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‘Le premier pas est toujours le plus difficile… et il a été franchi’

L’histoire retiendra que le 23 juin 2016, par un vote à 51,9% des citoyens britanniques en faveur d’une sortie de leur pays de l’UE, la construction européenne a fait un premier grand pas en arrière. Il s’agit assurément du plus important de son histoire.

Laissons ici les politologues et autres spécialistes commenter l’intérêt de mener un tel referendum sur une telle question. Laissons à chacun le soin d’avoir sa propre opinion sur l’intérêt ou non de sortir de l’UE. À présent, il va falloir assumer le résultat du referendum, et en mesurer les conséquences.

Sur les marchés financiers, la sur-réaction des premières heures est à la mesure de la surprise. Même si les sondages donnaient le “In” et le “Out” aux coudes à coudes, il faut avouer que le scénario de base de la plupart des institutions demeurait le “In”. Même la banque centrale d’Angleterre n’a jamais voulu intégrer un Brexit dans son scénario de base.

Une période de flottement économique…

Que signifient les mouvements impressionnants des marchés financiers ? En fait, il s’agit surtout d’une réaction normale face à une longue période d’incertitude qui devrait durer au moins deux ans. En effet, une fois le résultat du referendum confirmé par le Parlement, le gouvernement britannique devra invoquer l’article 50 du traité de Lisbonne prévoyant la sortie d’un pays hors de l’UE. Cet article prévoit alors une période de deux années de négociations. Le hic, c’est que David Cameron, démissionnaire, ne veut pas lancer cette procédure et en laisse le soin à son successeur, qui devrait être connu dans les trois mois. Dès lors, même si rien ne change aujourd’hui dans les relations financières et commerciales entre le Royaume-Uni et l’UE (tant que le divorce n’est pas prononcé, tous les accords restent en vigueur), s’ouvre une longue période d’incertitude : que vont faire les entreprises britanniques durant cette période de flottement (il ne faut pas oublier que 75% des entreprises britanniques étaient contre le Brexit) ? Que vont faire les entreprises européennes qui ont leur quartier général au R-U ? Comment vont se dérouler les négociations ? Quelle sera la position européenne ? Que sera l’après-Brexit… ? Toutes ces questions mènent à n’en pas douter à de l’incertitude, et donc à une forte volatilité sur les marchés (cette nuit, on a atteint des niveaux de volatilité supérieurs à tout ce que l’on a pu connaître lors de la crise financière) mais aussi et surtout à un impact négatif tant pour l’économie britannique que pour les autres pays européens. En particulier, la Belgique est un des pays les plus exposés au R-U.

…mais surtout un saut dans l’inconnu politique

On peut certes évaluer quelle est la perte potentielle à court terme du Brexit. Pour ce faire, on se base sur les liens commerciaux, les liens financiers, l’évolution des taux de change, etc. Rarement il y a eu un tel consensus entre les économistes ayant étudié la question pour dire que l’impact sera négatif pour tout le monde. À plus long terme, l’impact économique est plus difficile à évaluer, et ce pour deux raisons : d’une part, on ne sait pas ce que seront les termes du divorce. Va-t-on entrer dans une logique de concurrence ou bien d’une certaine coopération entre l’UE et le R-U, un peu comme cela se passe avec la Norvège ou la Suisse ? Que feront réellement à long terme les entreprises ? Vont-elles se délocaliser d’un côté ou de l’autre de la Manche ? Autant de questions auxquelles il est vain d’essayer de répondre tant qu’on n’a pas le début de la moindre négociation.

D’autre part, et c’est probablement là qu’est le plus important, on ne sait pas quelle dimension politique va prendre ce Brexit. Au Royaume-Uni d’abord, qui va devoir se trouver un nouveau Premier ministre (eurosceptique…) qui aura la lourde tâche de négocier avec l’UE. N’oublions pas non plus que le peuple britannique est fondamentalement divisé sur la question. Ce Brexit laissera donc des traces. Les Écossais et les Irlandais du Nord pourraient par ailleurs être tentés d’organiser leur propre referendum, ce qui ne va faire qu’envenimer la politique britannique. Ensuite se pose la question de l’attitude des dirigeants européens. C’est un peu paradoxal, mais la théorie des jeux leur conseillerait d’adopter une position ferme à l’égard du R-U, pour éviter de donner l’image d’une quelconque complaisance à l’égard des eurosceptiques. En effet, si sortir de l’UE peut se faire sans trop de pertes, cela risque de donner des idées à d’autres pays. Enfin, plusieurs pays européens font face à des élections importantes dans les 18 prochains mois. Or, ce résultat britannique pourrait donner des ailes à tous les partis eurosceptiques. Ainsi, aux Pays-Bas comme en France, des europhobes connus ont déjà appelé à organiser leur propre referendum. Sans vouloir donc être trop pessimiste, au-delà de la surprise du moment, on ne peut que se demander comment il sera possible de contenir d’autres forces centrifuges à l’UE. Il en va en effet d’une union économique comme des choses de la vie, c’est souvent le premier pas qui est le plus difficile à franchir… et il a été franchi cette nuit !

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