Pourquoi le paiement mobile peine à décoller

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Payer avec son smartphone ? L’idée est belle, mais elle n’a pas encore rencontré le succès escompté aux caisses des magasins. Beaucoup d’initiatives ont été abandonnées. Cette hécatombe ne décourage pas les projets car le marché du paiement électronique sera bientôt libéralisé. Bancontact Mobile et Payconiq espèrent s’imposer. Ils ne sont pas les seuls.

Voici plus de 10 ans que le paiement mobile est annoncé comme l’innovation financière du futur. Cela paraît évident : tout le monde, ou presque, a un GSM dans la poche. Mais jusqu’ici aucune initiative n’a vraiment décollé. Hormis quelques applications de niches, pour payer un ticket de bus ou de parking, les systèmes de paiement mobile à grande échelle ont échoué. Worldline (ex-Banksys) ferme le service m-Banxafe. Proximus (ex-Belgacom) a revendu PingPing. Et dernièrement, le projet Sixdots a été stoppé comme application de paiement.

Des ” nécrologies ” discrètes

” Il y a eu beaucoup d’annonces, des lancements en fanfare, et des nécrologies discrètes “, ironise Peter Haegeman, spécialiste des paiements chez Comeos. ” Les commerçants sont réticents à accepter de nouveaux systèmes de paiement qui ne comptent pas un minimum d’utilisateurs “, analyse Kris De Rijck, CEO de Bancontact. C’est l’éternel problème de l’oeuf et de la poule… Un nouveau système de paiement se doit d’avoir une grosse machine commerciale et des moyens pour tenir des années avant de devenir viable. Il doit aussi apporter un avantage pour le commerçant comme pour le particulier. Or, ce n’est pas encore le cas. ” On doit se poser la question de l’intérêt du paiement mobile pour le commerçant, précise Peter Haegeman. Ce n’est pas toujours évident : le commerçant doit s’équiper. Pour la grande distribution, le paiement mobile peut poser des problèmes de ralentissement aux caisses : il faut sortir son smartphone, mettre en route l’application, effectuer la transaction… Cela peut prendre plus de temps qu’un paiement par carte. Alors, quel est l’intérêt ? ”

Les commerçants se sont habitués au système de paiement Bancontact par carte, qui est devenu très rapide. Et qui s’accélère encore avec l’arrivée des cartes sans contact, qu’il ne faut plus insérer dans le terminal mais juste l’en approcher…

L’exemple d’Internet

Kris De Rijck, CEO de Bancontact :
Kris De Rijck, CEO de Bancontact : “les commerçants sont réticents à accepter de nouveaux systèmes qui ne comptent pas un minimum d’utilisateurs.”© PG

Ces considérations expliquent les divers échecs et abandons. Parfois, une technique est devenue obsolète, comme M-Banxafe, conçue avant le développement du smartphone et qui utilisait un module de paiement mémorisé sur la carte Sim, alors que l’évolution vers le smartphone permet d’aller plus loin avec des applications. Des alliances stratégiques ont parfois échoué, comme celle que Proximus (au temps de Belgacom) espérait signer avec les banques du pays pour faire de PingPing un moyen de paiement mobile national. Des changements stratégiques sont aussi à l’origine de l’arrêt de Sixdots en tant que mode de paiement mobile : la technologie va être reconvertie en application d’identification sécurisée.

L’abondance des projets s’explique par la rentabilité que peut afficher un système de paiement populaire. Une fois bien accepté et répandu, le système génère de belles commissions et devient une formidable vache à lait, avec des économies d’échelle énormes. Dans les années 1990, l’apparition d’internet avait aussi donné naissance à des dizaines de nouveaux systèmes de paiement en ligne… disparus pour la plupart. Les gagnants ont été des acteurs historiques du paiement : Visa, Mastercard, American Express. Et un petit nouveau, PayPal, qui fait lui-même appel à des transactions sur cartes.

Ce précédent donne espoir à Ban-contact de rafler la mise avec son service Bancontact Mobile lancé en 2014. Bancontact est de loin le premier système de paiement électronique utilisé en Belgique, avec 15 millions de cartes en circulation et 1,3 milliard de transactions en 2015. Il appartient à Belfius, KBC, ING, BNP Paribas Fortis et AXA Banque.

Les espoirs de Bancontact Mobile

Bancontact Mobile est basé sur une application (IOS ou Android) déjà téléchargée 700.000 fois et fonctionne aussi avec les applis spécifiques des banques (trois millions de téléchargements). Mais si l’on se limite aux points de vente physiques, le succès est pour le moment très décevant, car pour payer, l’opération s’avère plus compliquée qu’il n’y paraît : après que le smartphone a ” lu ” le code QR affiché sur le terminal Bancontact du commerçant, le client doit encore taper son code secret. L’opération est donc plus longue qu’une transaction par carte et ralentit les caisses.

” Bancontact Mobile a surtout du succès pour les paiements sur internet, concède Kris De Rijck. Car il fonctionne aussi en lisant un QR Code affiché sur l’écran de votre ordinateur. Vous n’avez alors plus besoin d’utiliser un lecteur de carte personnel pour sécuriser la transaction. ” Dans ce cas-ci, le smartphone remplace donc le lecteur de carte personnel, un objet que la plupart d’entre nous laissent à la maison ou au bureau.

Le service Bancontact Mobile devrait aider Bancontact à augmenter sa part de marché, déjà grande, dans les achats en ligne en Belgique. Selon l’association Becommerce, cette part a représenté 44 % des transactions au troisième trimestre 2016 et est encore en progression. Bancontact a ainsi attiré des clients hors de nos frontières. Notamment le néerlandais Bol.com, très actif dans le nord du pays, et qui accepte désormais les paiements Bancontact Mobile. Mais pas encore Amazon qui, hélas, reste encore insensible aux charmes du système.

Malgré les perspectives encourageantes, le volume des transactions reste encore modeste : 10.000 à 12.000 transactions par jour (décembre 2016), soit environ 4 millions de transactions en base annuelle… largement moins de 1 % du total des paiements par carte Bancontact.

Dans les années 1990, l’apparition d’internet avait donné naissance à des dizaines de nouveaux systèmes de payement en ligne… disparus pour la plupart.

Pour les achats en magasin, Bancontact Mobile, en principe accepté par 16.000 commerces, est encore handicapé par l’approche ” QR code “, mais l’application pourra bientôt accepter les paiements via la puce NFC que contiennent certains smartphones (paiement sans contact). Cela ne changera sans doute pas grand-chose par rapport aux paiements déjà réalisés avec une carte sans contact.

ING, KBC et Belfius tentent Payconiq

La dernière initiative du monde bancaire est le système Payconiq lancé en mai par ING, et rejoint ensuite par KBC et Belfius. Il touche plus de 6.000 commerçants, mais encore aucune grande chaîne de supermarchés. Cela peut paraître singulier car ING, KBC et Belfius sont tous les trois actionnaires de Bancontact et semblent ainsi se faire concurrence à eux-mêmes.

Payconiq est en fait une opération destinée à occuper le terrain en attendant la mise en vigueur d’une directive européenne sur les paiements en 2018. Cette directive devrait encourager l’arrivée d’acteurs non bancaires dans le monde du paiement en leur facilitant l’accès aux informations des comptes bancaires, élément indispensable pour autoriser une opération. L’objectif de la Commission européenne est de dynamiser la concurrence dans les paiements, un marché où les grands systèmes bancaires nationaux (Bancontact en Belgique, Carte Bancaire en France) et surtout internationaux (Visa et MasterCard) restent largement dominants.

Le système Payconiq fonctionne sur le schéma de ce futur dispositif de paiement allégé. Une transaction Payconiq organise juste un virement d’un compte à un autre. Elle ne passe pas, comme les paiements par cartes (Bancontact, Visa, etc.) par un acquirer, une société intermédiaire qui gère la transaction. L’opération devrait donc être moins chère à organiser. Pour séduire les commerçants, Payconiq a adopté un tarif voisin de celui de Bancontact (6 centimes par transaction et pas de frais d’abonnement) et ne prend pas de commission lors des transactions entre particuliers. Autre appât : la gestion d’un programme de fidélité appelé Joyn.

Payconiq. Le système a séduit 6000 commerçants mais aucun grand distributeur.
Payconiq. Le système a séduit 6000 commerçants mais aucun grand distributeur.© PG

Payconiq n’a encore attiré aucun grand distributeur. Ce sont plutôt des petits commerces ou des professions libérales (médecins) qui acceptent les transactions. ” Nous sommes en discussion avec de grandes chaînes de magasins. Il faut des adaptations techniques. Il y aura sans doute des annonces début 2017 “, explique Joeri Lieten, porte-parole de Payconiq. Pour l’heure, il n’y a pas encore de chiffres sur l’utilisation de Payconiq, trop neuf sur le marché.

Un horizon très encombré

A côté de ces initiatives très bancaires, des machines internationales tâtent le marché belge. La société suédoise SEQR propose un système de paiement par application lié à une fonction de fidélité qui permettrait aux utilisateurs de recevoir de 1 % à 3 % de remise, selon le volume des achats. Colruyt accepte ce type de paiement qui reste encore confidentiel en Belgique.

La Belgique, un marché difficile pour Apple Pay
Pourquoi le paiement mobile peine à décoller
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Lancé en 2014 aux Etats-Unis, le payement à l’aide des téléphones iPhone s’est répandu en France, en Suisse, en Espagne, au Royaume-Uni et même en Russie. Le succès rapide outre-Atlantique semblait marquer le début d’une conversion aux payements mobiles. Apple Pay prend pourtant son temps pour venir en Belgique. “Comme Samsung Pay, Apple Pay est en train de scanner les marchés européens, dont la Belgique, pour les analyser et voir quels sont les payements dominants, explique Kris De Rijck, CEO de Bancontact. Il faut comprendre qu’il s’agit d’un wallet (portefeuille, Ndlr). Apple Pay est une autre manière de présenter des payements existants, comme Visa ou MasterCard. Pour les banques, ce n’est donc pas un concurrent, mais un autre moyen de diffuser leurs systèmes de payements. ” Il se peut donc que certaines banques belges acceptent de figurer dans le wallet d’Apple Pay, comme c’est le cas des cartes Visa de la Banque Populaire et de la Caisse d’Epargne en France.

Un obstacle : la commission pour un commerçant

Le grand obstacle est le commerçant : il devra non seulement payer une commission au schéma de payement (Visa, par exemple) mais aussi à Apple pour l’usage du wallet. Ça peut coûter cher. “Apple Pay tourne sur un business model peu approprié au marché européen continental, estime Kris De Rijck. Il convient mieux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, où les commerçants acceptent des cartes plus chères en commission.” Ces commissions plus élevées seront peut-être acceptées par des commerces à forte marge. Pour faire de l’iPhone un système de payement universel, Apple devra accepter une commission réduite et fortaitaire et/ou les schémas de payement devront céder une part de leur commission. Sinon, Apple Pay sera un moyen de payement de niche pour commerces à forte marge.

L’ouverture du marché en 2018 devrait amener de nouveaux acteurs, qui pourraient bien être un Google, un Facebook ou un Ahold Delhaize, ou encore des start-up de la fintech dopées par des fonds de capital à risque. Comme on le voit avec Bancontact Mobile ou Payconiq, les acteurs existants du paiement vont multiplier les initiatives pour montrer qu’ils sont eux aussi très innovants. MasterCard a ainsi sorti un système de paiement par selfies. Une telle inflation d’initiatives risque bien de provoquer la confusion pour les consommateurs et les commerçants. Avec pour résultat que ces derniers pourraient encore longtemps privilégier le paiement classique par carte, considéré comme la méthode la plus simple et la plus rapide pour payer.

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