La femme est-elle l’avenir de la construction?

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Trois métiers en pénurie sur dix dans les listes d’Actiris, du Forem et du VDAB émargent au secteur de la construction. A l’heure de la transition écologique qui va beaucoup le solliciter, c’est une nouvelle dramatique. Y attirer plus de femmes est une solution qui suppose, entre autres, de changer les mentalités dans les familles, l’enseignement et le monde du travail lui-même.

La (mauvaise) blague qui circule ces derniers temps dans le recrutement fait état des listes de métiers en pénurie qu’on devrait, par facilité, transformer en listes de métiers qui ne sont pas en pénurie. Depuis la pandémie, malgré le nombre de chômeurs qui demeure élevé, singulièrement en Wallonie, on se demande où est partie toute la main-d’œuvre qu’on peine à recruter dans des secteurs comme l’horeca ou la construction.

Dans les dernières listes établies par les trois offices régionaux pour l’emploi (Actiris, Forem et VDAB), un tiers des métiers en pénurie émargent au secteur de la construction. On y cherche de tout : des maçons, des couvreurs, des soudeurs, des chefs de chantier, des installateurs techniques, etc. La situation est grave d’autant que les filières habituelles de travailleurs étrangers (Espagne, ­Portugal, Pologne, etc.) sont moins efficaces pour des raisons multiples dont un durcissement des règles européennes. Parallèlement, le secteur s’inquiète des conséquences de la guerre en Ukraine : la reconstruction du pays, tôt ou tard, créera un sérieux appel d’air de main-d’œuvre qualifiée.

1 % d’ouvrières

Résoudre ce problème va prendre du temps et nécessiter une approche multifactorielle. L’une des approches passe par accroître la présence de femmes dans les métiers de la construction. Passés les habituels préjugés, l’idée n’a rien de saugrenu. Aujourd’hui, un peu plus de 26.000 femmes travaillent dans le secteur dont 20 % sous statut d’indépendante ou de cheffe d’entreprise. Des femmes ont donc créé leur propre entreprise de construction ! Cela laisse environ 21.000 salariées dont, grosso modo, 19.000 sont employées. Non, ce ne sont pas que des réceptionnistes ou des spécialistes de ressources humaines mais des ingénieures, des cheffes de projet, etc. Le secteur estime qu’un bon tiers de son travail intellectuel est aujourd’hui effectué par des femmes. Mais, elles ne sont que 2.000 sur les chantiers, soit un tout petit plus qu’1 % de tous les ouvriers de la construction. C’est beaucoup trop peu.

“En Europe, Besix affiche le même genre de pourcentage, confie Geert Aelbrecht, chief people officer du groupe belge. Ailleurs, c’est parfois différent. Je suis parti il y a peu au Cameroun où nous avons un projet et j’ai constaté que les femmes y sont très présentes dans la construction. Les métiers n’y sont pourtant pas différents de chez nous. Recruter des femmes, même des cadres, demeure très compliqué en Belgique. Recruter tout court en fait. Il n’y a plus assez d’étudiants dans les filières, tant celles pour cols bleus que celles destinées aux cols blancs. Quand j’ai commencé mes études d’électricien il y a quasi 40 ans, les écoles techniques étaient nombreuses et les formations en construction légion. Aujourd’hui, c’est une misère. Et on ne peut pas dire que le politique, de tous bords et niveaux, nous aide.”

Changer les mentalités

Pousser les filières techniques tant pour les ingénieurs que pour les ouvriers qualifiés passe par un solide changement de mentalité. D’abord dans les familles. Un métier dans la construction, ce n’est pas un sous-métier. C’est un métier d’avenir, (très) bien payé et, souvent, à la pointe de la technologie. Chasse gardée féminine, le métier d’infirmière n’apparaît pas physiquement plus simple ou plus facile au niveau des horaires. De même, certaines professions qui nécessitent de hautes études, dont les médicales, sont majoritairement féminines. Il n’a pourtant jamais été démontré scientifiquement que les gènes masculins les rendaient plus aptes aux métiers d’ingénieur…

Les femmes représentent 10 % des effectifs de ­l’entreprise dont 2 % environ sont ouvrières.” – Annik Vandeputte (SPIE Belgium)

“L’éducation des petites filles demeure marquée par les clichés, sourit Annik Vandeputte, HR development manager chez SPIE Belgium, la filiale du groupe français spécialisé dans les techniques spéciales. Une de mes filles voulait faire du foot à l’école. Cela a été toute une affaire car selon la prof, ce n’était pas un sport de filles. A l’instar des campagnes d’image conduites par nos associations coupoles comme Agoria et Volta, très présentes sur Instagram par exemple, les Red Flames, l’équipe belge de foot féminin dont on diffuse désormais les matches à la télé, vont contribuer à changer les mentalités. Ingénieure, ce n’est pas plus compliqué que dentiste ou généraliste où l’on trouve de nombreuses femmes. Ce sont de vieux réflexes. Comme celui des parents qui refusent souvent que leur enfant se retrouve dans une filière technique quand il a du mal dans l’enseignement général. Plus que jamais, le technique offre des débouchés.”

“Le travail manuel est tout aussi valorisant que l’intellectuel, renchérit Geert Aelbrecht. Chez Besix, les jobs de chantier sont valorisés en interne et offrent de nombreuses perspectives en plus de bons salaires. Quant à l’aspect physique et difficile du métier, on sous-estime fréquemment le nombre de jobs qui ne nécessite pas de force physique : logistique, contrôles de qualité et de la sécurité, finition des projets. Alors, oui, c’est souvent dehors et par tous les temps, mais j’ai toujours trouvé enrichissant et générateur de fierté, le fait de voir en temps réel l’avancement d’un travail manuel. Et puis, nous les hommes savons très bien que les femmes ne sont pas faibles du tout.”

Pousser les filières techniques auprès des femmes passe par 
un changement 
de mentalité. © Getty Images

Exosquelettes

Chez SPIE, les techniques spéciales font appel à de la technologie dernier cri qui peuvent séduire les jeunes : air conditionné, chauffage, électricité, mise en place de chaîne de production, contrôle des accès, sécurisation de tunnels, etc. On oublie aussi trop souvent que les entreprises de construction, en pleine transformation écologique et durable, développent de nouvelles techniques. Créée l’an dernier, Besix Technology est une nouvelle division axée sur l’innovation et la durabilité. Elle s’est, en autres, associée à une spin-off de l’ULB qui travaille sur les exosquelettes capables d’alléger le travail physique. Et donc de rendre certaines fonctions accessibles aux femmes. Des techniques qui ont déjà fait leurs preuves dans d’autres secteurs comme la logistique ou même dans les vignobles où de nombreuses femmes s’attellent désormais au travail, parfois très rude, de la vigne.

Pas d’écart salarial



”Avec la transition écologique, le secteur va avoir énormément de travail, explique Geert Aelbrecht. Mais si on n’a plus de main-d’œuvre, si plus personne ne va dans les écoles techniques, on ne pourra plus construire, c’est assez simple. La rénovation énergétique dont tout le monde parle, c’est 50 % de technologie : pompe à chaleur, panneaux photo-voltaïques, circulation de l’air, etc. Cela n’a rien de masculin quand même ? Je voudrais insister sur un autre point crucial : il n’y a pas de discrimination salariale dans le secteur de la construction. De nos jours, c’est un élément très impor-tant. Tout le monde est payé selon des barèmes bien définis. Homme ou femme, c’est pareil.”

Il n’y a pas de discrimination ­salariale dans le secteur 
de la construction. De nos jours, c’est un élément très 
important.” – Geert Aelbrecht (Besix)

Tant chez Besix que chez SPIE Belgium, à côté d’un apport accru de la main-d’oeuvre féminine dans le secteur, on est malheureusement convaincu que la migration économique encadrée est inévitable pour permettre au secteur de poursuivre son développement. “On n’a pas vraiment le choix, soupire Annik Vandeputte. Nous, nous travaillons avec les Philippines. C’est l’un des rares pays où les techniciens sont au chômage. Beaucoup se retrouvent d’ailleurs sur les chantiers à Dubaï. Nous avons, pour certaines de nos implantations flamandes, région où le processus administratif est plus simple actuellement sur ce sujet, fait venir une douzaine de Philippins, dont des femmes, il y a deux ans. Une quinzaine supplémentaire va arriver sous peu. Cela suppose un gros travail d’intégration.”

Elue 17 fois Top Employer de Belgique, SPIE Belgium, qui déploie 1.550 personnes dans son siège bruxellois et dans 13 implantations spécialisées et réparties dans toute la Belgique, a aussi décroché, pour la deuxième fois d’affilée, le label Diversité d’Actiris. L’entreprise est, en effet, très active dans le domaine depuis de nombreuses années. Un travail axé sur quatre piliers dont la diversité liée au sexe.

“Quarante nationalités travaillent chez nous désormais, conclut Annik Vandeputte. Pour les personnes porteuses d’un handicap, c’est un projet compliqué car tout le monde ne le déclare pas. Nous avons un partenariat avec Diversicom, une ASBL créée il y a 10 ans. Elle nous envoie tous les profils désireux de travailler dans la construction ou compatibles. Nous participons aussi à leurs stages DUOday qui peuvent déboucher sur un engagement. Quant à la présence des femmes, elles représentent 10 % de l’entreprise dont 2 % environ sont ouvrières. Dans les cols blancs, si l’on enlève les fonctions de support, 7 % travaillent dans les métiers techniques : ingénieures, dessinatrices, project managers, etc. Ce n’est pas assez, c’est clair. Les choses bougent mais lentement. Par exemple, Bruxelles Formation propose désormais des formations pour électriciennes. C’est un petit groupe à chaque fois mais elles trouvent vite du travail.”

Dans les différentes campagnes d’image réalisées par les associations coupoles, les femmes sont appelées à parler de leur passion pour leur métier et son côté ­fascinant. Ce sont, elles, les meilleures ambassadrices pour pousser les jeunes filles vers un monde où le côté macho n’est plus vraiment de mise (oui, les posters de femmes nues dans les ateliers ont quasiment disparu !), où la sécurité et le bien-être au travail sont pris très au sérieux et où elles sont attendues les bras ouverts.

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