Les avancées du plan de relance de Sonaca

Avion taxi électrique
Sonaca va livrer les ailes hybrides de cet aéronef de quatre places, un prototype d’avion taxi électrique autonome développé par la société américaine Wisk Aero. © PG
Robert Van Apeldoorn
Robert Van Apeldoorn Journaliste Trends-Tendances

Le groupe, basé à Gosselies, a renégocié avec succès ses accords avec son gros client Airbus et posé des jalons pour se développer dans le militaire, le spatial et les robotaxis autonomes.

Dans un hangar à Gosselies, au siège de Sonaca, se prépare l’avenir de cette entreprise spécialisée dans les aérostructures, la fabrication d’éléments d’avions. Il a la forme d’une aile hybride, faite d’aluminium et de matériaux composites, destinée à un prototype d’avion taxi électrique autonome pour la société américaine Wisk Aero. “Elle sera livrée dans les prochaines semaines”, précise Yves Delatte, CEO du groupe Sonaca. Cet aéronef de quatre places, qui appartient à la catégorie des eVTOL (avion à décollage vertical), sera doté d’une série de moteurs dont certains pivotent pour décoller comme un hélicoptère.

Wisk est devenu en 2023 une filiale de Boeing, qui a déboursé 450 millions de dollars pour l’acquisition, avec l’objectif de sortir un taxi aérien autonome d’ici 2030.

Un retour progressif à l’équilibre

“Sonaca fournira l’aile et l’empennage de ces eVTOL”, poursuit le CEO de l’entreprise wallonne. C’est un nouveau type d’aéronef, autonome et télécommandé, destiné à des petits déplacements (jusqu’à 144 km), visant la mobilité urbaine, qui représente un marché potentiel pour le secteur.

Ce genre de projet apporte de l’air frais à Sonaca, entreprise contrôlée par la Région wallonne, qui sort de plusieurs années difficiles. Le covid et différentes crises, qui tou­chent notamment Boeing, un client important, ont pesé sur les comptes de l’entreprise. En 2023, elle est quasiment revenue à l’équilibre, avec une petite perte de 5,5 millions d’euros sur 617 millions d’euros de ventes, “alors que nous avons encore 20% de revenus en moins qu’en 2019”, souligne Yves Delatte, qui a pris ses fonctions en septembre 2021. Précédemment, il était chief commercial officer du groupe, et a succédé à Bernard Delvaux.

Sonaca est active dans un secteur difficile, celui de l’aéro­structure, très compétitif, où le nombre de clients potentiels est limité (Airbus, Boeing, Embraer, Bombardier, principalement). L’enjeu est d’y décrocher des contrats cadre offrant la garantie d’une produc­tion continue sur le long terme. Le client historique est Airbus, à qui la Sonaca fournit les bords d’attaque pour quasi tous les avions civils et militaires.

Fin 2021, un plan stratégique a été adopté par le conseil d’administration de la Sonaca avec trois grands axes : le renforcement des activités existantes, la diversification et la consolidation par acquisition. Son exécution est bien avancée.

Révision cruciale des contrats Airbus

Sur le premier axe, Sonaca est parvenu, en juin 2023, à revoir les contrats avec Airbus. “Auparavant, les avionneurs revenaient tous les trois à cinq ans pour revoir les prix, le nouveau contrat nous donne une stabilité sur 10 ans”, indique Yves Delatte. Sonaca a aussi obtenu un contrat pour l’Airbus A321 XLR, un long-courrier monocouloir, “non seulement nous fournirons les slats (bords d’attaque des ailes), mais aussi les flaps (partie mobile des bords de fuite), ce qui est nouveau.”

Yves Delatte
Yves Delatte, CEO de Sonaca © Hung Tran Photography

Ces accords sont “historiques” au sens où ils modifient la relation contractuelle avec Airbus. Les révisions périodiques des prix, qui concernent tout le secteur de la sous-traitance aéronautique (dont Sabca ou Asco en Belgique), étaient un souci pour la gestion de l’entreprise.

“Nous cherchons des entreprises qui pourront renforcer Sonaca en tant que fleuron industriel en Belgique, en Europe et dans le monde.” – Yves Delatte, 
CEO de sonaca

Pourquoi Airbus a-t-il accepté des prix stables sur 10 ans ? “C’est le résultat d’une négociation qui partait d’une préoccupation d’Airbus, dit Yves Delatte. Nous sommes le seul fournisseur de leurs slats sur une série d’avions.” Le moindre accident ou problème à l’usine de Gosselies pouvait perturber la production des avions. Airbus souhaitait revoir les contrats pour chercher un second producteur. “Nous avons finalement trouvé une solution en assurant nous-mêmes cette seconde source dans notre usine en Roumanie.”

Partage entre la Roumanie et la Belgique

L’approche est astucieuse : le groupe Sonaca conserve la totalité de la production, produira en partie à moindre coût en Roumanie, et devrait améliorer la stabilité de l’entreprise. Le développement du carnet de commandes avec l’Airbus A321 XLR et de la diver­sification maintient l’activité en Belgique, où le groupe Sonaca emploie 1.300 personnes (1.500 avec les sous-traitants) sur un total de 3.800 personnes. C’est une bonne base pour développer la collaboration avec un client dont les carnets de commandes sont bien remplis. Airbus fabrique actuellement 62 Airbus de la famille A320 (moyens-­courriers) par mois, et compte accélérer pour arriver à 75 A320 par mois en 2026. “Cet accord historique sécurise notre carnet de commandes, nous embauchons continuellement pour soutenir cette croissance en Belgique et ailleurs. C’est du win-win!”

La filiale LMI, acquise en 2017, est sur une trajectoire de retour à la profitabilité. Cette acquisition visait à diversifier la clientèle en fournissant Boeing. Mais les circonstances ont fait que LMI a traversé des turbulences imprévues. La crise du Boeing 737 Max, interdit de vol en 2019, le covid et les couacs des derniers mois comme la porte de secours d’un 737 d’Alaskan Airlines qui s’est détachée en vol, entraînant des enquêtes et une réduction du rythme de production du modèle, tout cela a freiné l’activité de LMI. “La production chez Boeing reste encore inférieure à ce qu’elle était en 2019”, note Yves Delatte.

Le chantier américain

La gestion de LMI a aussi été compliquée par le marché du travail américain. “Nous y avons connu une crise du plein emploi, les salariés pouvaient changer d’employeurs deux à trois fois par an, il a fallu réembaucher 50% du personnel sur une année.”

Cela dit, “la situation se redresse bien et grâce à LMI, et à notre présence aux Etats-Unis, où nous employons 1.300 personnes, avec les sous-traitants, nous avons pu obtenir d’autres contrats importants. Celui de Wisk, par exemple, ou un contrat avec Boeing pour fournir la structure du plan horizontal et vertical arrière, des pièces de 15 mètres de long, qui seront fournies par l’usine Sonaca à Montréal”.

Par ailleurs, le deuxième axe du plan stratégique est la diversi­fication de Sonaca, notamment avec l’accord avec la société de robotaxi aérien Wisk. Et surtout dans la Défense, secteur en croissance, où Sonaca participe notamment à un consortium formé avec Orizio, autre groupe belge dans l’aérospatial, et les sociétés Sabca et Sabena Engineering, le tout dirigé par Stéphane Burton, “pour travailler conjointement à des appels d’offres”. “L’objectif est d’offrir le meilleur de l’industrie belge à la Défense belge”, dit-il. Les partenaires s’intéressent à tout ce qui concerne la maintenance du futur F35. “Et tout ce qui est relatif aux futurs achats de la Force aérienne. Comme le projet d’un petit avion pour les forces spéciales.”

Parmi les diversifications figure également le spatial, où la Sonaca va participer à la conception d’un système de fabrication dans l’espace, la StarFab. “Sonaca a réussi à pénétrer ces marchés à haute valeur ajoutée, grâce au savoir-faire de notre personnel”, avance le CEO.

Avion taxi électrique
Sonaca va livrer les ailes hybrides de cet aéronef de quatre places, un prototype d’avion taxi électrique autonome développé par la société américaine Wisk Aero. © PG

Fournir des pièces plus complexes

La diversification concerne aussi des technologies. Sonaca cherche à augmenter la plus-value des pièces qu’elle fabrique en y intégrant plusieurs technologies. “A terme, nos bords d’attaque seront un peu comme les pare-chocs des voitures, aujourd’hui bardés de capteurs, d’un lidar, avec des câbles pour le cruise control adaptatif. Cela permet de vendre à la fois des compétences en manufacturing, le savoir-faire et la propriété intellectuelle qui va avec”, indique Yves Delatte.

Sonaca a ainsi conclu un contrat avec Solithor, une start-up belge active dans le développement de batteries solides. “Elles ont une meilleure densité éner­gétique et ne présentent pas de risque de feu. Elles peuvent donc être utilisées dans des sous-marins ou des avions, et avoir des applications militaires.” La Sonaca travaillera sur “l’intégration de ces batteries dans un avion ou un équipement militaire ou spatial. Intelligemment. Par exemple, on pourrait utiliser la chaleur de ce type de batterie pour dégivrer des bords d’attaque d’ailes”.

“Cette technologie pourrait par exemple être intégrée dans un futur chasseur de sixième génération, ajoute le dirigeant. C’est un projet à moyen et long terme.”

Les révisions périodiques des prix, qui concernent tout le secteur de la sous-­traitance aéronautique, étaient un souci pour la gestion de l’entreprise.

Le volet à développer : les acquisitions

Il reste le troisième axe du plan stratégique, annoncé précédemment dans Trends-Tendances : la consolidation. Il était question de doubler la taille du groupe Sonaca d’ici 2025. Rien n’a encore été annoncé. “L’objectif n’a pas changé, nous devons renforcer notre leadership au niveau européen. Le secteur de l’aéro­structure compte 150 à 200 entreprises à l’échelle mondiale, et le secteur se consolide. Nous devons soit racheter soit nous retrouver seul avec le risque d’avoir une trop petite taille. Je préfère la première option.”

Cette stratégie “très claire, est partagée par le conseil d’admi­nistration, les actionnaires, les syndicats, avec un élément essentiel, le maintien du contrôle en Belgique”.

Il n’y a pas cependant encore eu de fumée blanche. Pourquoi ? “Parce que l’on n’a pas encore trouvé. Nous regardons atten­tivement les opportunités, conclut Yves Delatte. Il y a plein de sociétés qui sont disponibles à la vente, mais elles ne nous intéressent pas : nous cherchons des entreprises qui pourront renforcer Sonaca en tant que fleuron industriel en Belgique, en Europe et dans le monde.”

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