Le testament européen de Philippe Maystadt

© Frédéric Pauwels

Dans une de ses dernières interviews, publiée dans un cahier spécial du think tank européen Leap, l’ancien président de la BEI aujourd’hui décédé rappelait la somme de travail qu’il restait à faire pour consolider l’Euroland.

Alors que le Fonds monétaire international estime qu’une nouvelle crise financière pourrait causer infiniment plus de dégât que celle de 2008, on sent aujourd’hui plus que jamais qu’il est impératif de renforcer la zone euro.

La voix de l’ancien Président de la Banque européenne d’investissement et ancien ministre des Finances Philippe Maystadt, décédé en décembre dernier, et qui était un ardent défenseur de cet Euroland encore en devenir, manque cruellement dans ce débat.

Il a cependant laissé un testament, via une interview qu’il avait donnée peu de temps avant son décès, à Robert Polet et Godelieve Ugeux, du think tank européen Leap (Laboratoire européen d’anticipation politique). Une interview qui fait partie d’un très riche cahier consacré à la zone euro et qui a été présenté voici quelques jours dans les locaux bruxellois de la BEI (on y trouve aussi des contributions du directeur de la BCE Benoît Coeuré, de notre ancien ministre des affaires sociales et de l’emploi Frank Vandenbroucke ou de l’économiste et homme politique français Pierre Larrouturou).

L’euro, un passage obligé

On l’oublie peut-être aujourd’hui, mais la naissance de la zone euro était d’abord un projet politique, rappelait d’emblée Philippe Maystadt. Il s’agissait de cimenter par une monnaie commune l’union de pays qui s’étaient déchirés au cours de deux guerres mondiales. Et l’euro avait fait l’objet d’un deal franco-allemand : la France acceptait la réunification de l’Allemagne, et l’Allemagne en échange acceptait d’abandonner le mark.

Dans cet entretien, Philippe Maystadt soulignait que le passage à la monnaie unique était “le seul moyen de sortir du célèbre “triangle d’incompatibilité”. Dans les années 60, l’économiste canadien Robert Mundell avait en effet montré qu’il était impossible d’avoir simultanément la liberté de mouvement des capitaux, la stabilité des taux de change et l’autonomie des politiques monétaires nationales.

En effet, les pays qui veulent mener une politique monétaire propre et qui sont attachés à la libre circulation des capitaux doivent laisser flotter leur devise. C’est le cas du Royaume-Uni ou des États-Unis. Au contraire, les pays qui, comme la Chine, veulent garder un taux de change fixe et avoir une politique monétaire indépendante sont obligés d’instaurer un contrôle des capitaux. Et les pays qui veulent à la fois la libre circulation des capitaux et la stabilité des changes doivent abandonner leur souveraineté monétaire. C’est le cas des pays de la zone euro.

Mais, ajoutait Philippe Maystadt, “les suites de la crise financière mondiale qui a éclaté en 2008 (…) ont mis en évidence la faiblesse fondamentale d’une construction où la politique monétaire est devenue unique alors que les politiques économiques restaient nationales et souvent divergentes”.

Comment renforcer la zone euro ?

On en est encore là aujourd’hui. Travailler à la convergence des politiques économiques et créer un vrai budget européen capable d’aider des pays qui seraient soumis à des “chocs asymétriques” (c’est-à-dire, dans le jargon économique, des crises touchant davantage tel pays plutôt que tel autre) “est d’autant plus nécessaire que d’autres mécanismes correcteurs fonctionnent moins dans la zone euro que, par exemple, aux États-Unis, observait Philippe Maystadt : la mobilité des travailleurs y est beaucoup plus faible ; les tensions sur les marchés financiers provoquent rapidement une fragmentation qui aggrave les difficultés des pays en crise ; des rigidités structurelles, parfois réglementaires, freinent l’ajustement par les prix. Ainsi, malgré la chute de la demande, certains prix ne baissent pas aussi rapidement qu’aux États-Unis. Cela se vérifie pour nombre de services – les agences immobilières notamment – mais surtout dans le cas de la tarification des professions réglementées : notaires, huissiers, taxis, etc.”, disait-il.

Autre réforme nécessaire, ajoutait l’ancien patron de la BEI : achever l’Union bancaire, qui ne dispose toujours pas d’un système conjoint de garantie des dépôts ou, à tout le moins, un mécanisme de réassurance mutuelle des systèmes nationaux.

L’ancien grand argentier plaidait aussi dans cet entretien testament pour la création d’euro-obligations et pour un contrôle parlementaire accru afin de renforcer la légitimité démocratique de la zone euro. Un contrôle qui pourrait se concrétiser par la création d’une “commission de la zone euro” constituée au sein du Parlement européen et qui regrouperait tous les membres du Parlement élus dans les pays de la zone euro. Mais aussi par une conférence réunissant les représentants des commissions économiques et budgétaires des parlements nationaux et européen afin de débattre de ces questions de gouvernance économique de la zone.

Déboulonner l’hégémonie du dollar

Cédric du Monceau, ancien directeur de la BERD et aujourd’hui Premier échevin d’Ottignies, a également participé à cet ouvrage et souligne une autre nécessité de renforcer la zone euro. Celle de combattre l’hégémonie du dollar comme monnaie de paiement international. Cela faciliterait la tâche des exportateurs européens et insufflerait davantage de stabilité au système financier mondial, qui vacille depuis la disparition de la convertibilité du dollar en or et la fin du système de Bretton Woods. Il y a une contradiction évidente entre vouloir oeuvrer pour un monde plus démocratique et vouloir maintenir un système d’échange unilatéralement basé sur “l’hégémonie” d’une monnaie d’un seul pays”, souligne-t-il.

Cette refondation nécessaire de la zone euro ne doit cependant pas être cantonnée à un débat de technocrates, mais doit impliquer les citoyens, a ajouté Marie Hélène Caillol, la présidente de Leap. “La zone euro est une terra incognita au coeur de l’Union européenne et à ce titre la parfaite base d’invention et de construction de l’Europe de demain dont les citoyens doivent impérativement s’emparer”, conclut-elle. Philippe Maystadt, qui estimait lui aussi qu’il fallait rapprocher le citoyen de l’Europe et plaidait notamment lorsque nous l’avions rencontré pour la tenue d’une vaste convention réunissant des représentants de la société civile et des politiques, aurait certainement appuyé cette observation.

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