Au fil du Rhône

Cairanne Au pied du mont Ventoux. © Christophe Grilhe

Fleuve riche et puissant, le Rhône a sculpté une longue vallée et a donné naissance à des terroirs viticoles très variés. Des appellations qui se nourrissent de la richesse du fleuve et s’épanouissent au gré des humeurs du mistral. Balade, du nord au sud, au pays des crus et des Côtes du Rhône…

Six départements, 28 appellations, 27 cépages, 17 crus, plus de 5.000 exploitations, 68.132 hectares, 365 millions de bouteilles produites en 2018. Le vignoble de la Vallée du Rhône a de quoi impressionner, notamment sa vaste étendue géographique et la diversité des paysages qui en découlent. Des versants pentus de la Côte-Rôtie aux domaines côtiers du pays nîmois en passant par les contreforts du Ventoux ou la belle région autour d’Uzès. Chacun de ces paysages donne naissance à des terroirs spécifiques, des sols granitiques typiques du Condrieu aux fameux galets roulés du sud de la Vallée du Rhône. Des terroirs parfois tellement compliqués qu’y faire pousser de la vigne semble parfois tenir du miracle.

Typiquement, la Vallée du Rhône produit surtout du rouge (74%) et peu de rosé et de blanc. Mais ça va changer.

Davantage de vins blancs

Typiquement, la Vallée du Rhône produit surtout du rouge (74 %) et beaucoup moins de rosé (16%) et de blanc (10 %). Mais cela va changer. Sous la pression des nouvelles habitudes de consommation. ” Les millenials, que j’appelle aussi la génération soda, se tournent vers des vins plus frais et sont très attirés par les effervescents, explique Michel Chapoutier, président d’Inter Rhône, l’organisme interprofessionnel qui regroupe toute la filière. Ceci explique la montée en puissance du rosé notamment. Dans ce contexte, le rouge a plus de mal. Notamment aussi parce que nous consommons moins de viande rouge et donc plus de volaille et de poisson. Notre idée, pour répondre à ces consommateurs, est d’augmenter la production de vin blanc de 10 à 15 % dans les quatre ou cinq prochaines années. Sans baisser la production des deux autres couleurs évidemment. Le Rhône est aussi un terroir à blancs, surtout dans sa partie nord. A nous de révéler son grand potentiel plus au sud. Je pense, notamment, à Gigondas et sa demande officielle de reconnaissance du blanc dans son appellation. ”

Marcel Richaud          Impossible de se rendre à Cairanne sans passer par son domaine.
Marcel Richaud Impossible de se rendre à Cairanne sans passer par son domaine.© pg

Michel Chapoutier, qui est, aussi et surtout, le patron de la maison éponyme fondée en 1808 et le plus grand producteur-négociant du Rhône, reconnaît aisément l’importance de la Belgique pour les vins du Rhône. ” Nous exportons 33 % de notre production. Et la Belgique est notre troisième marché derrière les Etats-Unis et le Royaume-Uni. C’est un pays où la concurrence entre les différentes régions viticoles est très vive. En 2018, nos ventes ont baissé de 6 % mais leur valeur a grimpé de 7 %. Nous devons donc rester attentifs. ”

Ces chiffres ne tiennent évidemment pas compte des centaines de milliers de bouteilles qui remontent chaque année dans le coffre des voitures belges…

Des bulles inattendues

Impossible évidemment, en quatre pages, de dévoiler l’ensemble de la diversité de cette belle région. Mais en suivant le fil du Rhône de Vienne à Valence, l’amateur est d’abord envoûté par les crus septentrionaux. C’est là que la Vallée du Rhône produit ses plus beaux blancs issus des appellations Condrieu, Saint-Joseph, (Crozes-) Hermitage et Saint-Péray. C’est aussi à Saint-Péray que se produisent les seules bulles en appellation de toute la Vallée du Rhône en dehors des clairettes et des crémants de Die. Les effervescents, produits par méthode traditionnelle (ou champenoise) depuis 1830, y comptent même pour un tiers de toute la production. Et c’est une excellente surprise ! A l’instar des Bulles d’Alain du domaine Alain Voge aux notes de fruits à chair blanche, de fleurs et de citron. Un 100% marsanne qui en remet aisément à certains champagnes.

Ce n’est évidemment pas ici que les millenials vont trouver leur bonheur. Si les blancs septentrionaux sont parmi les meilleurs de la planète, ils ne sont pas donnés et certains, comme l’incroyable Saint-Joseph blanc bio de Pierre Gonon (juteux et magique), sont extrêmement difficiles à trouver sur le marché. En Belgique, la Maison Pirard (vins pirard.be) ne propose les rouges des frères Gonon que sur demande… Les vins d’Yves Gangloff, dont la formidable Barbarine en Côte-Rôtie, suivent le même chemin même si son tout aussi formidable Condrieu est disponible (73 euros) chez Mostade Gobert à Solre-sur-Sambre (vins-mostade-gobert.be).

Un Condrieu mythique

Impossible d’évoquer le Condrieu sans parler de Georges Vernay qui a ressuscité le viognier, son cépage unique, après la Seconde Guerre mondiale et sauvegardé les cinq derniers hectares, tous situés dans le Rhône. Aujourd’hui, c’est sa fille, Christine, ancienne prof de français et d’italien, qui a repris les rênes du domaine mythique. Celle que l’on surnomme la papesse du Condrieu sort, d’année en année, des blancs d’une pureté incroyable. ” Qu’une femme puisse succéder au mythique Georges Vernay est un héritage qui fut lourd à porter, mais c’était mon choix, explique-t-elle. Cela m’a permis aussi d’affirmer certains principes : je suis en bio parce que c’est un devoir et je n’achète pas le moindre raisin. Je m’y refuse parce que mes vins sont une partie de moi. Mes rendements sont faibles mais c’est le prix à payer pour faire les vins comme je l’entends. En ne cédant pas aux modes et en respectant le terroir si compliqué de notre appellation. ”

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Son Côteaux du Vernon, cuvée phare du domaine issue d’un lieu-dit où se trouvent les plus vieilles vignes de Condrieu, est magnifiquement juteux. Texture, matière, fraîcheur et longueur, tout y est ! Cette pépite est disponible en Belgique au Chemin des Vignes de Godaert & Van Beneden (lechemindesvignes.be). La perfection a évidemment un coût (113,80 euros).

Brézème, un cas à part

L’an dernier, à l’occasion de sa foire des vins d’octobre, Cora avait proposé un Côtes du Rhône Brézème signé Charles Helfenbein. Une toute belle surprise (toujours disponible sur corawine.be) qui, lors d’un rassemblement de vignerons rhodaniens à Tain-l’Hermitage, nous a conduits au stand d’un autre producteur de Brézème, le Domaine Lombard. En fait, Brézème est un oublié de l’histoire. Il n’est ni un cru du Nord, ni un Côtes du Rhône Villages. Les vignerons revendiquent d’ailleurs cette dernière appellation qui serait une première pour le Nord. Comme personne ne les écoute depuis plus de 50 ans, les vignerons de ce coteau surplombant la Drôme au sud de Valence se sont arrogé le droit de rajouter Brézème sur les étiquettes à côté d’AOC Côtes du Rhône. Julien et Emmanuelle Montagnon conduisent le domaine Lombard en biodynamie. Ils produisent d’incroyables cuvées en 100 % syrah comme le Brézème 2016 (notes de fruits bien mûrs et bouche ample mais fraîche), Eugène de Monicault 2016 (notes de pivoine et de violette et bouche très soyeuse), Les Vignes de Raspans 2016 (les plus beaux terroirs) et La Tour du Diable 2016 (la cuvée majeure magnifiquement ciselée). Tous ces rouges sont disponibles auprès d’Yves Gouttenègre et de ses Vins Concaves (vins-concaves.be) à des prix qui vont de 11,50 à 42 euros.

Cairanne, le dernier cru

Au-delà de Montélimar s’ouvre le pays des vins méridionaux de la Vallée du Rhône avec quelques-uns des crus les plus connus des Belges : Gigondas, Vacqueyras, Lirac, Châteauneuf-du-Pape, etc. Cette famille s’est agrandie en 2015, avec l’accession de Cairanne au plus haut de l’échelle qualitative. Avec un certain nombre d’obligations. ” Les vendanges sont obligatoirement manuelles, explique Bruno Boisson du domaine éponyme. La quantité de sulfites autorisée est la même que celle du bio, les herbicides sont interdits et il faut au minimum 50 % de grenache. ” Cairanne est aussi l’un des rares crus du sud à avoir admis les blancs dans l’appellation. Tous les vignerons n’en font pas mais il faut admettre que Cairanne, avec ses trois terroirs bien distincts, est une terre de blancs. Comme le magnifique Cairanne Silice de Bruno Boisson (importé par Bernard Poulet et disponible, entre autres chez Wine Fever à Bruxelles – wine-fever.be), les Travers et l’Esprit de Papet (en hommage à son grand-père) de Laurent Brusset. Le premier adjoint au maire de Cairanne qui représente la quatrième génération à la tête du domaine Brusset possède des vignes en Ventoux, Rasteau et Gigondas en plus de Cairanne. Il est abondamment distribué chez nous (notamment l’excellent Hauts de Montmirail en Gigondas et les Travers en Cairanne rouge) par les grands vins de Colruyt ( lire l’encadré).

Il est impossible de venir à Cairanne sans se rendre au domaine Richaud. Marcel, le paternel, a été rejoint au domaine par ses trois enfants : Claire s’occupe des vinifications, Edith du commercial et Thomas des vignes avec son papa. Marcel Richaud sort des vins ciselés et purs avec une régularité rare. Bon an mal an, ses cuvées en imposent. Son Cairanne 2017 ne fait pas exception. ” Le mourvèdre y prend une part importante (20 %), confie Claire Richaud. Ce cépage est le futur de notre domaine. Pas le grenache, notamment à cause du réchauffement climatique et donc des degrés d’alcool de plus en plus élevés. Cette année, nous nous sommes aussi amusés avec un rosé classé en Vin de France, un 100 % cinsault. C’est du bonbon. Je suis assez fière d’avoir réalisé un truc un peu différent. ”

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Les vins de la famille Richaud sont disponibles chez Titulus à Ixelles (titulus.be). On y retrouve le Cairanne dans les deux couleurs mais aussi les trois Côtes du Rhône : Terre des Galets (un vrai bébé Cairanne), Terre d’Aigles (une cuvée gouleyante et juteuse réservée à l’export) et Les Buisserons (exceptionnellement un vin de négoce suite à la perte de 75 % de la vendange 2018 à cause du mildiou).

Des scarabées noirs

Accolée à Cairanne, l’AOC Rasteau a un profil différent mais est intimement liée à sa voisine, puisque nombreux sont les vignerons qui produisent les deux appellations. Comme le Domaine des Escaravailles, une vieille connaissance du marché belge importée par Robert Van Den Hove (R&R Rhône, rrrhone.be). Dans ce qui n’était auparavant qu’une terre à moutons, Gilles Ferran, rejoint désormais par sa fille, produit des Rasteau qui méritent qu’on les attende un peu. Comme son Héritage 1924, un 100 % grenache encore très serré en 2016 mais tout en finesse et délicatesse dans sa version 2011. Madame Ferran a un faible pour les bulles et son mari s’est donc exécuté pour lui sortir des Scarabulles. Un effervescent 100 % cinsault et peu alcooleux (11%). Le genre de cuvée qui fait fureur sur les terrasses quand il fait très chaud. Gilles Ferran s’est aussi amouraché de la vinification en amphore. Son Argilla ad Argillam est, sans nul doute, son vin le plus étonnant : un vrai glouglou de potes, gouleyant et plein de fraîcheur. Un vrai contraste donc par rapport à ses Rasteau un peu durs dans leur jeunesse. Et pour l’anecdote, Escaravaille signifie scarabée en occitan. En fait, le surnom des pénitents noirs, propriétaires des lieux au 17e siècle.

Si le domaine des Escaravailles compte une quarantaine d’hectares, Mikael Boutin, lui, en exploite 2,5 et ne produit qu’une seule cuvée opportunément appelée MB. Découvert par hasard lors d’un repas dans un resto étoilé lillois, ce MB, peu importe le millésime, prouve que les Rasteau ne sont pas des vins massifs. Ces cuvées MB, aussi élégantes et fines que le vigneron est sympa, sont en vente chez nous chez Autrement dit Vins à Namur (autrementditvins.be). A 13,50 euros, c’est un vrai cadeau. Quant à Réjane et Wilfried Pouzoulas du domaine Wilfried, ils imposent un style bien à eux dans l’appellation. La soeur et le frère, qui s’entendent comme larrons en foire, font des vins qui leur ressemblent : conversion bio en 2012, des sulfites limités au maximum, de l’infusion plutôt que de l’extraction, etc. A l’arrivée, des vins d’une buvabilité extrême, riches en alcool, certes, mais bien équilibrés grâce à un PH bas. On adore le Rasteau 2016, subtil, profond et puissant sur la longueur et le Septentrion 2016, un vin bien juteux, avec un nez de cerise et une jolie persistance. A découvrir chez nous auprès de Vinamor (contact via pierre.dechesne75@gmail.com).

R&R Rhône importe aussi les chouettes vins de Jean-Pierre Bertrand. Dans son domaine du Grand Nicolet, cet ancien éducateur sportif qui a rencontré l’amour dans la région lors de son service civil et n’en est jamais reparti, travaille en toute humilité et, presque, discrétion. Pourtant, son Rasteau Vieilles Vignes 2016 est juste magnifique. Tout comme sa cuvée Les Esqueyrons 2015. Jean-Pierre Bertrand fait partie des vignerons qui animeront le bar à vins des Côtes du Rhône lors du prochain Festival d’Avignon (infos sur vins-rhone.com). Si vous êtes de passage…

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Il n’y a pas que les crus

Plus que toute autre région viticole, le Rhône a la particularité d’être extrêmement qualitatif même dans ses plus petites cuvées comme les Côtes du Rhône génériques ou les Côtes du Rhône Villages qui représentent aujourd’hui 90 communes. En outre, pour ces derniers, suivant un cahier des charges très strict, 21 dénominations géographiques peuvent être ajoutées : Seguret, Sablet, Plan de Dieu, Valréas, Suze-la-Rousse, Signargues, etc. Ces vins plus modestes méritent assurément qu’on s’y intéresse. C’est un véritable nid à pépites à prix doux. Parfois l’oeuvre de petits vignerons, parfois de grandes maisons ou de noms déjà bien établis. Comme, par exemple, Elodie Balme, qui, outre des Rasteau et Roaix sur la pureté et l’élégance, propose aussi deux belles entrées de gamme : un AOC Côtes du Rhône d’une classe folle et un Vin de France facile à boire mais savoureux. On trouve toute la gamme chez Pinard Pirate à Bruxelles (2, rue du Collège Saint-Michel à Woluwe-Saint-Pierre – 0474 57 89 17). Même démarche au Château Saint-Cosme, un magnifique domaine situé à Gigondas. La famille Barruol produit deux ” petits ” Côtes du Rhône rouges. Dont un excellent Les Deux Albion d’une profondeur et d’une richesse rares à ce niveau, disponible au bar à vins Etiquette à Ixelles (etiquette- wines.com). Le domaine de Cristia est niché à Courthézon en plein coeur de l’appellation Châteauneuf-du-Pape. En bio depuis plus de 10 ans, il permet à des particuliers d’en être partiellement propriétaires via l’achat de parts dans un système de GFV (Groupement foncier viticole). A côté de leurs Châteauneuf, la famille Grangeon produit aussi un Côtes du Rhône Vieilles Vignes dense, complexe, riche et très concentré. A découvrir chez Melchior Vins à Mons (melchior- vins.be).

Enfin, la grande distribution belge regorge aussi de trouvailles pour qui sait où chercher. Colruyt, via son offre de grands vins (grandsvins.colruyt.be) disponibles uniquement en ligne avec livraison dans le magasin de votre choix, propose le Côtes du Rhône- Villages Gadagne 2015 du domaine du Bois de Saint Jean (11,95 euros). Le même domaine produit aussi un tout beau Les Ventssssss, un AOC Côtes du Rhône tout en fruits rouges et épices (12,95 euros). Du côté de Cora (et de son site corawine.be), Alain Renier n’est pas peu fier de pouvoir proposer les vins de Romain Duvernay, considéré comme l’un des meilleurs dégustateurs rhodaniens. Ce sont certes des vins de négoce mais d’un très bon rapport qualité-prix.

Dans la gamme (Rasteau, Lirac, Vacqueyras, etc.), on aime particulièrement les deux Côtes du Rhône-Villages : le Visan (8,49 euros), une cuvée bio tout en finesse et longueur, et le Plan de Dieu (7,99 euros). Deux maîtres-achats comme d’ailleurs le Chêne Noir, le Côtes du Rhône Villages de Camille Cayran (6,69 euros) ou le Seguret Tradition du Domaine Mourchon (10,99 euros).

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