A quoi va servir le futur serment des banquiers?
A l’image des médecins et de leur serment d’Hippocrate, les employés de banque qui ne respecteraient pas leur serment professionnel seraient à l’avenir sanctionnés. Explications.
Avocat spécialisé en droit bancaire et ancien bâtonnier de Bruxelles, Jean-Pierre Buyle nous explique en cinq étapes en quoi consiste le futur serment que devront à l’avenir prêter les banquiers. Un outil destiné à augmenter la confiance envers la profession mais dont la mise en place suscite nombre d’interrogations.
1. De quoi parle-t-on exactement?
C’est en avril 2019 que le Parlement a adopté une loi instaurant un serment bancaire et un régime disciplinaire pour les banquiers. Mais cette loi n’est jamais entrée en vigueur. “L’objectif était de restaurer la confiance des citoyens et des clients envers le secteur bancaire. Cette volonté était apparue lors des enquêtes parlementaires sur la faillite de la banque Optima et le scandale des Panama Papers”, situe Jean Pierre Buyle, désormais actif avec toute son équipe au sein du cabinet Monard Law.
Le projet concerne les employés de banque. L’idée était de les faire prêter serment et de les obliger à respecter des règles déontologiques à définir. “En pratique, prolonge l’avocat, le législateur avait confié la rédaction de ce code de déontologie à un ordre disciplinaire fédéral, financé par les banques. Le contrôle était confié à deux commissions, l’une d’instance, l’autre d’appel. Mais aucune place n’était donnée au plaignant, à la victime, à l’employeur ou aux autorités de supervision. L’arrêté royal qui devait apporter toute une série de précisions n’a jamais été édicté. Le gouvernement a préféré revoir sa copie et, avec l’aide de la FSMA, a préparé un nouveau projet de loi.”
2. D’où vient l’idée?
Le système s’inspire de ce qui existe aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne depuis 2015. Chez nos voisins du nord, tous les employés de banque doivent prêter serment dès leur entrée en fonction. Ils s’engagent personnellement à respecter les normes déontologiques en vigueur, rédigées par la Nederlandse Vereniging van Banken, la fédération néerlandaise des banques. Leur respect est assuré par la fondation indépendante Stichting Tuchtrecht Banken, qui agit en tant qu’instance disciplinaire. Cette autorité est chargée d’élaborer le règlement de procédure, d’examiner les plaintes et, le cas échéant, de prononcer les sanctions. “Depuis son instauration, plus de 90.000 collaborateurs ont prêté serment, indique Jean-Pierre Buyle. Plusieurs centaines de sentences ont été rendues dont une grande majorité d’interdictions professionnelles temporaires.”
Détail qui a son importance: la grande majorité des sanctions résultent de plaintes déposées par les banques elles-mêmes contre leurs employés. “Il n’est d’ailleurs pas rare qu’une sanction disciplinaire soit suivie de mesures prises par la banque contre son employé sur le plan du droit du travail voire sur le plan pénal, ce qui est interpellant et peut poser la question de la double peine”, souligne Jean-Pierre Buyle.
3. Qui va contrôler quoi?
La FSMA, notre gendarme des marchés, est censée jouer un rôle central dans le futur dispositif: fixation des règles et modalités liées à la prestation de serment, proposition des règles de conduite individuelles, fixation des modalités en matière de plaintes, examen des indices de manquements aux règles, établissement du rapport d’instruction transmis au comité de direction, possibilité de prononcer des sanctions disciplinaires elle-même pour les personnes relevant de sa compétence, transmission du rapport d’instruction aux autres autorités de surveillance compétentes, etc.
“On peut se poser la question de l’apparence d’impartialité.”
Au point, pour certains, de parler d’une concentration des pouvoirs dans le chef d’une seule autorité. Exagération? Nullement, estime Jean-Pierre Buyle qui constate que la FSMA serait au cœur du nouveau système, en amont, au milieu et en aval: “Elle participerait à l’élaboration des règles, à leur application et à leur sanction. Elle tiendrait également un registre central (non public) des sanctions prononcées. Si tout cela se confirme, on peut se poser la question de l’apparence d’impartialité et d’indépendance que le justiciable est en droit d’attendre d’une autorité publique lorsqu’il est question de l’évaluation de ses droits subjectifs”.
4. Quelles sont les sanctions?
Les manquements concernent la non-prestation de serment et le non-respect du code de déontologie. Exemple? Proposer un produit de placement non adapté au client, mentir sur les performances d’un produit, etc. Selon la gravité des faits, “les sanctions possibles vont de l’avertissement à l’interdiction professionnelle (maximum trois ans), en passant par le blâme ou l’obligation de suivre des formations, détaille Jean-Pierre Buyle. Les sanctions prononcées seraient publiées sur le site internet de la FSMA de manière anonymisée. Aucune sanction pécuniaire ne serait prononcée. La FSMA pourrait par ailleurs, dans le respect de la loi, prononcer si nécessaire des sanctions administratives et saisir les autorités pénales”, ajoute l’avocat qui regrette que ne devrait plus être prévue dans la nouvelle loi la possibilité d’aller en appel. Seul un recours devant le Conseil d’Etat serait envisageable.
5. Quid des agents bancaires indépendants?
Au départ, les agents indépendants n’étaient pas concernés par cette nouvelle réglementation, au motif qu’ils étaient soumis à de trop lourdes formalités administratives et qu’ils ne seraient pas à l’origine de la crise financière. “Cela voulait dire qu’un client d’une banque qui ne travaillait pas avec un réseau d’agents indépendants serait servi par un employé ayant prêté serment alors que le même client dans une autre banque travaillant avec des agents indépendants serait servi par un employé qui n’aurait pas prêté serment. Cela ne me semblait pas raisonnable”, juge Jean-Pierre Buyle, précisant que le nouveau système envisagé réparerait cette forme de discrimination incompréhensible.
“Il s’agit d’une nouvelle couche à la lasagne réglementaire en droit financier.”
Quoi qu’il en soit, ajoute-t-il, “il s’agit d’une nouvelle couche venant s’ajouter à la lasagne réglementaire en droit financier qui existe déjà. Pas sûr qu’elle répondra aux objectifs recherchés”, estime l’ancien bâtonnier craignant que ces nouvelles règles s’immisçant dans la vie des banques conduisent à favoriser les plaintes des banquiers eux-mêmes à l’égard des membres de leur personnel pour pouvoir se séparer plus aisément d’un collaborateur.
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