Bourse: le vaccin change la donne
La perspective d’une vaste vaccination et d’une normalisation de l’économie a offert un nouveau souffle aux Bourses. Tous les stratégistes ne sont toutefois pas convaincus que cela suffira à relancer les secteurs les plus touchés.
C’est peu dire que les progrès enregistrés dans la vaccination ont été bien accueillis en Bourse. Depuis le 9 novembre, date à laquelle Pfizer et BioNTech annonçaient un taux d’efficacité de plus de 90%, les indices se sont envolés. “La perspective d’une fin à la pandémie change la donne”, écrivait ainsi Frank Vranken, chief investment officer chez Puilaetco. Même si l’on sait qu’atteindre l’immunité collective prendra encore beaucoup de temps, le lancement de la vaccination offre des perspectives concrètes de normalisation de l’activité. L’actuelle période de transition inquiète d’autant moins les marchés que les vastes mesures de soutien monétaire et budgétaire atténuent l’impact de la pandémie sur l’économie.
Un vaccin efficace (et largement distribué) a toujours été le catalyseur manquant pour amorcer une reprise équilibrée.”
Alexander Roose (Degroof Petercam Asset Management)
Rotation de style
Evidemment, les Bourses progressaient déjà avant le lancement de la vaccination, les marchés ayant globalement atteint leur plancher le 23 mars 2020. Mais les piliers de cette progression ont largement évolué depuis début novembre comme l’explique Alexander Roose, Chief investment officer fundamental equity chez Degroof Petercam Asset Management: “Un vaccin efficace (et largement distribué) a toujours été le catalyseur manquant pour amorcer une reprise équilibrée. Les mouvements sectoriels ont été remarquables. Les secteurs cycliques et ceux touchés par le Covid se sont fortement redressés”. Sur les marchés, ce phénomène est baptisé “rotation de style”, les investisseurs délaissant les valeurs de croissance, globalement moins exposées au Covid-19, pour se recentrer sur les actions dites value.
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Ces dernières rassemblent globalement les entreprises traditionnelles exposées aux caprices de la conjoncture, comme le secteur bancaire, l’énergie, l’industrie lourde, etc. Sur des marchés boursiers longtemps dominés par les géants technologiques américains, cette rotation profite aussi aux plus petites entreprises et aux marchés d’actions européens, bien moins exposés aux sociétés de croissance.
Un retard… justifié?
Reste la question à un peu plus de 100.000 milliards de dollars (la valeur de l’ensemble des actions cotées dans le monde): cette rotation va-t-elle perdurer? Parmi les stratégistes, les avis divergent. D’un côté, Matt Orton, de Carillon Tower Advisers, ou Talley Leger, d’Invesco, évoquent un value trap, un rebond de courte durée prenant à revers les investisseurs ayant cru à une revalorisation durable. D’un autre, Savita Subramanian, de Bank of America, ou des analystes de Richardson GMP anticipent un redressement pluriannuel des actions value.
Leur principal argument est qu’elles sont restées très longtemps à la traîne. Au niveau mondial, l’indice MSCI World Value affiche une nette sous-performance depuis une décennie. Sur le plus long terme, c’est-à-dire depuis le début des données fin 1974, les actions value affichent pourtant un rendement comparable à l’indice global MSCI World. Pour combler son retard, l’indice MSCI World Value devrait afficher une surperformance de 37%!
Sur cette base, il est tentant de suivre l’avis de Savita Subramanian. Mais ne perdons pas de vue les raisons de la nette surperformance des actions de croissance depuis 10 ans: l’évolution technologique dans tous les secteurs. “La crise du coronavirus nous a appris que les capacités digitales (que ce soit en termes de produits ou de processus) représentent un réel avantage concurrentiel pour les entreprises”, précise ainsi Alexander Roose.
Banques et pétrole
L’opposition entre partisans et détracteurs des actions value se cristallise autour de deux secteurs: les financières et l’énergie. Prépondérants pendant des décennies en Bourse, ils sont en nette perte de vitesse depuis 2008.
Le cours du baril de pétrole n’a jamais retrouvé son élan d’avant la Grande Récession et ses envolées à largement plus de 100 dollars, notamment en raison du développement du pétrole de schiste aux Etats-Unis. La pandémie a ainsi contraint les principaux exportateurs, à savoir l’Opep et la Russie, à réduire davantage leurs quotas de production, ce qui a permis un rebond du prix du baril à plus de 50 dollars. Pour 2021, les 39 spécialistes interrogés par Reuters tablent sur une stabilité à 50,67 dollars en moyenne, un niveau auquel ont su s’adapter les groupes pétroliers. L’équilibre est toutefois fragile entre incertitudes sur l’évolution de la consommation, stocks conséquents et tensions diplomatiques entre les pays exportateurs.
Les banques souffrent pour leur part des taux très bas qui pèsent sur leurs revenus. En Bourse, le secteur bancaire européen a même atteint l’année dernière un plus bas en 30 ans en raison des craintes de lourdes pertes sur crédits (faillites d’entreprises, etc.). Les mesures des autorités ont contribué à amoindrir la menace mais l’impact demeure incertain. Même s’ils sont très différents par nature, ces deux secteurs sont assez proches pour l’investisseur. Ils sont très bon marché et ont vu leur horizon légèrement s’éclaircir avec le lancement de la vaccination. Mais ce sont des positions à surveiller comme le lait sur le feu, à réserver donc à l’investisseur actif.
Technologie cyclique
Il est toutefois un point sur lequel la plupart des stratégistes s’accordent. Quand Matt Orton déclare “se positionner en faveur des actions de croissance plus cycliques”, que Goldman Sachs préconise les actions value de qualité ou que Christian Schmitt, du gestionnaire allemand de fonds Ethenea, affirme préférer “les entreprises qui, tout en subissant les effets du confinement à court terme, continuent d’offrir une croissance structurelle convaincante à long terme”… Ils ciblent globalement la même partie du marché des actions. Celle située entre les grands groupes technologiques qui ont profité de la crise et les banques ou les pétrolières. L’objectif est d’y dénicher des actions qui ne sont pas encore trop chères et pourront profiter de la normalisation de l’activité économique.
L’un des secteurs plébiscités est celui des semi-conducteurs. Ce dernier avait déjà ralenti en 2019 sur fond de baisse des ventes mondiales de smartphones (-2,3% selon le cabinet IDC). La première moitié de 2020 a évidemment été plombée par la pandémie, avec une chute de 16% des ventes des smartphones au deuxième trimestre, mais la tendance s’est redressée dès le troisième (-1,3%). Pour la fin d’année, les premières indications sont plutôt favorables. Le fabricant allemand de puces, Dialog Semiconductors, a ainsi sensiblement relevé ses estimations pour le quatrième trimestre – tablant sur une croissance de 15% par rapport à 2019 – grâce à une forte demande pour les smartphones et tablettes compatibles avec la 5G. Structurellement, le secteur des semi-conducteurs est soutenu par le développement de l’Internet des objets, de l’intelligence artificielle ou l’accroissement des technologies embarquées dans une voiture.
Les analystes de Goldman Sachs citent notamment le concepteur de semi-conducteurs Qualcomm. De nombreuses sociétés européennes sont toutefois plus exposées à l’évolution de la conjoncture dans le secteur des semi-conducteurs comme les néerlandais Besi, NXP Semiconductors et ASMI, le français STMicroelectronics, les allemands Dialog Semiconductors et Infineon, sans oublier les entreprises contrôlées par Roland Duchâtelet: Melexis et X Fab. Le choix des fonds indiciels, ou ETF, permet d’investir aisément dans un panier d’entreprises, les spécificités de chacune n’étant pas toujours aisées à appréhender. Les sociétés de services informatiques aux entreprises, comme le belge Econocom, l’allemand SAP ou IBM, émargent aussi à cette catégorie intermédiaire entre croissance et value.
“Revenge spending”
On peut y ajouter les secteurs labellisés revenge spending, c’est-à-dire dans lesquels les ménages frustrés par des mois d’interdits vont dépenser l’épargne accumulée. Traditionnellement, l’un des principaux bénéficiaires est le secteur du luxe. On l’a effectivement encore constaté en Chine, pays où LVMH, leader mondial du luxe, a annoncé un “fort rebond” de ses ventes dès le deuxième trimestre 2020. L’Oréal (cosmétiques), Kering (Gucci, etc.) ou Hermès devraient aussi en profiter mais les marchés ont déjà largement anticipé, le groupe britannique Burberry faisant partie des quelques retardataires.
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Loisirs et tourisme
Les secteurs des loisirs et du tourisme devraient aussi largement profiter d’une normalisation de l’économie. Parmi les entreprises épinglées par les analystes, retenons les exploitants de cinémas (Kinepolis, Cineworld) et de parcs d’attractions (Walt Disney, SeaWorld Entertainment, Compagnie des Alpes), les groupes hôteliers (Accor, Hilton Worldwide), les spécialistes de la réservation de séjours (TUI, Booking Holdings), les chaînes de restauration (Starbucks, etc.). Les opinions sont plus partagées par rapport au secteur aérien. Le trafic devrait certes reprendre mais le cabinet de conseil IdeaWorks évoque une perte durable de 19% à 36% des voyages d’affaires, un segment qui génère plus de la moitié de profits de nombreuses compagnies.
Le secteur automobile est aussi régulièrement pointé comme potentiel bénéficiaire du revenge spending, en raison notamment de la crainte des transports publics dans le sillage de la pandémie.
Quid des obligations?
La reprise de l’économie est plutôt une mauvaise nouvelle pour les détenteurs d’obligations. Avec le début de la vaccination, les attentes d’inflation des marchés ont légèrement augmenté. Ce qui se traduit par une légère remontée des taux et donc un repli des cours des titres de référence, à savoir les obligations d’Etat. Plus l’échéance est longue, plus l’impact est important. Toutefois, la réouverture de l’économie est une bonne nouvelle pour les obligations d’entreprises, la crise fragilisant la santé financière de celles-ci et menaçant de les acculer au dépôt de bilan. Le potentiel de plus-value est toutefois limité, les interventions des gouvernements et des banques centrales ayant globalement ramené les cours à leur niveau d’avant la pandémie. Les stratégistes se tournent ainsi davantage vers les obligations des pays émergents.
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