Après l’Iran, les virus… 2020, l’année de toutes les peurs en Bourse?

© Montage GEtty images

Les marchés boursiers ont connu un mois de janvier particulièrement agité entre les tensions géopolitiques et l’épidémie de coronavirus. Tout porte à croire qu’ils ne sont pas encore au bout de leurs peines.

Fin 2019, tout semblait paisible sur les marchés financiers. Les indicateurs économiques s’étaient stabilisés. Donald Trump et Xi Jinping étaient parvenus à s’entendre sur un accord commercial de ” phase 1 “. Les indices de volatilité ronronnaient ainsi à proximité de leur plus bas historique. La situation bascule toutefois le 3 janvier avec le raid américain visant le général Qassem Soleimani suivi d’une succession d’événements plus ou moins inquiétants.

Apaisement en Iran

La crainte d’une confrontation militaire entre les Etats-Unis et l’Iran a fait chavirer les marchés. Ils ont toutefois rapidement repris le chemin de la hausse. Les déclarations mesurées ainsi que la riposte modérée de Téhéran ont apaisé les investisseurs.

Un schéma assez classique. Traditionnellement, les événements géopolitiques tendent les marchés qui craignent le pire. Dès que la situation s’éclaircit, les Bourses rebondissent comme l’a souligné l’étude de LPL Research. En moyenne, les marchés abandonnent moins de 5% en trois semaines et récupèrent leurs pertes en six semaines et demie lors d’un important événement géopolitique.

Le Dow Jones, un des plus anciens indices de référence, a même connu sa meilleure année en 1915, en pleine Première Guerre mondiale, avec un bond de 82%. Au Moyen-Orient, Wall Street avait bondi de 16% durant les six semaines de l’opération Tempête du désert en 1991.

Les investisseurs manquent de repères par rapport à la nouvelle épidémie de coronavirus qui a éclaté en Chine. Le principal antécédent est l’épidémie de SRAS qui avait démarré en 2002 en Chine et fait 774 morts à travers le monde.

La transmissibilité du 2019-nCoV apparaît plus élevée avec un nombre de malades déjà supérieur au SRAS. Le taux de mortalité, estimé autour de 3%, semble par contre toutefois moindre. Il était de 11% pour le SRAS avec d’importants écarts en fonction de l’âge allant de 0% pour les moins de 24 ans à 52% pour les plus de 65 ans.

Aussi tragique soit-il, le bilan humain ne constitue toutefois pas la première inquiétude des marchés. Selon une récente étude de l’Université d’Edimbourg, la grippe saisonnière fait par exemple 389.000 morts chaque année.

Dégâts économiques

L’impact économique du 2019-nCoV sera par contre bien supérieur. Des entreprises rapatrient leurs expatriés de Chine, les compagnies aériennes suppriment leurs vols, les touristes chinois sont priés de rester chez eux. La province de Hubei, l’une des plus dynamiques économiquement, est placée en quarantaine. Les centres urbains ont pris des airs de villes fantômes. Piya Sachdeva, économiste chez Schroders, souligne qu’au-delà de l’impact direct, il faudra aussi tenir compte de l’impact sur les chaînes d’approvisionnement.

Deux chercheurs, Jong-Wha Lee et Warwick J. McKibbin, ont évalué le coût économique total (direct et indirect) du SRAS à 40 milliards de dollars au niveau mondial, soit à peine 0,08% du PIB mondial.

Les deux chercheurs soulignent toutefois ” qu’à mesure que le monde devient plus intégré, on peut s’attendre à ce que le coût global d’une maladie transmissible comme le SRAS augmente “.

Piya Sachdeva épingle aussi que le poids de la Chine dans l’économie mondiale a fortement augmenté. ” Au moment de l’épidémie de SRAS en 2002, la Chine représentait 4,2% de l’économie mondiale et 18% de la croissance du PIB mondial, note-t-elle. En 2018, sa part du PIB mondial était passée à 15,8% et la Chine fournissait 35% de la croissance mondiale. ”

Piya Sachdeva (Schroders):
Piya Sachdeva (Schroders): “Depuis l’épidémie de SRAS, le poids de la Chine dans l’économie mondiale a fortement augmenté.”© PG

Pire que le SRAS

Selon Zhang Ming, un économiste officiel chinois, la croissance de la Chine pourrait chuter sous 5% au premier trimestre. Chang Shu, Jamie Rush et Tom Orlik de Bloomberg Economics misent sur une croissance de 4,5%, soit 1,4% de moins qu’initialement escompté avant l’épidémie. Comme lors du SRAS, ils s’attendent à ce que l’économie récupère dès que l’épidémie ralentira. Ils tablent ainsi sur une croissance de 5,6%-5,7% pour l’ensemble de 2019 contre une précédente estimation de 5,9%.

Les pays voisins de la Chine comme Hong Kong (perte de 1,7% de PIB au premier trimestre), la Corée du Sud ou le Japon seraient aussi affectés. Dans la zone euro ou aux Etats-Unis, l’impact estimé n’est que de 0,1% du PIB au premier trimestre.

Au niveau mondial, cela donnerait un impact sans doute inférieur à 0,1% sur l’ensemble de l’année 2020, soit à peine 90 milliards de dollars.

Multiples craintes

A l’heure d’écrire ces lignes, le coronavirus a déjà coûté 1.500 milliards de dollars aux Bourses. Selon les stratégistes de Soc Gen, les marchés mondiaux ont entamé une correction de 10%, ce qui représenterait des pertes de près de 9.000 milliards de dollars, 100 fois plus que l’impact économique.

Comment expliquer une telle disproportion ? ” Le marché était prêt à chuter, et le coronavirus constitue une excuse parfaite “, avance Barron’s. L’autre élément qui influe sur les marchés est la peur.

La peur de voir une vaste pandémie coûter la vie à des millions de personnes. Ce qui apparaît irrationnel au vu de la réaction des autorités chinoises et des progrès scientifiques. Gilead a d’ores et déjà déclaré vouloir tester un traitement expérimental contre le coronavirus. Des chercheurs du monde entier se sont lancés dans la course au vaccin. Un article paru dans la revue médicale américaine JAMA épingle à ce titre qu’il avait fallu 20 mois pour mettre au point un vaccin contre le SRAS, mais que l’émulation entre laboratoires et les progrès scientifiques ont permis de ramener ce délai à 3,25 mois pour d’autres maladies virales.

Ce n’est pas la seule crainte des marchés à l’heure actuelle. Malgré la stabilisation des indicateurs économiques mondiaux, les signes de reprise restent encore fragiles. Le Royaume-Uni est officiellement sorti de l’Union européenne vendredi dernier. Les élections américaines s’annoncent indécises. Et les effets pervers des taux négatifs pourraient amener les banques centrales à revoir leur politique, surtout en Europe.

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Brexit, année décisive

Concernant le Brexit, 2020 sera marquée par plusieurs échéances. Le Royaume-Uni et l’Europe doivent renégocier la durée de la période de transition et sont censés aboutir à un accord sur leur future relation pour la fin de l’année.

Les seules certitudes sont que Boris Johnson aborde ces négociations en étant renforcé par son éclatante victoire électorale de décembre, et que l’Union européenne ne tient pas à lâcher trop de lest pour ne pas donner d’idées à d’autres pays.

Quelle politique monétaire ?

La Banque centrale européenne (BCE), présidée par Christine Lagarde depuis novembre, a ” décidé de lancer une évaluation de la stratégie de politique monétaire de la BCE “. L’institution prévoit de redéfinir ses objectifs et sa stratégie d’ici la fin de l’année. Difficile de prévoir ce qui en ressortira à l’heure actuelle.

La Riksbank, la banque centrale suédoise, a de son coté mis fin à sa politique des taux négatifs. La plus vieille banque centrale du monde s’inquiétait de la hausse des prix de l’immobilier et de l’endettement des ménages. Plus généralement, les doutes subsistent quant à l’efficacité des taux négatifs, suspectés d’inciter les ménages à épargner davantage alors que l’objectif est qu’ils consomment.

Même aux Etats-Unis, il est difficile de prédire quel sera le prochain mouvement de la Réserve fédérale américaine après son virage à 180° au cours de l’année 2019.

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Bernie Sanders, l’épouvantail

Pour Jeffrey Gundlach, CEO de DoubleLine Capital et surnommé le roi des obligations, le principal risque réside toutefois dans l’élection présidentielle du 3 novembre aux Etats-Unis. Du côté démocrate, Bernie Sanders est en effet désormais le favori des bookmakers. Il est largement en tête des sondages pour la primaire dans le New Hampshire le 11 février, second rendez-vous démocrate après l’Iowa.

Au niveau économique, Bernie Sanders et Elizabeth Warren, qui fait partie de ses principaux concurrents, ont des programmes assez extrêmes.. Des gérants de hedge funds ont déjà prévenu d’une chute de 25 à 50% des Bourses si l’un des deux remporte la timbale.

L’éventualité d’un second mandat de Donald Trump inquiète moins les marchés même s’ils s’interrogent sur ses velléités profondes. L’accord actuel avec la Chine ne porte en effet que sur deux ans et Donald Trump s’en est pris à l’Europe ces dernières semaines. Le fantasque président veut rééquilibrer les échanges entre l’Europe et les Etats-Unis, ce qui pourrait être une très mauvaise nouvelle pour l’industrie automobile allemande.

“As goes january…”

As goes january, so goes the year (janvier donne la tendance pour toute l’année). Selon ce célèbre dicton boursier, il faut donc s’attendre à une année assez agitée. Un retour de la volatilité qui est pressenti depuis longtemps. Bill Street, responsable des investissements chez Quintet (ex-KBL), a ainsi prévenu en ce sens.

” On ne saurait trop recommander d’être vigilant à l’égard d’un retour de la volatilité “, affirme pour sa part Didier Saint-Georges, de Carmignac. Tous deux précisent que cela ne signifie pas qu’il faut éviter les actions, que du contraire au vu du rendement des obligations. Mais il y a lieu de se montrer sélectif et surtout de garder une optique de long terme.

“Les marchés votent Trump”

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© D. PLAS

Les élections américaines sont-elles le risque principal pour les marchés ?

C’est clairement le risque politique numéro 1. Ils votent Trump et pas Bernie Sanders. 2019 a été une année fantastique sur le plan boursier malgré les incertitudes économiques et géopolitiques. Trump sera meilleur pour les Bourses, c’est clair. Mais c’est aussi un risque dans la mesure où il va tout faire pour séduire son électorat des Etats du Midwest, où il y a pour le moment beaucoup d’indécis. Pour gagner leurs votes, il pourrait notamment imposer de nouveaux tarifs douaniers aux Européens, au secteur automobile par exemple.

Trump va-t-il être réélu ?

C’est extrêmement difficile à dire. L’économie américaine va bien d’un point de vue macro-économique. Mais les inégalités entre les très riches et les plus pauvres n’ont jamais été aussi grandes. C’est tout le paradoxe de la politique menée jusqu’ici par Trump. La guerre commerciale avec la Chine et la baisse des impôts n’a pas profité à son électorat de base des Etats du Midwest (Iowa, Michigan). Ce sont surtout les grandes entreprises comme Apple qui en ont profité. Elles ont chouchouté leurs actionnaires via des rachats massifs d’actions propres, les share buybacks.

Et si Sanders gagne les élections ?

Si Bernie Sanders gagne les élections, les investisseurs peuvent dire adieu aux share buybacks, dont ont largement bénéficié les titres des Gafa (Google, Amazon, Facebook et Apple). Il est fort probable qu’il tentera aussi de réduire l’écart entre le salaire des CEO et ceux des blue collars. Cela étant, il ne sera pas plus économe que Trump. On ne connaît d’ailleurs pas son programme fiscal. Or, la dette fédérale commence à peser très lourd : elle augmente d’un million de dollars toutes les 30 secondes. Et il n’est pas certain que les investisseurs étrangers (Chine, Europe) vont continuer à acheter autant de bons du Trésor américain. Surtout qu’on ne voit pas très bien comment l’économie américaine, après 10 ans de croissance ininterrompue, va pouvoir continuer à croître alors que les Etats-Unis manque de main-d’oeuvre qualifiée.

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