Bons d’Etat : les banques ont gagné, mais à quel prix?

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Sebastien Buron
Sebastien Buron Journaliste Trends-Tendances

Nos banques peuvent se frotter les mains. Tout l’argent investi dans les bons d’État de septembre 2023 est revenu dans leurs comptes. Mais, en finance comme ailleurs, il n’y a jamais de repas gratuit.

Mission accomplie pour les banques. On peut même dire que la bataille pour rapatrier les milliards perdus du bon de septembre 2023 aura finalement tourné court. Moins de 400 millions : tel est le montant récolté par le dernier bon d’État. Un chiffre qui fait pâle figure face au succès rencontré l’année passée par le bon de Vincent Van Peteghem qui avait permis – mais faut-il encore le rappeler – de lever près de 22 milliards d’euros auprès de la population.

Pour l’Agence de la Dette, qui s’est, elle aussi, lancée dans la course aux milliards du bon d’État, c’est donc raté ! Son directeur, Jean Deboutte, espérait en effet conserver environ 4 milliards sur les 22 milliards remboursés aux épargnants début septembre. Avec 382 millions d’euros investis dans la nouvelle émission, on est loin de l’objectif fixé. Au lieu de récupérer entre 15 et 20% de l’argent remboursé aux épargnants, ce sont moins de 2% du magot qui ont été réinvestis dans la nouvelle émission par les Belges.

À qui la faute ? D’abord, bien sûr, aux taux d’intérêt. L’an passé, ils étaient à la hausse. Cette année, ils sont à la baisse. Un renversement de tendance auquel il faut ajouter un précompte mobilier classique de 30% qui a été appliqué à la nouvelle offre du gouvernement. Conséquence logique, cette nouvelle offre de l’État s’est vue être assortie d’un taux d’intérêt de 1,93% qui s’affichait bien en dessous des 2,81% nets offerts l’an dernier par le ministre des Finances. Son bon à un an avait bénéficié non seulement d’un précompte mobilier réduit à 15%, mais aussi d’une concurrence bancaire nettement moins affûtée qu’en ce début d’automne 2024.

Rendements gonflés

Un an après, rien de tout cela, bien au contraire. Les banques se frottent les mains. Alors que le secteur avait subitement vu s’envoler une masse de dépôts l’année dernière, il n’a laissé cette fois-ci que des miettes à l’État. Trois jours seulement après le lancement de la nouvelle campagne, BNP Paribas Fortis indiquait avoir déjà “capté” plus de deux milliards d’euros grâce à son offre visant à concurrencer la nouvelle obligation publique. Sur les 6,9 milliards d’euros investis l’an dernier par ses clients dans le bon d’État de septembre 2023, cela faisait déjà quasiment un tiers de rapatrié pour la première banque du pays.

Il faut dire qu’après la mauvaise surprise de septembre 2023, les grosses banques de la place (BNP Paribas Fortis, mais aussi KBC, Belfius et ING) n’ont pas lésiné sur le marketing pour récupérer leur butin. Du compte à terme au bon de caisse, la bataille a fait rage. Promettant des rendements nets bien supérieurs à l’offre du gouvernement, les promotions pour capter l’argent prêté à l’État belge en septembre dernier se sont multipliées cet été.

C’est ING qui a mis le feu aux poudres avec un nouveau compte à terme spécial “bon d’État”. Ce dernier donnait du 3,80%, et même du 4% pour ceux qui s’étaient pré-inscrits, soit un taux nettement plus élevé que celui en vigueur sur le marché obligataire pour la même échéance. Une offre canon sur laquelle Belfius s’est rapidement alignée, tout en prévenant qu’elle pourrait mettre fin à son offre à tout moment.

KBC a, pour sa part, lancé un compte à terme sur 13 mois (plutôt que sur un an) afin de gonfler son rendement brut à un peu plus de 4%. Et on n’est pas non plus resté les bras croisés du côté des petites banques: MeDirect, Crelan, Deutsche Bank ou encore Beobank ont, elles aussi, proposé des taux élevés sur leurs comptes à terme pour concurrencer le bon d’État durant la période de souscription.

Quant à BNP Paribas Fortis, la première banque du pays, elle est repartie avec une part du gâteau grâce à des produits structurés et plusieurs bons de caisse, offrant, là aussi, des taux supérieurs à l’offre de l’État et bien au-delà de ceux en vigueur sur le marché.

ING. La banque a offert sur son compte à terme un taux nettement plus élevé que celui en vigueur sur le marché. © BELGA

Marges rognées

Bien sûr, après cette offensive de charme, la voilure a rapidement été réduite. Moins d’une semaine après la fin de la campagne de souscription aux derniers bons d’État, les taux de ces comptes à terme ont été adaptés et revus à la baisse. Il n’empêche, en économie, tout finit par se payer. Il est clair que les grandes banques (et certaines plus petites) ont temporairement rogné sur leurs marges pour séduire les clients. Et certaines, à l’image d’Argenta, pourraient bien payer cher cette stratégie agressive sur les comptes à terme. Si la banque anversoise a enregistré un bénéfice net de 160 millions d’euros au premier semestre, celui-ci a toutefois reculé de 10% par rapport à l’année précédente. Une baisse qui s’explique principalement par la forte augmentation des intérêts payés par Argenta à ses clients sur ses comptes (à terme et d’épargne) pendant la campagne du bon d’État à un an de septembre 2023, lorsqu’elle s’était alignée sur son taux de 2,81% net.

Si le coût de la stratégie de récupération des fonds investis dans les bons d’État peut varier d’une institution à l’autre, celui-ci se chiffre donc potentiellement en centaines de millions d’euros pour le secteur bancaire dans son ensemble. Directeur de la recherche économique auprès de IESEG, l’école de management basée à Lille et Paris, Eric Dor rappelle néanmoins que le coût des ressources que les banques viennent de récupérer à leur passif, sous forme de dépôts à terme ou de bons de caisse, est à mettre en rapport avec le rendement des nouveaux prêts ou autres nouveaux placements par lesquels elles sont utilisées à l’actif.

“Il est vrai que certaines banques ont été jusqu’à proposer du 3,8% sur des dépôts à terme d’un an, mais ce coût est à mettre en rapport avec les taux auxquels elles peuvent utiliser l’argent ainsi collecté, sous forme de nouveaux prêts ou autres placements. Bien sûr, les banques perdraient de l’argent si elles plaçaient simplement cette nouvelle collecte sur la facilité de dépôt à la BNB, puisque, suite à la décision de la BCE, son taux va baisser à 3,5% à partir de ce mercredi, et continuera à baisser ultérieurement.”

Clients déçus

Cependant, ajoute Eric Dor, “si l’on se réfère aux statistiques de la BNB et de la BCE pour juillet, les taux moyens sur les nouveaux prêts des banques belges, à l’exception des prêts immobiliers, sont bien supérieurs à 3,8%”, souligne l’économiste, faisant référence aux taux pour des catégories de nouveaux prêts comme le crédit à la consommation ou ceux liés à une carte de crédit qui peuvent facilement tutoyer la barre des 10%. Par conséquent, “les banques devraient être en mesure d’éviter toute perte sur l’argent qu’elles ont récupéré du remboursement à leurs clients du bon d’État de septembre 2023”, estime Eric Dor.

Là où les banques ont sans doute aussi limité les coûts, c’est en jouant sur le caractère limité des offres. Nombre de clients n’ont pas pu profiter des beaux taux offerts dans la mesure où ceux-ci étaient réservés à l’argent frais, c’est-à-dire à l’épargne qui n’était pas déjà en compte.

“Si les banques avaient fortement augmenté le taux d’intérêt moyen sur tout le stock des dépôts à leur passif, il aurait fallu le comparer au rendement moyen de l’ensemble du stock de leurs prêts, anciens et nouveaux. Il aurait alors pu y avoir un gros problème car beaucoup d’anciens prêts ont été accordés à des taux très bas, explique encore Eric Dor. Mais les banques ont évité de procéder de cette manière. Leur stratégie a plutôt été de se limiter à proposer des taux attractifs sur une partie de leur passif, à savoir les dépôts à terme ou les bons de caisse, et parfois même en limitant l’accès à de l’argent frais, issu du remboursement des bons d’État ou de comptes chez d’autres banques.”

“Leur stratégie a plutôt été de se limiter à proposer des taux attractifs sur une partie de leur passif, les dépôts à terme ou les bons de caisse.” – Eric Dor (IESEG)

La vérité, c’est qu’elles ont surtout veillé à leurs intérêts plutôt qu’à ceux des épargnants passifs qui laissent leur argent sur un compte d’épargne ordinaire. Seuls les épargnants dynamiques qui sont allés voir ailleurs ont pu obtenir un meilleur rendement pour leur argent. Pour ces derniers, l’infidélité faite à leur banque a payé. Et comme le souligne Eric Dor, “elle a même doublement payé pour ceux qui avaient profité du bon d’Etat de septembre 2023 et qui aujourd’hui ont profité des offres attractives des banques pour les récupérer”.

Compensation

Quid des déçus ? Des déçus qui risquent de l’être d’autant plus que certains ont évoqué la possibilité de voir les prêts hypothécaires être impactés négativement en guise de compensation… Récemment, Pierre Wunsch, le gouverneur de la Banque nationale, a d’ailleurs exprimé, sur les plateaux de la VRT, sa préoccupation à propos des risques d’une concurrence accrue. Les banques sortent à peine d’une longue période de taux d’intérêt très bas, qui s’est également répercutée sur les prêts hypothécaires. “Il existe désormais une concurrence entre les banques, peut-être même trop, a déclaré notre grand argentier. Les banques ont à leur bilan des prêts hypothécaires à 1,5% pendant 20 ans. Elles ne peuvent donc pas donner à tout le monde un intérêt de 3,8% sur un compte à terme.”

Alors, les crédits hypothécaires vont-ils devenir plus chers à cause de la bataille pour l’argent du bon d’État ? Seule certitude : les banques belges voient la rentabilité des prêts hypothécaires chuter sous l’effet d’une concurrence féroce et de taux fixes bas. Lors de la présentation des résultats de BNP Paribas Fortis, son CEO, Michael Anseeuw, a révélé que les marges de la banque sur ces crédits avaient chuté de 70%. Une pression sur les marges qui s’est bien évidemment encore accentuée avec la chasse aux 22 milliards d’euros partis vers le bon d’État l’an dernier, en augmentant fortement la rémunération des produits d’épargne pour séduire les clients. Reste que ces prêts hypothécaires devenus moins lucratifs sont, comme on l’a dit, compensés par d’autres types de crédits ou d’autres produits dont les marges restent confortables.

Car comme le précise Eric Dor, “la stratégie de moyen et long terme des banques était avant tout de récupérer cet argent de leurs clients afin d’être en mesure de leur proposer ultérieurement, d’ici un an par exemple, des placements sur lesquels elles peuvent dégager des commissions ou de bonnes marges.”

382 millions d’euros = la somme récoltée par le dernier bon d’État à un an.

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