Alain Durré (Goldman Sachs): “L’impact du coronavirus? Limité et transitoire”

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Economiste chez Goldman Sachs à Paris, Alain Durré reste confiant malgré l’épidémie du coronavirus et les risques de guerre au Moyen-Orient.

Economiste en chef au sein du bureau parisien de Goldman Sachs, notre compatriote Alain Durré était dernièrement de passage à Bruxelles. L’occasion d’évoquer avec lui les préoccupations géopolitiques et sanitaires du moment.

TRENDS-TENDANCES. Le coronavirus va-t-il plomber les Bourses ?

ALAIN DURRÉ. Au-delà de la baisse actuelle de court terme reflétant la réaction du marché à un choc non anticipé, la vraie question est de savoir si cette baisse va durer. Et la réponse dépendra de l’ampleur du virus. L’expérience passée (avec d’autres virus comme le virus respiratoire SRAS ou Ebola) suggère un impact négatif de courte durée : l’Euro Stoxx 50 a baissé historiquement de 6% en moyenne pendant la déclaration du virus mais a rebondi après trois semaines, une fois le virus contenu. Si l’histoire se répète, l’impact financier et économique du coronavirus sera limité et transitoire à moyen terme.

Autre préoccupation : l’Iran. Faut-il s’inquiéter de la montée des tensions avec les Etats-Unis ?

Cela peut paraître paradoxal mais l’Iran n’est pas pour le moment un souci majeur. Les craintes d’une baisse de l’offre de pétrole, pas seulement en Iran mais aussi en Irak et en Libye, sont partiellement compensées par l’impact négatif du coronavirus sur la demande. Pour le moment, c’est un risque qui est contenu. Les marchés s’en remettent beaucoup à ce que peuvent faire les banques centrales pour stabiliser le système, c’est indéniable. C’est ce qui explique que leur sensibilité à certains risques que l’on connaît où que l’on a connus en 2019 est moindre. On l’a vu en début d’année avec le raid américain contre le général Soleimani qui a été un stress d’une journée sur le marché du pétrole. Avant, l’attaque au drone en Arabie saoudite avait a été un stress de trois heures. Etc. En temps normal, cela aurait été différent.

La drogue monétaire est donc toujours aussi bonne…

Oui, mais cela ne veut pas dire que les marchés ne peuvent pas sous-interpréter ou surinterpréter certaines données ou informations économiques. Il y a six mois encore, certains dans le marché anticipaient une récession en Europe et aux Etats-Unis pour 2020. Pourtant, globalement, le cadre macroéconomique (et notre scénario de croissance) n’a pas changé.

Quel pourrait-être l’impact du virus chinois et du risque de guerre au Moyen-Orient sur l’évolution des taux d’intérêt en Europe cette année ?

Tout dépendra de l’ampleur du virus. Pour l’instant, notre scénario reste celui d’un statu quo monétaire. La réactivation des rachats de titres par la BCE à concurrence de 20 milliards d’euros par mois devrait, selon nous, courir jusque fin 2021 au moins. L’activité économique de la zone euro devrait se stabiliser et la croissance économique séquentielle devrait remonter au niveau de son potentiel, aux alentours de 1,4 %. Tout cela devrait limiter la contagion de la contraction observée dans le secteur manufacturier au secteur des services. Mais surtout permettre à la BCE de continuer à consolider graduellement les forces d’inflation d’ici fin 2021. Dans ce contexte-là, il ne devrait pas y avoir de mouvement de taux avant fin 2021.

Chez Goldmann Sachs, nous sommes pro-risque en matière d’allocations de portefeuille.

Est-ce à dire que la BCE pourrait, le cas échéant, aller plus loin et abaisser encore le taux sur sa facilité de dépôt qui est actuellement à – 0,5% ?

On pourrait effectivement connaître une nouvelle baisse de taux d’intérêt si un choc économique important venait à remettre en question ce scénario de croissance. Il faut aussi garder à l’esprit que le quantitative easing ( assouplissement monétaire, Ndlr) est une discussion assez compliquée au sein du conseil des gouverneurs de la BCE. Par défaut, on pourrait donc avoir une baisse de taux d’intérêt si nécessaire. Mais ce n’est pas notre scénario de base.

Jusqu’où pourrait aller cette nouvelle baisse de taux ?

Nous estimons, chez Goldman Sachs, qu’il est possible techniquement de descendre jusqu’à – 0,85%. Au-delà de ce niveau, cela deviendrait contre- productif. La baisse des taux ne serait plus efficace et opérationnelle. Cela augmenterait aussi le risque sur la profitabilité des banques.

Nous allons donc continuer à vivre avec TINA (There is no alternative) pendant plusieurs mois encore.

Oui, l’environnement va rester très positif pour les actions. Chez Goldman Sachs, nous sommes pro-risque en matière d’allocation de portefeuille, en Europe comme aux Etats-Unis. Nous voyons également un statu quo au niveau des taux d’intérêt de la Banque centrale américaine, avec une croissance qui se consolide et qui s’améliore en cours d’année, parce que les deux risques majeurs que l’on avait en 2019, le Brexit et les tensions commerciales – qui ont érodé la croissance globale – ont disparu. Nos perspectives de return sur les actions tournent autour de 5% pour les Etats-Unis et autour de 7% pour l’Europe.

Il est vrai que l’économie américaine est en pleine forme.

Elle se porte bien mais pas de manière exceptionnelle. En anglais on dit, good but not that great. L’année 2019 s’est terminée aux Etats-Unis sur un taux de croissance de 2,3 % et on s’attend cette année à 2,2 %, contre 2,9% en 2018. On est plutôt dans un mouvement de croissance résistante et décente que dans une forte accélération de croissance. La raison est simple. Trois facteurs majeurs ont fortement soutenus les marchés d’actions en 2019 : la stimulation budgétaire, l’assouplissement monétaire de la Fed et les incertitudes liées aux tensions commerciales entre Washington et Pékin qui ont eu tendance à s’amoindrir en fin d’année. En 2020, les marchés vont devoir se prendre en main. Les conditions financières vont rester généreuses, mais l’impact de la stimulation budgétaire aux Etats-Unis ne sera plus là. On va passer d’une croissance espérée des returns sur les actions à deux chiffres à des returns à un chiffre.

Quid de la dette mondiale qui ne cesse de gonfler en raison des taux bas : va-t-on vers une catastrophe plus violente qu’en 2008 ?

C’est la question à un million de dollars. Cela étant, on voit bien que les autorités chinoises prennent très au sérieux ce risque d’endettement, surtout du secteur privé. C’est d’ailleurs plutôt rassurant. Cela explique pourquoi on a eu cette décélération de la croissance chinoise fin 2018. Pour contrôler la situation, les autorités ont réduit assez drastiquement la provision de crédits aux entreprises. On voit très clairement qu’elles essaient, par une combinaison plus ou moins subtile d’assouplissement monétaire et budgétaire, d’accompagner l’atterrissage en douceur de l’économie tout en contenant le risque de stabilité financière.

Plus globalement, au niveau de l’endettement des Etats, qui est surtout une question américaine et européenne, la réalité est que ce risque est extrêmement limité à court terme. La Fed et la BCE sont extrêmement accommodantes. Tant qu’on maintient les taux d’intérêt bas, on crée mécaniquement un espace budgétaire supplémentaire en réduisant le coût nominal de la dette, avec en plus l’espoir que la croissance soit un peu plus généreuse. Non, le vrai danger à moyen terme, c’est une remontée brutale des taux. Les marchés ne seraient pas prêts à digérer cela.

Et la Belgique dans tout cela ?

La Belgique et le Benelux en général suivent assez bien le cycle de croissance de l’Allemagne et de la zone euro. Pour le reste, un pays qui n’a pas de gouvernement est un pays qui rembourse ses dettes. Tout simplement parce qu’il dépense moins et qu’il collecte des rentrées fiscales. L’absence de gouvernement fédéral en Belgique n’est pas un stress pour le moment.

Votre vision de l’économie mondiale et des marchés pour les mois qui viennent est plutôt rassurante, en somme.

Elle est constructive. Nous sommes au- dessus du consensus.

Cv express

– 48 ans

– Diplômé de Saint-Louis, de l’UCL et de l’université de Mannheim, docteur en économie monétaire (London School of Economics et UCL).

– 2002-2014 : chercheur à la Banque nationale de Belgique, professeur associé à l’IESEG-School of Management (Université catholique de Lille), conseiller de politique monétaire au FMI, économiste principal pour la politique monétaire à la BCE.

– Depuis 2014 : économiste en chef chez Goldman Sachs à Paris (couvrant la France, la Belgique et le Luxembourg).

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