Alexander Maksik, tout en délicatesse et profondeur

Lors de la sortie d’ Indigne (2013), on découvrait toute la sensibilité, la puissance et la finesse de l’écriture de celui qui partage sa vie entre Hawaï et New York. Bien qu’influencé par Paris est une fête d’Ernest Hemingway – Alexander Maksik a vécu dans la Ville lumière à l’âge de 29 ans -, l’auteur évoquait l’histoire d’un professeur de littérature fasciné par Sartre et Camus qui succombe aux charmes d’une de ses élèves mineures. Deux ans plus tard, La mesure de la dérive révélait une autre facette du diplômé de l’Iowa Writers Workshop. En racontant l’histoire d’une Libérienne de 23 ans qui échoue sur l’île de Santorin, Alexander Maksik décrivait le drame des réfugiés et le quotidien de ceux-ci en opposition à la beauté d’une île où le soleil colle à la mer.

Les chouettes hulottes qui crient. Joe, Joey, Joseph, Joe, Joey, Joseph. Rentre, rentre, rentre chez toi.

L’Oiseau, le goudron et l’extase poursuit dans une veine finalement très intime, plutôt sombre et suffocante avec cette histoire d’amour, de vie, de drame, de remise en question et de quête identitaire. Le pitch ? Joe tombe raide dingue de Tess. Peu de temps après ce premier tsunami émotionnel, sa maman pète les plombs et dessoude à coups de marteau un quidam qui violente sa femme sur le parking d’un supermarché américain.

C’est surtout la découverte de l’Amour avec un grand A, dont Maksik retrace les émotions diverses et variées avec une infinie délicatesse, qui fait office de détonateur dans l’âme du jeune homme. ” Parfois, j’imagine un oiseau, déclare le personnage principal à Tess. J’imagine qu’il tournoie. Quand il atterrit pile au centre de mon coeur, je sens ses serres qui se plantent en moi. “. Joe poursuit le récit de ses tourments intérieurs d’une manière déconcertante pour la jeune fille. ” Et puis, ça change. Ce n’est plus un oiseau. C’est quelque chose d’autre. Du goudron. Du goudron qui se répand à travers moi et qui me cloue sur place, je ne peux plus faire quoi que ce soit. ”

Le plus noir de ses trois romans ? ” J’essaie, comme à chaque fois, d’y mettre un peu de lumière parce que je souhaite que mes personnages combattent une forme de renoncement, nuance le romancier. Et rien que cela, c’est déjà quelque chose de lumineux en soi. ” Derrière cette histoire d’amour, on y découvre aussi un récit où l’auteur a, par choix narratif, inversé les rôles. ” Il est vrai que mes personnages féminins sont très virils, froids et dénués d’émotions “, poursuit Alexander Maksik.

On se permet de demander à cet écrivain, traduit dans une dizaine de langues, si ce drame familial n’est pas un prétexte pour évoquer, comme son titre peut le suggérer, la dépression ou les troubles de la bipolarité. ” Il y a évidemment de cela, confesse Alexander Maksik. Il y a une triste tradition dépressive dans ma famille. Mon grand-père a mis fin à ses jours. Mon oncle aussi. C’est vraiment ancré chez nous. J’ai moi-même dû faire face à ce genre de désagréments. C’est pour cela qu’il y a le mot goudron dans le titre. C’est une métaphore bien plus parlante et appropriée que le langage médical parce qu’on ressent vraiment cette douleur physique propre quand on sombre dans la dépression. ” Reste que la beauté formelle de l’écriture et la profondeur psychologique des personnages font de ce roman un livre résolument à part et plus solaire que son propos ne le laisse présager.

Alexander Maksik, ” L’Oiseau, le goudron et l’extase “, (traduit de l’anglais par Sarah Tardy), éditions Belfond, 464 p., 24,40 euros.

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