Les dessous du scandale Publifin: 10 questions qui dérangent

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Depuis trois semaines, on ne parle que de cela : Publifin, Nethys, Stéphane Moreau et la “mafia” liégeoise. Pourtant, derrière le scandale des rémunérations indues et de l’opacité organisée des structures, il y a un groupe rentable, en développement et dont certaines caractéristiques se retrouvent ailleurs qu’à Liège… Enquête, avec dix fables pour comprendre.

Une nébuleuse, une pieuvre, voire carrément une mafia, pour les uns. Un holding industriel public, qui a permis de préserver des activités et des centres de décision économique en région liégeoise, pour les autres. Le groupe Nethys, c’est un peu tout cela à la fois. Il naît sur deux idées fortes de Stéphane Moreau . D’une part, utiliser les profits issus de la distribution d’électricité comme levier d’investissement dans l’économie locale. D’autre part, fédérer les réseaux wallons de télédistribution pour créer un groupe régional et éviter une mainmise flamande.

Ces deux idées de base n’ont guère été contestées en Wallonie. Et certainement pas à Liège où, à l’époque déjà, André Cools avait rêvé d’un holding public pour relancer les investissements. La présence de Nethys fut effectivement bien utile, par exemple pour compenser la frilosité des banques dans le soutien au développement de l’aéroport de Liège. Il existe toutefois une différence fondamentale avec d’autres holdings publics, de type SRIW ou Meusinvest : Nethys entre dans des sociétés pour en prendre le contrôle, et l’aéroport de Liège en est à nouveau un bel exemple. Est-ce là le fruit d’une stratégie concertée de devenir un groupe industriel et non financier, ou plutôt de la soif de pouvoir (et d’argent) de ses dirigeants ?

Dans les pages suivantes, nous tentons de dégager le sens économique du développement de Nethys, qui génère une rentabilité confortable. Ce n’est d’ailleurs pas pour ses choix d’investissement que le groupe est aujourd’hui sur la sellette mais en raison de son opacité et des rémunérations excessives offertes à ses mandataires. Tout cela dans un subtil jeu de ” je te tiens, tu me tiens par la barbichette ” : il y a les très nombreux mandats dans les structures, mais aussi le sponsoring de Voo grâce auquel des clubs sportifs, des festivals ou des centres culturels survivent. Ce n’est pas acheter le silence, mais ça y ressemble un peu. ” Allez voir les loges du Standard de Liège et vous comprendrez pourquoi si peu de bourgmestres et d’échevins contestaient ce système qui, pourtant, a réduit leurs dividendes “, nous glisse un fin connaisseur des structures publiques wallonnes.

Aussi, pour comprendre l’histoire de ce groupe et des questions qu’il pose plus largement sur la gouvernance publique wallonne, nous avons eu recours à un des plus fin connaisseurs de l’âme humaine : voici l’histoire de Publifin, vue au travers de Jean de La Fontaine. Après tout, ne s’agit-il pas de compter, comme dans la fable Le Corbeau et le Renard, l’histoire d’un (grand) fromage ?

1. Gaz et électricité : une manne providentielle pour Publifin ?

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Petit poisson deviendra grand Pourvu que Dieu lui prête vie. Mais le lâcher en attendant, Je tiens pour moi que c’est folie. (Le petit Poisson et le Pêcheur)

L’énergie, c’est le métier de base et le fonds de roulement de Publifin. Tout part en effet de l’Association liégeoise de l’électricité. Stéphane Moreau en prend la direction au milieu des années 2000 et ambitionne d’utiliser le cash généré par cette activité monopolistique pour financer une diversification du groupe. Dix ans plus tard, le modèle fonctionne toujours sur cette base. Conséquence inéluctable : si les bénéfices de la distribution d’électricité, réalisées par l’entité RESA, sont réinvestis (ou s’ils renflouent des investissements non rentables), ils ne reviennent plus aux communes sous forme de dividendes. Selon les calculs du Soir, l’écart entre les profits de Resa et les dividendes de Publifin a privé les communes liégeoises de plus de 300 millions d’euros en huit ans. Certaines années, le dividende n’en était même pas un puisque le groupe travestissait en dividende la redevance de voirie, légalement due aux communes.

Les tarifs de distribution de l’électricité sont validés par le régulateur (Cwape en Wallonie). Ils incluent une rémunération équitable du capital investi, selon une savante formule basée notamment sur le rendement des OLO. Le niveau de ces dernières a poussé les dividendes à la baisse, y compris chez Ores où ils ont quasiment été divisés par deux en huit ans (heureusement, le gaz est plus stable). “Ores a bien réinvesti dans la qualité de son réseau, commente un observateur du secteur énergétique. C’est moins le cas chez Resa où le réseau a été quelque peu délaissé.” En 2015, la filiale de Publifin a investi respectivement 48 et 32 millions dans ses réseaux de gaz et d’électricité, contre 160 et 81 millions pour Ores. Les distributeurs se préparent à de lourds investissements pour le développement de réseaux intelligents, qui permettront de mieux maîtriser la consommation.

Publifin a par ailleurs développé des activités de production d’électricité, à travers sa filiale Elicio. Celle-ci a racheté une partie des activités d’Electrawinds en 2014. Elle gère ainsi des parcs éoliens terrestres et offshores en France et en Belgique. Elle a des projets en Roumanie, en Serbie, au Kenya et en République démocratique du Congo. Les investissements dans le renouvelable sont par nature à long terme. Elicio affiche une perte cumulée de 11 millions d’euros sur 2014 et 2015.

Et si l’exemple venait de… Charles Michel ?

Vous ne voulez pas d’une grosse intercommunale de distribution d’électricité ? C’est tout à fait possible. Jusqu’en 2015, Wavre (la ville du Premier ministre Charles Michel) disposait d’une régie communale pour ce faire. “Nous avons fait le choix de rester indépendants, explique l’échevine en charge des Régies, Anne Masson. Nous voulons rester proches des citoyens et éviter les dérives qui guettent toute grosse structure, qui finissent par être déconnectées des réalités du terrain.”

Toutefois, les investissements nécessaires dans le réseau et dans l’informatique pouvaient difficilement continuer à être assumés par une seule entité. Aussi, Wavre s’est-elle associée aux autres derniers Mohicans (une dizaine de communes autour d’Andenne et Chimay) pour fonder Arewal, l’association des réseaux wallons. “Ce ne fut pas une décision facile et j’espère que l’avenir nous donnera raison”, concède Anne Masson, en précisant que la petite structure investit aussi dans la R&D, l’éclairage intelligent et la cogénération. Elle ne laisse donc pas passer les trains du futur énergétique. La distribution rapporte bon an mal an de 1,5 à 1,8 million d’euros à Wavre. Les administrateurs d’Arewal perçoivent un jeton de présence de 125 euros par réunion. C’est tout…

2. Voo est-il le boulet de Nethys ?

Patience et longueur de temps Font plus que force ni que rage. (Le Lion et le Rat)

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En fédérant une série d’intercommunales au sud du pays, Stéphane Moreau est parvenu à créer un câblo-opérateur actif sur la quasi-totalité du territoire wallon et une partie du territoire bruxellois (via un accord avec Brutélé). C’était une opération indispensable pour espérer concurrencer Proximus et Telenet sur un marché des télécoms marqué par la prédominance des offres triple play, mêlant TV, Internet et téléphonie fixe. Sans la coupole Voo, les petites intercommunales de télédistribution auraient éprouvé les pires difficultés à créer dans leur coin des offres de télévision numérique dignes de ce nom. Ce phénomène de rapprochement et de rachat des infrastructures câblées par de gros acteurs s’est produit un peu partout dans le monde, y compris en Flandre où Telenet s’est imposé.

Là où le bât blesse, c’est au niveau des performances de cet acteur incontournable des télécoms. Pendant des années, le câblo-opérateur a accumulé les pertes. De 2009 à 2013, Voo a annoncé un total de 360 millions d’euros de pertes. Depuis 2014, Voo ne publie plus ses résultats de façon séparée : ils sont englobés dans l’entité Nethys. Cette entité génère 103 millions d’euros de bénéfices. Mais ces bénéfices résultent essentiellement des revenus financiers venant des filiales de Nethys. Les activités propres de la société, en ce compris l’activité de Voo, ne génèrent que 13 millions d’euros de bénéfices. ” Cela représente 2,50 % de rentabilité, commente Pascal Flisch, business development manager chez Roularta Business Information. La misère est bien cachée.”

Ce manque de transparence jette le trouble sur une activité qui s’avère par ailleurs ultra-rentable pour la plupart des câblos. Selon L’Echo, Voo aurait dégagé un premier et modeste bénéfice de 500.000 euros en 2015. Il était temps : l’actif que constitue un réseau fixe de câblodistribution est en effet un véritable trésor sur lequel les opérateurs sont capables de capitaliser afin de maximiser leurs profits. Le concurrent Telenet parvient ainsi à générer une marge Ebitda proche de 50 % ! Preuve qu’un réseau de câblodistribution vaut de l’or, le même Telenet vient de s’offrir le petit poucet SFR-Numericable (90.000 clients sur 15 communes) pour la somme de 400 millions d’euros, soit environ cinq fois le chiffre d’affaires de la société absorbée.

3. Pourquoi Nethys rachète-t-il des journaux comme Nice-Matin ?

Laissez dire les sots ; le savoir a son prix. (L’Avantage de la science)

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Publifin s’intéresse depuis quelques années au monde des médias. En 2013, l’intercommunale qui portait alors le nom de Tecteo a frappé un premier grand coup en s’offrant Les Editions de L’Avenir. L’objectif de cette acquisition inattendue ? “L’extension de nos activités au niveau des médias online et imprimés est une étape logique dans notre stratégie de développement et dans la poursuite de notre ancrage dans le paysage médiatique francophone”, précisait alors un communiqué du groupe liégeois. Celui-ci ajoutait : “Les contenus deviennent un enjeu majeur du secteur et cette acquisition est une formidable opportunité pour Tecteo qui pourra les valoriser au mieux.”

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Eric Schonbrodt, administrateur délégué des Editions de l’Avenir, précise la stratégie médias de Nethys : “L’Avenir est une marque ‘print’. Grâce au groupe Nethys, et particulièrement grâce à Voo, nous cherchons à monétiser notre contenu à travers de nouveaux canaux digitaux.” La première (et unique) initiative en la matière date de juillet 2016. Le site internet du journal L’Avenir est intégré sur les box Evasion de Voo via une application dédiée. Résultat : quelques centaines de consultations par jour. Pas de quoi bouleverser le paysage médiatique wallon. “Le succès est faible, je le reconnais, commente Eric Schonbrodt. Mais cette initiative est loin d’être un aboutissement. Nous cherchons un nouveau modèle économique pour la presse papier.” Le patron du pôle médias de Nethys imagine aussi s’appuyer sur la filiale Be TV afin de créer des synergies entre les rédactions papier et télé avant, pourquoi pas, de créer une nouvelle chaîne télévisée.

Si les résultats ne sont pas encore au rendez-vous, l’évolution récente du paysage médiatique semble toutefois donner raison à Nethys dans cette volonté de jouer la carte de la convergence entre contenant (un câblo-opérateur) et contenu (des journaux et des magazines). En France, le rachat par SFR des titres Libération, L’Express et L’Expansion ainsi que la prise de participation de cet opérateur dans RMC et BFM TV attestent par exemple de cette tendance de fond que l’on a observée aussi aux Etats-Unis, notamment via l’acquisition du groupe Time Warner (CNN, HBO, Warner Bros) par le géant américain des télécoms AT&T l’automne dernier.

Beaucoup plus discret, Nethys n’en demeure pas moins gourmand et a enrichi, depuis 2013, son pôle médias avec de nouveaux titres de presse. Il y a un peu plus d’un an, le groupe liégeois a ainsi racheté l’hebdomadaire Moustique et son petit frère Télé Pocket aux Finlandais de Sanoma et s’est également offert le magazine Pub dédié aux professionnels de la communication. Côté contenu, la société de Stéphane Moreau a aussi joué la carte du cinéma en devenant, en 2015, l’actionnaire majoritaire de la société Taxshelter.be, mais ce sont surtout ses prises de participations dans des journaux du sud de la France qui témoignent aujourd’hui des ambitions de Nethys.

Il y a 15 mois, le groupe liégeois est en effet entré au capital du groupe de presse La Provence (éditeur des quotidiens La Provence et Corse-Matin) à hauteur de 11 %, avant d’investir, au printemps dernier, dans la société Nice-Matin, un autre groupe propriétaire des titres Nice-Matin, Var-Matin et Monaco-Matin. Concrètement, Nethys, via sa filiale Avenir Développement, a pris une participation de 20 % dans le groupe et devrait monter progressivement au capital pour y devenir majoritaire en 2019.

Mais quel est l’intérêt, pour une société qui fonctionne avec des capitaux publics, d’investir à l’étranger dans une industrie à bout de souffle – les ventes de la presse quotidienne ne cessent de chuter – alors que cet argent pourrait être dédié à des projets qui rejaillissent davantage sur le quotidien des Liégeois ? Du côté de Nethys, on affirme qu’il y a une réelle volonté d’élargir le pôle média du groupe et que cette extension n’est, pour l’instant, pas possible en Belgique, ni même dans le nord de la France où Rossel (Le Soir, Sud Presse, etc.) a déjà mis la main sur des titres comme La Voix du Nord et Le Courrier Picard. Même si l’éloignement géographique peut ici poser question, l’ambition de Nethys reste d’élargir son portefeuille de contenus au sein de ses activités, quitte à ce que cela passe par le sud de la France.

Outre l’acquisition d’un patrimoine immobilier non négligeable à l’étranger, le groupe liégeois espère évidemment, par ces acquisitions françaises, réduire certains coûts de fonctionnement, par exemple au niveau de l’informatique. Les synergies rédactionnelles, par contre, sont réduites à la portion congrue, vu le caractère local des sujets couverts. “Les rédactions pourraient s’appeler au moment de la Coupe du Monde, mais c’est à peu près tout”, reconnaît Eric Schonbrodt.

Certains observateurs des médias vont cependant plus loin dans la réflexion “Nethys ne va certainement pas dévoiler son jeu pour le moment, note un expert des médias. Mais il se pourrait bien que le groupe liégeois étoffe son pôle médias dans le sud-est français dans l’hypothèse d’un rapprochement futur avec Rossel. Les deux groupes belges pourraient en effet, à l’avenir, faire alliance et proposer, ensemble, une offre enrichie de presse régionale et nationale, tant en Belgique qu’en France, qui pourrait aussi passer par des plateformes de distribution digitale et par la télévision. La stratégie de Nethys est pour l’instant opaque, certes, mais elle peut se révéler à terme visionnaire, qui sait ?”

4. Comment Stéphane Moreau est-il devenu empereur de l’ombre à Liège ?

Il était expérimenté, Et savait que la méfiance Est mère de la sûreté. (Le Chat et un vieux Rat)

Stéphane Moreau, CEO de Nethys. C'est en véritable capitaine d'industrie qu'il meène son entreprise qui est pourtant publique.
Stéphane Moreau, CEO de Nethys. C’est en véritable capitaine d’industrie qu’il meène son entreprise qui est pourtant publique.© Victoria Dessart/Belgaimage

En 1999, le PS propose à Stéphane Moreau une place éligible sur les listes électorales. S’il accepte, il sera député. Il refuse. Il préfère prendre la direction de l’intercommunale liégeoise s’occupant des services d’incendie. “Ce jour-là, il choisit l’ombre à la lumière. Sa carrière politique se fera dans les rouages de l’économie liégeoise”, pointe le journaliste François Brabant, auteur du livre L’histoire secrète du PS liégeois. Ce choix a deux avantages : il évite de s’attaquer frontalement à la forte concurrence politique locale, tout en mettant la main sur des leviers de pouvoir qui s’avéreront bien plus rémunérateurs qu’un mandat politique.

Les dessous du scandale Publifin: 10 questions qui dérangent
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Propulsé par son mentor Michel Daerden, le jeune loup enchaîne les missions en principauté (Ville de Liège, Palais des Congrès, Halle des Foires, etc.). Partout où il passe, il doit rationaliser et maîtriser les coûts de structures publiques rétives au changement. “Certains l’accusent d’avoir une vision trop libérale, de vouloir tuer le service public. D’autres défendent son entreprise de modernisation”, explique François Brabant.

Lorsqu’il prend la tête de l’ALE, l’intercommunale d’électricité, Stéphane Moreau met la main sur l’outil public idéal pour étendre son pouvoir à Liège. Son projet : la création d’un pôle d’activités censé dynamiser le bassin économique local, durement touché par l’effondrement de la sidérurgie. Cela tombe bien, ce rêve trotte dans la tête de nombreux politiques liégeois – tous bords confondus – depuis des décennies. C’est donc avec la bénédiction des édiles locaux que Stéphane Moreau entreprend de créer Tecteo, Nethys, Publifin et toutes leurs ramifications publiques et privées.Affaibli par des problèmes de santé, Stéphane Moreau, qui refuse depuis des années de s’exprimer sur son projet industriel et vient d’abandonner le maïorat d’Ans, s’apprête aujourd’hui à rendre des comptes. Fidèle à sa réputation, il défendra chèrement sa peau.

5. Les holdings publics sont-ils hors de contrôle ?

Ainsi certaines gens, faisant les empressés, S’introduisent dans les affaires : Ils font partout les nécessaires, Et, partout importuns, devraient être chassés. (Le Coche et la Mouche)

Les dessous du scandale Publifin: 10 questions qui dérangent
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Le groupe Nethys est caractérisé par une structure complexe mêlant intérêts publics et activités privées. Cet enchevêtrement de sociétés, où l’on retrouve une vingtaine de filiales qui possèdent elles-mêmes des dizaines de sous-filiales, est chapeauté par une coupole, la désormais célèbre Publifin. C’est l’intercommunale “historique”, détenue par la Province de Liège, une septantaine de communes principalement liégeoises et la Région wallonne.

Publifin a adopté le statut de société coopérative, l’une des deux formes, avec la société anonyme, que peut prendre une intercommunale. C’est en fait un holding public, qui sert de coupole aux activités opérationnelles du groupe Nethys, réparties dans différentes filiales : Resa (gaz et électricité), L’Avenir (presse), Voo (télécom, activité intégrée dans Nethys SA), etc. Entre les deux se trouve un obscur véhicule, Finanpart, qui ajoute une couche au mille-feuille.

Le montage est alambiqué, mais il n’est pas en soi illégal. “Le Code wallon de la démocratie locale permet à toute intercommunale de prendre une participation dans une société privée ou de créer une filiale de droit privé, explique François Tulkens, professeur de droit administratif à Saint-Louis et avocat associé chez Liedekerke. Cette filiale privée devient une entreprise comme une autre, avec pour seule particularité que le bénéficiaire ultime est un pouvoir public. C’est le même principe qui prévaut au niveau fédéral : l’Etat peut avoir une participation dans une entreprise comme Belfius.”

Ce qui surprend chez Nethys, c’est la grande variété des domaines dans lesquels le groupe s’est engagé. Peut-on donc développer n’importe quelle activité économique à partir d’une intercommunale ? “Oui, tant que ces activités sont de nature à poursuivre l’objet social de l’intercommunale, poursuit François Tulkens. Et comme cet objet social peut être défini de manière très large, la marge de manoeuvre est assez importante.” C’est ainsi que Nethys a pu se diversifier dans les télécoms, la presse ou encore l’assurance, mais aussi prendre des participations dans des sociétés à l’étranger, comme dans les quotidiens français Nice-Matin et La Provence. Ce type d’investissement n’est pas interdit a priori.

Par contre, l’action d’une intercommunale est soumise au contrôle de la tutelle régionale. Du moins en théorie, puisque l’intercommunale Publifin est parvenue à y échapper depuis plusieurs années, en raison de son statut particulier, à cheval sur plusieurs régions (les Fourons notamment en sont actionnaires). “Les intercommunales interrégionales ne sont pas suffisamment encadrées et cela a manifestement induit certaines dérives”, souligne Ann Lawrence Durviaux, professeur de droit administratif à l’ULg. Les outils de contrôle existent cependant, observe l’enseignante : “Le droit wallon prévoit notamment la possibilité de nommer des commissaires du gouvernement qui contrôleraient les intercommunales.”

Dans le cas de Publifin, la structure fonctionnait visiblement en roue libre, vu les pratiques récemment dénoncées. Une situation facilitée par le fait que les filiales et sous-filiales d’une intercommunale échappent totalement à la tutelle, celle-ci étant censée être exercée au niveau de la “maison mère”. Cela pourrait changer : le ministre-président wallon Paul Magnette (PS) a exprimé sa volonté de soumettre ces structures en cascade au contrôle public. Ce qui est exactement ce que Stéphane Moreau voulait éviter, pour des raisons d’efficacité et de rapidité de décision.

6. Existe-t-il d’autres Publifin en Wallonie ?

Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés. (Les Animaux malades de la peste)

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Y a-t-il d’autres Publifin ? C’est la question qui hante les responsables wallons. Pour répondre à cette question, nous allons prendre trois points de comparaison .

Primo, la source de financement : le métier de base de la structure de Nethys/Publifin, c’est la distribution de gaz et d’électricité, via la société Resa. Une autre intercommunale wallonne effectue le même métier : Ores, qui couvre 75 % du territoire. La comparaison s’arrête toutefois ici. Pas de société anonyme chez Ores, pas de diversification, pas d’enchevêtrement de filiales. Et bon an mal an, 50 à 80 millions d’euros de dividendes reversés aux communes.

Mais, il y a un mais. Derrière Ores qui exploite les réseaux, il y a Ores Assets qui regroupe huit anciennes intercommunales de distribution de gaz et d’électricité. Pourquoi une fusée à deux étages ? Pas évident de comprendre. Au sein d’Ores Assets, on retrouve des comités de secteur comme chez Nethys. Ils correspondent aux territoires des anciennes intercommunales. Ils disposent, nous dit-on, de vrais pouvoirs décisionnels en matière de tarifs (ils varient d’une zone à l’autre) et d’investissements. Ils devraient disparaître, ou en tout cas voir leurs prérogatives rabotées, d’ici la fin juin. En attendant, Ores dépense 778.000 euros en rémunérations des différents mandats et Ores Assets 689.000.

Secundo, les intercommunales d’intercommunales. On vient de le voir : il y a deux étages à la fusée Ores. Mais il faudrait peut-être en compter un troisième, celui des intercommunales de financement pures. Elles hébergent en effet les participations des communes dans Ores. A l’époque, cette mutualisation a permis de lever, à moindres frais, les fonds nécessaires au rachat des parts d’Engie dans le réseau de distribution. Cette strate est-elle toujours bien indispensable ? Elle facilite la participation communale à d’autres investissements énergétiques, tout en permettant aux communes de négocier des achats groupés de gaz et d’électricité. Mais elle implique des présidents et vice-présidents, ainsi que des dizaines et des dizaines d’administrateurs. La facture s’élève à 300.000 euros annuels en Hainaut, 86.000 à Namur et 83.000 en Brabant wallon. A en croire le rapport annuel, dans le Luxembourg, les administrateurs ne sont pas rémunérés.

Tertio, la constitution en SA : Publifin n’a pas le monopole de l’intercommunale qui crée des filiales sous la forme de société anonyme. L’agence de développement de Wallonie picarde, Ideta, a lancé la SA Elsa en 2008 pour développer une activité de production d’énergie renouvelable. “Cette formule fut choisie pour bien identifier nos activités économiques, et donc taxables, du reste de nos missions, explique le directeur d’Ideta, Pierre Vandewattyne. Ce choix a été approuvé par les conseils des 24 communes membres. Le statut de SA nous permet également de lutter à armes égales avec les autres acteurs du secteur.” Il insiste sur le fait qu’en investissant dans le renouvelable, Ideta ne s’écarte pas de sa mission de base, qui inclut le développement durable. L’essentiel des investissements a d’ailleurs été effectué dans les zones d’activité économique.

Au fil du temps, on assiste cependant à une extension de cette diversification : projet d’usine de biométhanisation avec Engie, réseau de station-service au gaz naturel (avec Engie également) et, plus surprenant, investissement dans l’hydrolien (turbines qui produisent de l’électricité grâce aux courants marins) au large des îles Shetland (Ecosse) avec des partenaires locaux publics et privés. Chaque fois, en créant des filiales d’Elsa et en s’éloignant donc de la capacité de contrôle des communes. Précision importante : les mandats dans les filiales ne sont pas rémunérés et la diversification apporte 6 millions de dividendes supplémentaires aux communes. “Nos activités sont bien cloisonnées, conclut Pierre Vandewattyne. Les bénéfices des investissements dans le renouvelable ne financent pas nos missions opérationnelles mais sont distribués aux communes sous forme de dividendes. Pour l’opérationnel, nous avons sollicité une augmentation des cotisations des communes, justement parce que nous ne voulons pas de vases communicants entre nos secteurs.”

Résumons : Publifin/Nethys n’est pas la seule institution à capitaux publics à avoir créé des comités de secteur, à présenter une organisation reposant sur plusieurs strates, à créer des filiales sous la forme de société anonyme, ni à investir à l’étranger. Mais c’est la seule à cumuler les trois caractéristiques.

7. Le projet industriel de Stéphane Moreau a-t-il sauvé de l’emploi ?

Il faut autant qu’on peut obliger tout le monde On a souvent besoin d’un plus petit que soi. (Le Lion et le Rat)

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C’est l’un des principaux arguments utilisés par les défenseurs du projet Nethys : sans cette méga-structure contrôlée par le public, l’emploi se serait délité dans le bassin économique liégeois. Les édiles liégeois ont piloté ce projet industriel notamment en réaction au cataclysme provoqué par les catastrophes sociales qui ont touché le secteur sidérurgique. D’après Stéphane Moreau, interrogé à ce sujet par Références en septembre dernier, le groupe Nethys occupe aujourd’hui environ 2.600 personnes, ce qui en fait un acteur de poids à Liège.

Difficile cependant d’imaginer que tous ces emplois auraient disparu si les activités n’avaient pas été rassemblées sous la même structure. Le pôle énergétique (Resa) avec ses 700 collaborateurs couvre une activité de distribution de gaz et d’électricité, qui doit de toute façon être assumée par un acteur public. Le pôle média (L’Avenir), qui occupe environ 260 personnes, était rentable avant l’arrivée de Nethys à son capital et n’était pas menacé à court terme par un plan social, même si son ancien propriétaire (Corelio) l’avait mis en vente. Quant au câblo-opérateur Voo, qui occupe 1.200 personnes, il aurait pu fonctionner de manière indépendante ou être racheté par un acteur privé. Dans ce dernier cas, cependant, les partisans du projet industriel Nethys affirment que l’emploi aurait été menacé. L’exemple le plus cité est celui du call center, situé à Herstal et Seraing, où travaillent plus de 400 personnes, principalement des profils faiblement qualifiés. Difficile de savoir quel serait le sort de ce centre d’appels en cas de rachat par le privé. Force est cependant de constater que Voo n’est pas le seul opérateur en Belgique à employer de la main-d’oeuvre locale dans ses call centers. Proximus fait appel à des call centers exclusivement basés en Belgique, ce qui représente environ 2.000 postes de travail. Chez Proximus, un comparatif a été réalisé avec des centres d’appels étrangers : si ceux-ci sont moins chers, ils ne permettent pas d’arriver au même type de contrôle qualité qu’en Belgique, nous explique-t-on. Telenet emploie de son côté 970 personnes dans ses centres d’appel. Une partie de ceux-ci sont situés à l’étranger, mais la majorité des travailleurs sont employés dans un des cinq call centers de l’entreprise implantés en Flandre. Quant à Orange Belgique, ses call centers occupent environ 1.300 personnes, dont 70 % dans notre pays.

8. Ogeo Fund, la soeur de l’ombre

En ce monde il se faut l’un l’autre secourir. (Le Cheval et l’Âne)

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Président du conseil d’administration : André Gilles. Vice-président : Dominique Drion. Administrateur délégué : Stéphane Moreau. On se croirait chez Nethys. Nous sommes chez Ogeo Fund. Ogeo, c’est la jeune soeur discrète de Nethys. Aucun lien capitalistique entre les deux pourtant. Mais le même management et, parfois des projets communs. Car Ogeo Fund, créé en 2007, a les moyens. “A l’époque, Tecteo a décidé d’externaliser la gestion de son fonds de pension en créant Ogeo Fund. C’était une décision de saine gestion”, explique François-Xavier de Donnea, administrateur indépendant du fond.

François-Xavier De Donnea, administrateur indépendant d'Ogeo Fund (MR):
François-Xavier De Donnea, administrateur indépendant d’Ogeo Fund (MR): “A l’époque, Tecteo a décidé d’externaliser la gestion de son fonds de pension en créant Ogeo Fund. C’était une décision de saine gestion.”© Belga

En quelques années, Ogeo a mené une stratégie de développement dépassant largement la gestion des pensions des employés de Nethys, et qui l’a propulsé comme le premier gestionnaire des pensions du premier pilier (gérant les pensions des mandataires de CPAS, de communes, etc.) et comme le cinquième fonds de pension du deuxième pilier, gérant les pensions extralégales de mandataires publics ou parapublics (comme les intercommunales), voire du privé. Un développement qui n’a pas toujours été simple au début (en 2008, le réviseur PwC avait émis des réserves tant sur le financement des engagements que sur la gouvernance) mais qui a néanmoins été spectaculaire. La stratégie s’est inspirée en partie de celle de l’ancienne Smap : Ogeo n’ayant aucun actionnaire à rémunérer, les rendements sont intégralement redistribués et dépassent généralement la moyenne de ceux du secteur. Par ailleurs, Ogeo plutôt que d’investir dans la brique papier investit directement dans les immeubles. Au total, Ogeo gère désormais bien plus d’un milliard d’euros au bénéfice de 4.200 pensionnés actuels ou futurs.

Il n’y a donc pas de lien entre Nethys et Ogeo… Quoique. On retrouve parfois les deux noms en partenariat sur le même dossier.

Ainsi, lorsqu’il a fallu faire offre pour capitaliser l’assureur Integrale, la mise de fonds de 150 millions d’euros a été partagée entre Nethys (90 millions) et Integrale (60 millions). Il y a aussi des coups de main plus discrets. Ainsi, il se dit que les actifs d’Oego Fund ont parfois été mis en gage afin de faciliter le financement d’investissements de Nethys (contacté, Ogeo ne nous a pas répondu).

L’affaire Publifin ne laisse donc pas indifférent chez Ogeo.

“Mon souci, c’est d’éviter que le scandale ne rejaillisse sur les pensionnés, souligne François-Xavier de Donnea, qui insiste : il n’y a pas de problème de gouvernance chez Ogeo.”

9. Ethias et Integrale, sur un même tas de fumier…

Deux coqs vivaient en paix : une poule survint, Et voilà la guerre allumée. (Les deux Coqs)

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“C’est dommage, triste et ridicule.” Pour cet éminent membre de la biosphère politico-économique liégeoise, la concurrence entre Ethias et Integrale, les deux grands assureurs de la Cité ardente, est une hérésie. D’autant que jusqu’à présent, ces groupes sont très complémentaires : Ethias s’est maintenant focalisé sur l’assurance IARD (assurance incendie, auto, accidents, risques divers) alors qu’Integrale gère surtout des assurances de groupe et que son actionnaire, Nethys, avec Ogeo Fund, se développe aussi dans le marché des fonds de pension.

Entre Bernard Thiry, ex-CEO d'Ethias, et Moreau, le courant ne passait pas.
Entre Bernard Thiry, ex-CEO d’Ethias, et Moreau, le courant ne passait pas. © BELGAIMAGE

Pourtant, entre Ethias et Integrale, on joue à “je t’aime, moi non plus”. D’un côté, les deux assureurs se retrouvent actionnaires dans la même société (chez EDF Luminus, dans la société informatique NRB, etc.) et ne rechignent pas à s’épauler en cas de coup dur. Lorsque la Commission européenne a validé la recapitalisation d’Ethias par l’Etat fédéral et les Régions en 2008, elle a exigé qu’Ethias cesse l’assurance-vie pour particulier. C’est alors Integrale qui a repris une partie des contrats First d’Ethias. A l’inverse, quand Integrale a dû renforcer son fonds de garantie en 2015 pour le faire passer de 30 à 60 millions, Ethias et l’assureur mutualiste français MGEN ont répondu présents…

Mais les relations semblent s’être tendues lorsque fin 2015-début 2016, Integrale, poussé par la Banque nationale, a été obligé d’abandonner son statut de CCA (caisse commune d’assurance, sans capital social) pour devenir une société anonyme. Integrale a donc cherché des actionnaires et deux offres concurrentes lui ont été faites, l’une par Ethias, l’autre par Nethys et Ogeo Fund. “Nethys l’a emporté : son offre était meilleure et Integrale désirait à tout prix garder son indépendance managériale”, déclare un proche du dossier.

Le passage d’Integrale sous la coupe de Nethys a envenimé les relations, d’autant qu’entre Stéphane Moreau et le patron d’Ethias Bernard Thiry, le courant ne passait pas. “A Liège, Bernard Thiry était considéré comme un homme de Di Rupo”, dit une source. Et cela, ça ne pardonne pas.

Aujourd’hui, Bernard Thiry a démissionné, mais il reste encore une cause de friction, économique celle-là : la concurrence. Active dans un marché de l’assurance-vie qui est devenu de moins en moins rentable en raison de la baisse des taux, Integrale travaille depuis quelques mois à s’étendre dans l’IARD, et donc à marcher sur les plates-bandes d’Ethias. “Aujourd’hui, Ethias et Nethys/ Integrale, c’est un peu deux coqs sur le même tas de fumier” résume un administrateur d’un des deux assureurs.

10. Publifin risque-t-il un jour d’éclater ?

Est-ce assez ? dites-moi ; n’y suis-je point encore ? Nenni. M’y voici donc ? Point du tout. M’y voilà ? Vous n’en approchez point. La chétive Pécore S’enfla si bien qu’elle creva. (La Grenouille qui se veut faire aussi grosse que le Boeuf)

Les dessous du scandale Publifin: 10 questions qui dérangent
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Depuis des années, le gouvernement wallon admet que le costume d’intercommunale est devenu “trop étriqué” pour un groupe comme Nethys. Mais, pour autant, il n’a jamais vraiment cherché à lui en confectionner un autre. Aujourd’hui que le scandale a éclaté, pourrait-on réaliser sereinement ce nouveau costume moins étriqué et s’en satisfaire ?

Nethys, Publifin, Ogeo Fund, tout cela sent aujourd’hui le souffre. Et cela risque de se répercuter sur le sort de futurs partenariats, rachats ou autres investissements. L’administrateur indépendant de Nethys Philippe Delaunois (ex-Cockerill-Sambre) veut éviter que la tourmente qui entoure le holding Publifin ne se propage à toute la structure : “Il y a des problèmes chez Publifin concernant les rémunérations de certains mandataires publics : la gouvernance va devoir évoluer. Mais je peux vous assurer que Nethys est un groupe sérieux, qui dégage des bénéfices, qui verse des dividendes à ses actionnaires, et qui a une bonne réputation sur les marchés financiers”, assure Philippe Delaunois.

FRÉDÉRIC DAERDEN, DÉPUTÉ-BOURGMESTRE DE HERSTAL (PS) Ce n'est pas à une société anonyme de décider si les communes doivent investir dans tel ou tel secteur. Il faut sortir de cette logique de gestion privée avec des deniers publics.
FRÉDÉRIC DAERDEN, DÉPUTÉ-BOURGMESTRE DE HERSTAL (PS) Ce n’est pas à une société anonyme de décider si les communes doivent investir dans tel ou tel secteur. Il faut sortir de cette logique de gestion privée avec des deniers publics.© BELGIAN_FREELANCE

Les informations de ces dernières semaines ont créé un dommage de réputation et de confiance pour Nethys, qui risque de nuire à sa capacité de développement.

Or, dans le monde politique wallon, personne ne veut prendre le risque de voir le groupe s’effondrer comme un château de cartes, même si rien ne permet d’affirmer que le rachat des actifs par Telenet, Proximus, Rossel ou d’autres se solderait par de sanglantes délocalisations et restructurations. En outre, Resa resterait toujours profitable pour les communes.

Comment régler donc dans l’urgence le sort de Nethys ? Le ministre-président Paul Magnette (PS) qualifie le groupe de “mouton à cinq pattes”, ni tout à fait intercommunale ni tout à fait entreprise privée. Il suggère de le faire évoluer vers le statut d’entreprise publique, à l’image d’Elia et Fluxys, chargées du transport de l’électricité et du gaz. Avec une différence de taille : ces entreprises restent cantonnées dans leur mission énergétique de base et ne se développent pas tous azimuts. Le ministre de l’Economie Jean-Claude Marcourt (PS) prend en compte cet aspect holding et se dit prêt, pour le maintenir, à envisager l’arrivée de partenaires privés voire une introduction en Bourse (partielle). Dans un cas comme dans l’autre, Stéphane Moreau serait arrivé à ses fins : grandir, grandir et grandir encore en flirtant avec les règles pour au final obtenir le changement de ces règles, décidément bien contraignantes. Un joli signal envoyé à tous les gestionnaires publics, n’est-ce pas ?

Tout en applaudissant l’initiative industrielle publique, le député-bourgmestre d’Herstal, Frédéric Daerden (PS), tient à préserver la notion d’intérêt communal. “Les prises de participation dans des secteurs porteurs pour la région, pour moi, ça a du sens, dit-il. Mais cela relève de la supracommunalité, pas d’une société anonyme. Ce n’est pas à une société anonyme de décider si les communes doivent investir dans tel ou tel secteur. Il faut sortir de cette logique de gestion privée avec des deniers publics. Cela va peut-être – je dis bien peut-être – restreindre la capacité d’action du groupe mais cela me paraît indispensable pour conforter la structure et son avenir. Une structure ne résiste au temps que si elle est transparente et contrôlée. Sans instance de contrôle, on va inévitablement vers les dérives.”

Que va donc devenir Publifin ? Une société privée cotée en Bourse ? Une société publique à l’actionnariat élargi ? Une société démantelée ? Une chose est certaine, l’animal hybride d’aujourd’hui, tenant à la fois de l’intercommunale et de la société anonyme, vit ses derniers moments.

Publifin-Nethys, l’hydre de Liège
Les dessous du scandale Publifin: 10 questions qui dérangent
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L’intercommunale Publifin (SCRL) est le holding faîtier du groupe industriel Nethys, par l’intermédiaire du véhicule Finanpart. C’est chez Nethys (SA) que sont logées les activités opérationnelles du groupe. Celles-ci sont assurées soit au sein de Nethys même (c’est le cas de l’activité de câblo-distribution sous la marque Voo), soit via une des filiales de Nethys. Nous avons choisi dans cette infographie de nous limiter aux activités les plus emblématiques de Nethys : l’énergie, les télécoms, les médias et l’IT. Le groupe est également actif dans l’assurance (via Integrale notamment) et possède 24 participations directes et près de 200 participations indirectes dans des structures publiques ou privées (EDF Luminus, Aéroport de Liège, Socofe, Nice-Matin, etc.).

Nous avons demandé à Pascal Flisch, business development manager chez Roularta Business Information, d’analyser les chiffres du groupe Nethys : “S’il est bien une chose qu’on ne pourra pas reprocher au management du groupe, c’est d’être de mauvais gestionnaires, souligne-t-il. Au niveau consolidé, Publifin a réalisé un chiffre d’affaires de 996,28 millions d’euros en 2015 pour un bénéfice de 72,89 millions, ce qui représente une fort belle rentabilité de 7,32 %. La moitié du bénéfice est généreusement distribuée aux actionnaires, soit 37,25 millions d’euros. Mais le groupe investit beaucoup et le cash-flow net, soit la réelle valeur ajoutée créée, se monte en fait à 240,33 millions. La rentabilité réelle est donc de 24,12 %, soit un retour sur fonds propres de 10,85 %. Globalement, l’argent reste dans le groupe et est réinvesti. Cela crée un cercle vertueux d’efficacité financière, qui allège le poids de la fiscalité (isoc) à un modeste 10,54 % réel.”

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