Présidentielle américaine : Kamala Harris, tiraillée entre sa loyauté et son ambition, va-t-elle remplacer Biden face à Trump ?  

Les vice-présidents sont selon la formule consacrée à "un battement de cœur" de la présidence.

Les appels à la démission de Joe Biden se font de plus en plus pressants. Dans l’hypothèse où il abandonnerait la course à la Maison-Blanche, Kamala Harris, sa vice-présidente, est désormais vue comme une option, si pas la meilleure, pour le remplacer. Analyse avec Alexis Buisson auteur de la biographie “Kamala Harris, l’Héritière” (L’Archipel, 2023).  

Pensez-vous que Kamala Harris pourrait se présenter à la présidence américaine ? 

Oui, c’est tout à fait possible. Kamala Harris serait la mieux placée pour remplacer Joe Biden en cas d’abandon, si l’on en croit les observateurs et certains démocrates. A 59 ans, elle a un parcours impressionnant. Elle a remporté toutes les élections auxquelles elle s’est présentée, sauf une, la primaire démocrate pour la présidentielle de 2020. Bien qu’elle ait dû se retirer avant le premier vote à cause d’une campagne décevante, cela ne diminue en rien ses compétences politiques.  

Quel type d’électorat Kamala Harris attire-t-elle ? 

Kamala Harris a une base de soutien diversifiée. Sa popularité varie au sein du parti démocrate, mais elle a su rallier des soutiens importants grâce à sa ténacité et son engagement.  Elle séduit particulièrement les électeurs progressistes et ceux qui valorisent la diversité et l’inclusion, notamment pour son combat pour l’avortement. Elle s’inscrit davantage que Joe Biden et Donald Trump dans la tendance démographique des États-Unis qui est au métissage et à l’émergence des femmes dans les cercles de pouvoir. Elle parle aussi davantage aux plus jeunes générations.

Le fait d’être une femme de couleur, est -ce un atout ou un inconvénient pour elle ?  

C’est à double tranchant. Être une femme de couleur est un avantage pour Kamala Harris au sein du Parti démocrate, mais un inconvénient au sein de l’opinion de la population dans son ensemble. Un sondage récent de CNN (lire aussi l’encadré ci-dessous) révèle qu’elle score moins bien que Joe Biden chez les hommes, et au sein de l’électorat blanc. Le sexisme et le racisme n’y sont pas pour rien. C’est donc un gros point fort de Donald Trump par rapport à elle. Ce n’est pas un obstacle insurmontable, car elle pourrait aussi avoir un colistier qui est un homme blanc originaire de l’Ouest, par exemple, et qui parle davantage à cet électorat conservateur.  

Quels pourraient être ses plus importants concurrents au sein du parti démocrate ?  

Il y a d’autres démocrates expérimentés qui pourraient reprendre le flambeau si besoin. Les noms des gouverneurs de Californie, Gavin Newsom, le “meilleur ennemi” de Kamala Harris qui a connu une ascension politique parallèle dans le “Golden State”, ainsi que celui du Michigan, Gretchen Whitmer, reviennent souvent. Mais ces options ont plusieurs inconvénients. Le premier est purement logistique. Contrairement à la vice-présidente, ils ne figurent pas sur le “ticket” à l’élection présidentielle actuelle et ne pourront donc pas toucher facilement les fonds levés par la campagne Biden-Harris en cas de retrait. Il leur faudra construire de zéro une infrastructure de collecte d’argent alors que le vote anticipé doit démarrer dès la fin septembre dans certains États.  

Kamala Harris devance ses rivaux démocrates en termes de popularité. Ils n’ont pas le même “name recognition” comme on dit ici, aux États-Unis, c’est-à-dire la même reconnaissance dans l’opinion. Quand on prend l’ensemble des Américains, c’est une autre histoire. Elle a à peu près le même taux de soutien que Joe Biden face à Trump. Et ça, ce n’est pas un avantage assez fort pour faire dire à Biden qu’il doit démissionner. D’un autre côté, écarter Kamala Harris au profit d’autres candidats démocrates pourrait être vu comme un geste “raciste et misogyne”, ce qui irriterait et démotiverait les femmes noires qui sont extrêmement mobilisées pour le parti. 

Pensez-vous que Kamala Harris soit sous-estimée?  

Oui, je pense qu’en tant que femme métisse qui a évolué dans des milieux professionnels masculins et largement blancs toute sa vie, elle a été sous-estimée pendant toute sa carrière, depuis sa première élection comme procureure de district à San Francisco en 2002 face à son bouillonnant ancien patron, Terence Hallinan, jusqu’à la vice-présidence des Etats-Unis. Elle a prouvé à plusieurs reprises qu’elle pouvait surmonter des obstacles importants pour finalement être élue. Elle est une femme politique expérimentée et stratégique.  

Face à Trump, est-ce qu’elle ferait le poids? 

On sait que Kamala Harris score mieux chez les électeurs indépendants que Donald Trump. C’est très important parce que chez les indépendants, il y a beaucoup d’indécis et la campagne est très serrée.  

L’autre atout est qu’elle a été procureure pendant des années, et notamment procureure générale de Californie. De nombreuses personnes au sein du Parti démocrate pensent que face à une personne qui a été condamnée comme Trump, cela peut jouer en sa faveur, parce qu’elle est habituée à appuyer là où ça fait mal. Elle a le sens de l’argumentation pour construire un dossier solide contre quelqu’un. Elle a de bons arguments, beaucoup plus que Joe Biden, qui pendant le débat présidentiel de juin ne semblait pas en mesure de vraiment défendre son bilan et de charger Donald Trump.  

Que disent les sondages ? 

Un sondage de l’institut SSRS pour la chaîne CNN réalisé après le dernier débat opposant Trump à Biden montre que Kamala Harris recueillerait davantage d’opinions favorables face à Donald Trump que le président sortant (45% contre 43% pour Biden, à deux points du milliardaire, à 47%). Elle obtient de meilleurs chiffres que Biden au sein de plusieurs électorats, comme les jeunes, les femmes, les individus non blancs et les indépendants, un groupe clé. Chez ses derniers, où se concentrent les indécis, elle devancerait même Donald Trump d’une courte tête (43 % contre 40 %), alors que Joe Biden est à la traîne (44% contre 34%), rapporte la lettre d’information sur l’élection présidentielle Le Caucus. 

Il y a actuellement beaucoup d’inconnues, expliquez-nous le contexte

Oui, la situation est inédite et remplie d’inconnues. Un président qui n’a jamais été aussi âgé, un autre président qui est condamné, cela ne s’est jamais vu dans l’histoire des États-Unis. Nous naviguons  pour le moment à l’aveugle, car nous ne disposons pas de beaucoup de sondages pour avoir une idée précise de ce qui pourrait se passer. C’est le cas notamment dans les “swing states”, ces états essentiels où se joue la présidentielle américaine.  

Le rôle de vice-président est complexe. Comment Kamala Harris gère-t-elle cette position qui est si proche du pouvoir, mais aussi souvent perçue comme tout aussi éloignée? 

C’est un rôle unique et délicat. Les vice-présidents sont selon la formule consacrée à “un battement de cœur” de la présidence. Ils doivent être prêts à remplacer le président à tout moment. Kamala Harris a d’ailleurs déjà eu une brève expérience de cette immense responsabilité lorsque Joe Biden a subi une anesthésie générale pour une colonoscopie. Pendant environ 90 minutes, elle a été la personne la plus puissante des États-Unis, même si rien de significatif ne s’est passé durant ce court laps de temps. Cela montre à quel point les vice-présidents sont à la fois très proches et éloignés du pouvoir. 

Mais, les vice-présidents qui se présentent à la présidence et qui gagnent l’élection sont assez rares. Quand cela est arrivé aux Etats-Unis, c’était souvent par cas de force majeure comme une maladie ou une démission, et non par la voie des urnes.   

Pensez-vous qu’elle même souhaite réellement devenir présidente, malgré son rôle actuel de vice-présidente qui exige une certaine retenue ? 

C’est une question délicate. Kamala Harris a montré une loyauté et un soutien inébranlable envers Joe Biden durant sa présidence. Elle n’a jamais voulu laisser entendre qu’elle était sa rivale, qu’il y avait des tensions ou qu’elle avait des ambitions personnelles. Cependant, le fait qu’elle ait été candidate aux primaires démocrates montre qu’elle nourrit des ambitions présidentielles. À mon avis, elle n’aurait pas accepté le rôle de vice-présidente si elle n’avait pas toujours ce but en tête. Mon interprétation, c’est qu’elle laisse un peu ses proches et ses alliés faire le sale travail, pour ne pas se mettre à dos son président et paraître comme la traîtresse.  

Kamala Harris a montré une loyauté et un soutien inébranlable envers Joe Biden durant sa présidence.

Quels dossiers pourraient bloquer Kamala Harris dans son ascension à la présidentielle?

Dans son cas, le dossier migratoire pourrait peser lourd. En effet, au début de sa vice-présidence, la Maison-Blanche l’a chargée d’une mission pour travailler sur les “racines” de l’immigration en provenance d’Amérique centrale, un véritable cadeau empoisonné. Après un déplacement mouvementé dans la région, marqué par plusieurs maladresses, elle a mobilisé des acteurs du secteur privé pour accroître les opportunités économiques dans les pays d’émigration, mais force est de constater que cela n’a pas fait une grande différence. Face à l’afflux de migrants en situation irrégulière dans les grandes villes américaines, il faut s’attendre à ce que le camp trumpiste l’attaque sans relâche sur ce sujet. 

Changer de candidat à ce stade, est-ce un pari risqué pour les Démocrates?  

Sur le plan stratégique, changer de candidat à ce stade avancé de la course est risqué, c’est une situation inédite aux Etats-Unis, remplie d’incertitudes. D’autant que l’option Kamala Harris a été peu testée dans les sondages, notamment dans les fameux “swing states”. Rien ne permet donc de prédire à ce stade qu’elle serait en mesure de battre Trump si elle se retrouvait candidate.  

La situation est aussi délicate à gérer pour Kamala Harris. Elle doit en effet trouver le juste milieu entre soutenir “son” président et tracer son propre chemin. C’est l’éternel dilemme des vice-présidents ambitieux. Mais, en public, elle fait bloc avec Joe Biden. Elle a pris sa défense lors de plusieurs interviews depuis son débat catastrophique, y compris celle-ci sur CBS, et s’est affichée à ses côtés lors d’apparitions récentes. 

Joe Biden laissera-t-il la place à sa vice-présidente?

Revenons-en à Joe Biden. Sa santé fragilisée à 81 ans est un grand sujet de préoccupation aux Etats. Les appels à sa démission se multiplient ces derniers jours. Quel impact cela a-t-il sur l’avenir politique de Kamala Harris ? 

La santé de Joe Biden est effectivement une préoccupation majeure. Cependant, il a montré une résilience remarquable tout au long de sa carrière. Il a surmonté de nombreuses tragédies personnelles et des défis politiques. Tant qu’il restera en bonne santé et décidera de se représenter, Kamala Harris devra attendre son tour. C’est vraiment Biden qui détient les clés de son propre avenir et, par extension, de celui de Harris.

Joe Biden déploie actuellement énormément d’énergie pour rester en place, pour essayer de limiter les appels à son remplacement, à 1000 lieues de ce qu’on a pu voir pendant le débat désastreux face à Trump. Il a écrit une lettre aux parlementaires, il a fait un certain nombre d’appels internes aux gouverneurs et aux instances nationales du Parti démocrate,…. Lors de son interview sur ABC News, le vendredi 5 juillet, il a assuré qu’il était le candidat “le plus qualifié” et que seul le “Seigneur Tout Puissant” pouvait le convaincre de renoncer à un second mandat.  Il est vraiment dans une dynamique où il veut rester en place, même s’il y a clairement un camp qui veut le voir partir.  

Biden a encore, pour le moment, des soutiens importants au sein du Parti démocrate et notamment et pas des moindres, celui de Barack Obama. Au bout du compte c’est à lui seul que revient cette lourde décision. On est dans une situation d’attente.  

On est à moins de 5 mois de l’élection. Quels sont les prochains événements clés à surveiller dans le calendrier politique ? Pourrait-il encore y avoir des retournements de situation ?  

Le prochain événement majeur est la convention démocrate qui commencera le 19 août à Chicago. D’ici là, il pourrait encore y avoir des développements importants. Joe Biden a souligné que la priorité est de se concentrer sur la défaite de Donald Trump, ce qui reste le principal objectif du parti. Pour l’instant, presque tous les délégués démocrates ont voté pour Joe Biden pendant les primaires. À ce stade, il n’est pas fantaisiste de supputer que Biden ne sera pas le candidat investi par le Parti démocrate lors de la convention nationale. Avant le mois d’août, il pourrait encore se retirer et appeler ses délégués à voter pour Kamala Harris. Dans ce cas, les délégués voteront pour elle, ce qui serait le scénario le plus clair.

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