Ces quelques mots qui suffisent pour sauver la planète finance
Rassurer vite à coup de montagnes de liquidités et de propos tranquillisants pour enrayer la panique… Depuis la crise de 2008, banques centrales et chefs de gouvernement ont appris la musique.
On a évité le pire. Mais ce fut de justesse. Et il aura fallu appeler la cavalerie. Janet Yellen, la secrétaire américaine au Trésor ; Jerome Powell du côté de la Réserve fédérale (Fed) ; même le président Joe Biden est monté au créneau pour sauver les meubles. Le lundi 13 mars, la fermeture de la Silicon Valley Bank, deuxième plus importante faillite bancaire dans l’histoire des Etats-Unis derrière celle de Washington Mutual en 2008, pousse en effet le président américain à prononcer une courte et solennelle allocution à la Maison-Blanche.
Ses compatriotes peuvent “avoir confiance” dans le système bancaire américain qui est “safe”. Joe Biden assure qu’il fera “tout ce qui est nécessaire” (“whatever is needed”), que les fautifs seront poursuivis et qu’il demandera au Congrès de “renforcer” la régulation bancaire, durcie après la débâcle de Lehman Brothers mais allégée ensuite par son prédécesseur Donald Trump. Les mots ne sont pas sans rappeler la fameuse formule du “quoi qu’il en coûte” (“whatever it takes”) de Mario Draghi, l’ancien président de la Banque centrale européenne (BCE).
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Depuis la chute de Lehman Brothers et la crise de la dette européenne, les autorités politiques, économiques et monétaires ont appris de part et d’autre de l’Atlantique à rapidement dresser des pare-feux. Chez nous, c’est le gouverneur de la Banque nationale, Pierre Wunsch, qui a sorti l’extincteur dans L’Echo, le samedi 18 mars. Selon lui, les problèmes des banques régionales américaines ne devaient pas surgir en Europe où les exigences réglementaires sont plus strictes. “Il est très difficile d’imaginer le retour d’une crise financière”, avait-il indiqué. D’autant que nos banques belges sont plus solides que la moyenne européenne.
Le lendemain, dimanche 19 mars, le président de la Confédération helvétique, Alain Berset, déclarait également que l’opération de sauvetage du Credit Suisse n’était pas seulement “décisive pour la Suisse mais pour la stabilité de l’ensemble du système financier mondial”. Elle “contribue à rétablir des conditions de marché ordonnées et à assurer la stabilité financière”, saluait Christine Lagarde, présidente de la BCE, dans la foulée. “Nous sommes convaincus que les fonds propres et les liquidités des banques de la zone euro sont très satisfaisants”, martelait-elle encore le lendemain, lors d’une audition au Parlement européen.
“Rien ne vaut mieux qu’une communication claire. Mais elle doit l’être dans la durée.”
Comme le rappelle Mikael Petitjean, économiste en chef auprès de Waterloo Asset Management, professeur à l’IESEG School of Management et à l’UCLouvain, tout est en effet question de confiance dans l’industrie bancaire. “Cette confiance est à la fois subjective et fragile, dit-il. Il faut des années pour la bâtir et elle peut disparaître en quelques minutes. Et quand elle s’évapore dans le secteur bancaire, seuls les Etats et les banques centrales sont en mesure d’enrayer la panique. Lorsque l’incertitude est à son comble, rien ne vaut mieux qu’une communication claire.”
Néanmoins, poursuit-il, elle doit l’être dans la durée. “C’est la condition pour rester crédible, sinon on dévalorise sa parole et on ajoute de l’inquiétude à l’incertitude. Quand Joe Biden annonce pour calmer les marchés que le système bancaire américain est solide, tout le monde, à vrai dire, sait qu’il ne peut pas dire le contraire et que quelque chose ne tourne visiblement pas rond. Il devient alors particulièrement compliqué par la suite de rassurer si la tournure des événements s’aggrave. Il y a une forme de surenchère qui devient alors intenable à long terme. Ceci dit, se murer dans le mutisme ou communiquer de manière confuse n’est pas souhaitable non plus. Cela peut tout aussi bien renforcer les inquiétudes.”
On l’a d’ailleurs vu avec les hésitations des autorités américaines. Après avoir suggéré qu’elles n’allaient pas offrir de garantie pour les dépôts au-delà de 250.000 dollars, elles ont finalement fait marche arrière et accordé ces garanties à tous les déposants, pour ensuite déclarer que ces mesures n’allaient pas être automatiquement prises dans tous les cas. Janet Yellen a effectivement précisé qu’il n’y aurait pas d’ “assurance globale” pour les dépôts bancaires dans toutes les banques américaines sans un aval du Congrès.
“Veillons à séparer le bon grain de l’ivraie en laissant tomber les banques mal gérées.”
“La communication de Jerome Powell a été plus cohérente que celle de Janet Yellen, observe à ce propos Mikael Petitjean. D’abord parce que Janet Yellen n’a pas le pouvoir d’affirmer que tous les dépôts sont garantis. C’est une décision politique qui doit être prise par le Congrès américain. Ensuite parce que cela voudrait dire qu’on donnerait un blanc-seing à toutes les banques pour attirer le maximum de dépôts sans plus aucune considération pour le risque de retrait.”
Plus largement, tout cela pose la question de l’instrumentalisation de la régulation bancaire, selon Mikael Petitjean qui avertit: “Avant de jouer aux apprentis sorciers en adoptant des mesures extrêmes qui nous emmèneraient en terra incognita, comme nous le faisons régulièrement dans les domaines monétaires et budgétaires, veillons à séparer le bon grain de l’ivraie en laissant tomber les banques mal gérées sans impliquer le contribuable, pour permettre aux banques agiles de mieux se développer”.
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Et la couleur de la cravate de Jerome Powell ou du tailleur de Christine Lagarde dans tout ça? Décoder les signaux vestimentaires des banquiers centraux est devenu un sport en soi. Economistes et analystes s’amusent en effet de plus en plus à scruter ce genre de détails, a priori peu significatifs.
L’exercice est le prolongement sur un ton plus léger du travail, beaucoup plus sérieux, de celui qui consiste à décrypter les changements de ton dans la communication des banques centrales pour anticiper leurs décisions. Il suffit, par exemple, de repérer un mot ou une expression déplacés dans un paragraphe du communiqué de la BCE ou de la Fed pour y voir un indice de changement de cap. Du coup, certains estiment que la couleur de la cravate du patron de la Fed serait aussi un bon indicateur de la météo à venir pour les marchés.
Habituellement mauve, cette cravate est en effet parfois bleue. Dans ce cas, il faudrait faire attention. Par contre, si elle reste mauve, les observateurs y voient la même signification que la broche en forme de chouette de la présidente de la BCE, soit un statu quo de la politique monétaire, entre “faucons” orthodoxes et “colombes” plus souples…
“Honnêtement, je n’ai jamais fait attention à ce genre de détails, confie Mikael Petitjean. C’est évidemment trop aléatoire pour y attacher une quelconque importance. Certainement pas quand il est minuit moins cinq et qu’il s’agit d’éviter l’hécatombe. Ce qui compte, à ce moment-là, c’est d’enrayer la panique et de rétablir rapidement la confiance avec des déclarations fortes, qui restent avant tout cohérentes dans le temps.”
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