Les carburants durables ont-ils un avenir dans le secteur aéronautique ?

Un technicien aéronautique pompe des carburants aéronautiques durables (SAF) pour les avions dans un avion à l'aéroport de Bruxelles, à Zaventem, le 1er janvier 2023. - Belgique OUT (Photo by JAMES ARTHUR GEKIERE / BELGA / AFP) / Belgique OUT (Photo by JAMES ARTHUR GEKIERE/BELGA/AFP via Getty Images)

Les carburants durables, ou Sustainable Aviation Fuels (SAF), se présentent comme une solution prometteuse pour réduire l’empreinte carbone de l’aviation, un secteur responsable d’environ 2,5 % des émissions mondiales. Alors que la demande en transport aérien ne cesse de croître, différentes initiatives sont en cours pour tester et produire ces carburants à grande échelle. Mais, des défis majeurs subsistent, notamment en termes de coûts et de viabilité à long terme.

Le secteur aéronautique est responsable d’environ 2,5 % des émissions mondiales. Il est à la recherche de solutions pour réduire son empreinte carbone, d’autant plus que la flotte mondiale d’avions devrait plus que doubler dans les deux prochaines décennies. Un département spécialisé en carburants durables de l’Université de Sheffield en Grande-Bretagne – le seul du genre du pays- travaille sur cette question en testant et évaluant des carburants durables à petite échelle avant leur production en masse, comme le rapporte la BBC sur son site.

Ces carburants d’aviation durables – ou Sustainable Aviation Fuels – SAF – diffèrent des carburants traditionnels dérivés du pétrole. Ils sont produits à partir de sources renouvelables ou recyclées, comme les huiles de cuisson usagées, des graisses animales, des résidus agricoles, ou encore le dioxyde de carbone capturé, voire même des excréments humains. L’utilisation de SAF permet de réduire les émissions de gaz à effet de serre, car ils n’ajoutent pas de carbone supplémentaire à l’atmosphère, ce qui en fait une alternative plus respectueuse de l’environnement pour l’industrie aéronautique. Les réductions d’émissions rapportées tourne autour de 65% par rapport au carburant d’aviation conventionnel. L’autre avantages des ce carburant “vert” est qu’il ne nécessite aucune mise à jour des infrastructures.

Les défis de l’hydrogène

Bien que des technologies émergentes comme l’hydrogène et l’électrification soient prometteuses, elles posent encore des défis techniques importants et ne seront pas disponibles à grande échelle avant des années. L’hydrogène, par exemple, est volumineux et difficile à stocker en grandes quantités. Il doit être conservé sous forme de gaz hautement comprimé ou de liquide très froid. Pour être durable, il doit être fabriqué de manière « propre », à partir de sources renouvelables et les approvisionnements sont aujourd’hui très limités. Les batteries, quant à elles, sont actuellement très lourdes par rapport à l’énergie qu’elles contiennent.

Fabriqués en laboratoires

En revanche, les carburants durables pour l’aviation peuvent être fabriqués en laboratoire pour avoir les mêmes caractéristiques que les carburants conventionnels dérivés du pétrole brut, de sorte qu’ils peuvent être utilisés dans les avions d’aujourd’hui. « Les technologies sont déjà disponibles et certifiées pour une utilisation dans les avions », confirme pour la BBC  Julie Kitcher, responsable du développement durable chez Airbus.

Toutefois, certains observateurs craignent que cela ne permette pas de fournir tout le carburant dont le marché aura besoin. Certaines matières premières devront aussi être évitées, soit pour prévenir la dégradation de l’environnement, comme la déforestation, soit pour empêcher que des terres nécessaires à la culture de denrées alimentaires ne soient affectées à la production d’énergie. Cependant, la production des SAF est actuellement limitée et coûteuse. Leur coût est un souci, étant trois à cinq fois supérieur à celui du kérosène traditionnel.

Plainte pour Greenwashing

Les organisations environnementales ne sont pas partisanes de ces alternatives au carburant fossile. “Les affirmations selon lesquelles l’utilisation de carburants d’aviation alternatifs est “durable” sont incorrectes sur le plan des faits, donc trompeuses. Ces carburants ne sont pas encore prêts à être commercialisés à large échelle et ne seront pas largement disponibles avant la fin de la prochaine décennie au moins”, nous expliquait Testachats en 2023, à la suite d’une plainte de 22 organisations de consommateurs européennes pour greenwashing visant une série de compagnies aériennes, dont Ryanair et Brussels Airlines. L’organisation de défense des consommateurs dénonçait: “Les carburants alternatifs pour l’aviation ne sont pas durables. Lorsqu’ils brûlent, ils génèrent du CO2 et d’autres substances (la réduction d’émissions est surtout produite par la captation du CO2 dans le processus de production, Ndlr). Si les émissions de CO2 des carburants alternatifs sont inférieures à celles des combustibles fossiles lorsqu’elles sont calculées sur la base du cycle de vie, elles ne sont pas nulles.”

En avril 2023, l’Union européenne a adopté les règles “ReFuel Aviation” prévoyant l’utilisation de SAF dans ses aéroports. Cette législation prévoit une part minimale de 2% de carburants verts en 2025, 6% en 2030, 20% en 2035. Selon les nouvelles règles, les SAF ne dépasseront 50% qu’entre 2045 et 2050. Dans le même temps, les membres de l’Association internationale du transport aérien, qui représente les compagnies aériennes, se sont engagés à atteindre le niveau zéro d’ici à 2050. Certains gains seront réalisés en remplaçant les anciens avions par de nouveaux. Les avions les plus modernes sont de 15 à 30 % plus économes en carburant que leurs prédécesseurs.

Voler avec… des excréments humains

Malgré ces défis, des investissements sont en cours pour augmenter la production et réduire les coûts. Un consortium incluant Airbus et AirFrance-KLM a annoncé un fonds de 200 millions de dollars pour soutenir des projets matures de production de carburants durables. Son concurrent, Boeing, a lancé de son côté un partenariat avec Firefly, une start-up britannique, pour promouvoir une méthode innovante de production de carburant à partir… d’excréments humains. Ce procédé original, développé avec l’Université de Cranfield en Angleterre, permet de créer un biokérosène chimiquement similaire au kérosène utilisé dans les avions, mais sans carbone fossile.

Pour cela, l’équipe fabrique d’abord un liquide ressemblant fortement à de l’huile épaisse, noire et gluante, détaille la BBC. Ensuite, celui-ci est chauffé puis les gaz sont distillés à des températures précises pour donner naissance au biokérosène. Il est chimiquement similaire au kérosène utilisé dans les avions, mais il “ne contient pas de carbone fossile, c’est un carburant sans fossile”, assure le PDG de l’entreprise James Hygate au média britannique.

Encore des efforts

Cependant, pour que l’industrie continue de se développer tout en réduisant son impact environnemental, il faudra aller bien au-delà de ces différentes initiatives estiment les experts. La plupart des compagnies aériennes ont en effet encore un long chemin à parcourir quant à leur utilisation de kérosène durable, ressort-il d’une analyse réalisée récemment par Bloomberg Green. Le service de messagerie allemand DHL Group est le meilleur élève de la classe, avec plus de 3% de carburant durable. Parmi les compagnies aériennes, le groupe Air France-KLM remporte la palme avec 1,1% de kérosène durable. En revanche, les compagnies aériennes américaines, telles que FedEx et United Airlines, sont loin derrière. Selon les chiffres de l’Association internationale du transport aérien (Iata), toutes les compagnies aériennes confondues ont utilisé 0,17% de carburant durable pour leurs flottes en 2023.

Brussels Airlines et Sunweb Group ont conclu au printemps un accord pour l’acquisition d’environ 250 tonnes de carburant d’aviation durable (SAF).

L’Etat belge alloue 2 millions d’euros pour du SAF à Brussels Airport

Le gouvernement belge subventionne les compagnies aériennes opérant à l’aéroport de Bruxelles (passagers ou fret, vols long ou court-courriers) depuis janvier dernier pour les encourager à utiliser du carburant d’aviation durable (SAF), acheminé à l’aéroport via le pipeline souterrain de l’OTAN. Cette initiative, qui couvrira jusqu’à 80 % de la différence de coût avec le carburant fossile, vise à réduire l’empreinte carbone du secteur aérien. Le gouvernement alloue 2 millions d’euros pour cette mesure. Cette aide n’est destinée qu’à l’aéroport de Bruxelles, excluant les autres aéroports belges. Dans ce contexte, Brussels Airlines et Sunweb Group ont conclu au printemps un accord pour l’acquisition d’environ 250 tonnes de carburant d’aviation durable (SAF). Le SAF acheté, provenant du groupe Lufthansa, peut avoir une couverture potentielle jusqu’à 80.000 kilomètres parcourus avec un Airbus A320ceo.

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