Rudy Aernoudt
Banque et banques fantômes
La crise financière et la crypto-crise posent cette question fondamentale: quel rôle l’Etat est-il appelé à jouer? Le débat pourrait bien s’inviter à la table du réveillon de Noël.
Certaines similitudes sont vraiment frappantes. A son apogée en 2008, avant sa fusion annoncée avec ABN-Amro, la banque Fortis cotait 35,5 euros par action, soit une capitalisation de 46,4 milliards d’euros. Equivalant à 10% du PIB de la Belgique à l’époque, l’enseigne était jugée “too big to fail”. On sait ce qui lui est arrivé…
Bien qu’évaluée à 32 milliards de dollars en début d’année, la banque fantôme FTX, crypto-plateforme basée aux Bahamas, a fini par sombrer en novembre dernier. Il ne reste rien de ces 32 milliards. Selon les estimations, FTX devrait 3 milliards de dollars à ses 50 plus gros clients, à savoir les crypto-titulaires, dont des fonds et des investisseurs réputés.
Seules les crypto-mésaventures incitent l’Etat à recadrer le crypto-phénomène.
Autre similitude: l’inertie de l’Etat qui attend la débâcle pour réglementer. L’union bancaire européenne a vu le jour grâce à la crise financière et seules les crypto-mésaventures incitent l’Etat à recadrer le crypto-phénomène. Au niveau européen, la loi sur le marché des crypto-actifs, autrement dit la loi MiCA, a été approuvée par le Parlement européen en novembre. Cette loi a pour but de protéger les consommateurs et d’empêcher le blanchiment d’argent par le biais des cryptomonnaies. Conformément à la loi, les fournisseurs de crypto-services doivent être agréés par les autorités nationales pour pouvoir oeuvrer en Europe.
En Chine, les cryptomonnaies sont désormais interdites.
Les opérateurs de “stablecoins”, à savoir les cryptomonnaies adossées à une référence extérieure, sont en outre obligés de disposer de “liquidités suffisantes”, en partie sous forme de dépôts bancaires, au cas où… Les stablecoins sont par ailleurs soumis au contrôle de l’autorité bancaire européenne et les opérateurs doivent assurer une présence physique dans l’Union européenne pour pouvoir battre monnaie sur le Vieux Continent. Les Etas-Unis et le Royaume-Uni planchent sur une réglementation similaire. En Chine, les cryptomonnaies sont désormais interdites.
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Troisième similitude: les deux institutions étaient jugées solides par les agences de notation: Fortis affichait un A+ (risque quasi nul) et FTX un B+, synonyme de grande fiabilité dans le jargon crypto-financier.
Entre Fortis et FTX, il y a toutefois des divergences. Si les actionnaires de Fortis en furent pour leur argent, les épargnants ont été relativement préservés grâce à la clause de protection, et surtout parce que l’Etat a racheté l’entreprise pour un dixième de sa valeur de capitalisation (4,7 milliards) et l’a revendue à BNP Paribas afin de prévenir l’effet domino sur les autres institutions financières. A l’instar des actionnaires de Fortis, ceux de FTX ont eux aussi trinqué, mais contrairement à ce qui s’est passé avec Fortis, les dépositaires (à savoir les détenteurs de crypto-dépôts) ont également perdu leur mise.
Dans le monde des cryptomonnaies, l’Etat n’intervient pas en tant que protecteur. Dès lors, l’effet domino ne peut être endigué et d’autres entreprises dans le sillage de FTX luttent pour leur survie. La crypto-plateforme de prêt Genesis a, par exemple, perdu 175 millions de dollars dans la débâcle FTX et a fait savoir à ses dépositaires qu’elle avait gelé 2,1 milliards d’actifs et qu’elle fait l’impossible pour éviter la faillite.
La crise financière et la crypto-crise posent donc cette question fondamentale: quel rôle l’Etat est-il appelé à jouer? Doit-il venir à la rescousse des entreprises en difficulté et y injecter ses recettes fiscales, comme ce fut le cas lors de la crise financière, ou doit-il se contenter de réglementer et abandonner les investisseurs à leur triste sort? Le débat pourrait bien s’inviter à la table du réveillon de Noël.
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