la transmission des informations ? Pour les comptes, les informations relatives à 2010, 2011 et 2012 devront être transmises pour le 1er février 2014 au plus tard ; celles relatives à 2013 pour le 31 mars 2014. Par après, le fichier sera mis à jour chaque fois à la fin du mois de mars. Pour Sabrina Scarna, avocate-fiscaliste au cabinet Tetra Law, ce retour en arrière est choquant. “Cette rétroactivité n’a pas lieu d’être, affirme-t-elle. Elle me paraît complètement illégale. On demande aux banques de fournir des informations antérieures à l’entrée en vigueur de la loi d’avril 2011.”

Pour ce qui est des contrats en cours en 2014, la première transmission aura lieu pour le 31 mars 2015 au plus tard. Contrairement aux données relatives aux comptes, on ne remontera donc pas en arrière.

6. Qui aura accès à ce fichier ? Et dans quelles conditions ? Seuls certains fonctionnaires de l’administration fiscale seront habilités à consulter ce “point de contact central”. Et ce, rappelons-le, en cas de soupçon de fraude ou dans l’hypothèse où le contrôleur souhaite taxer un contribuable sur base indiciaire (train de vie qui apparaît comme disproportionné par rapport aux revenus déclarés).

En outre, l’accès ne sera possible que si le contribuable se montre récalcitrant. Autrement dit, si ce dernier refuse de collaborer : soit parce qu’il ne répond pas aux demandes de renseignement de l’administration, soit parce qu’il dissimule certaines informations. Seuls les fonctionnaires des contributions directes pourront formuler une demande de consultation du point de contact. “La consultation n’est pas encore étendue à toute l’administration fiscale”, observe Marc Marlière.

7. Quel sera le rôle de la Banque nationale ? Il sera limité. La vénérable institution fera office de boîte aux lettres. Une fois par an, les banques lui communiqueront l’état des comptes et des contrats de leurs clients (en cours ou clôturés durant l’année). “Il ne s’agit donc pas d’un fichier online”, fait remarquer François Parisis, surpris, dans la mesure où ce fichier est censé faciliter le travail non seulement du contrôleur mais aussi du receveur. “Cela signifie que l’administration fiscale n’aura jamais une information fraîche, poursuit le juriste de Puilaetco. Il ne lui sera pas possible de savoir en permanence dans quelle banque un contribuable est aujourd’hui client. L’outil correspondra mieux aux besoins du contrôleur des contributions qui examine la situation fiscale du contribuable pour les exercices écoulés que pour le receveur qui cherche à un moment donné à saisir les avoirs en compte détenu par un contribuable dans une banque afin de lui faire payer ses dettes d’impôt.” 8. Est-ce la fin de la fraude au livret ? Oui et non. Oui parce que jusqu’à présent, il était facile pour le contribuable d’échapper au précompte mobilier de 15 % sur les intérêts encaissés supérieurs à 1.880 euros en multipliant les livrets auprès de différentes banques sans les déclarer au fisc. Dorénavant, il sera possible pour le fisc de savoir si un contribuable possède plusieurs comptes d’épargne dans des institutions différentes afin de bénéficier plusieurs fois de l’exonération fiscale. Encore faut-il que, comme déjà mentionné plus haut, le contribuable concerné refuse de collaborer. Condition pour autoriser le contrôleur du fisc à en savoir plus sur l’étendue de son patrimoine financier. 9. Subsiste-t-il des zones d’ombre ? Renseignements pris auprès de la BNB, cette dernière affirme s’être mise au travail avec les différents acteurs en vue de respecter les délais fixés par la loi. Ceci dit, d’un point de vue technique, son fonctionnement risque de ne pas se faire sans mal. Diverses questions pratiques se posent déjà.

Ainsi, que se passera-t-il en cas de changement de titulaire de compte pendant l’année (en cas de succession notamment) ? Les pratiques peuvent différer d’une banque à l’autre. Plutôt que d’ouvrir un nouveau compte, certaines préfèrent remplacer le nom du titulaire existant.

Quid aussi des comptes en indivision ? Exemple : je donne mon compte bancaire à mon fils mais je m’en réserve l’usufruit. “Si la banque fait bien les choses, elle devrait normalement ouvrir un deuxième compte au seul nom de l’usufruitier sur lequel les revenus sont versés, situe Sabrina Scarna. Faudra-t-il dès lors communiquer les numéros des deux comptes ?”, se demande-t-elle. Réponse : oui. “Y compris si les comptes sont logés dans des institutions financières différentes”, précise Rodolphe de Pierpont (Febelfin).

10. S’agit-il d’un pas de plus vers la création d’un cadastre des fortunes ? Pour Marc Marlière, cela ne fait aucun doute. “Après l’obligation faite aux contribuables de déclarer l’existence de comptes étrangers dans leur déclaration fiscale, et à l’avenir de confirmer que les numéros de comptes étrangers ont été communiqués au point de contact central (lire l’encadré en page 30) ainsi que l’existence d’assurances-vie individuelles conclues par le contribuable auprès d’une compagnie d’assurance établie à l’étranger, c’est évidemment un pas de plus vers la levée progressive du secret bancaire. C’est ainsi un prélude au cadastre des fortunes tant critiqué par les libéraux.”

Avis que ne partage pas François Parisis. “Pour la plupart des contribuables, il n’y a rien de neuf sous le soleil. Les informations auxquelles pourront avoir accès les contrôleurs du fisc ne sont pas suffisamment étayées pour qu’on puisse parler d’un véritable cadastre des fortunes. Ce registre des comptes a d’abord vocation à faciliter le travail de l’administration lorsqu’elle fait ses recherches auprès des banques.” “C’est plutôt d’un cadastre des fortunes des fraudeurs dont il faut parler”, conclut le juriste de Puilaetco.

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