Mikael Petitjean (UCLouvain): “On a joué trop longtemps aux apprentis sorciers sur le plan monétaire et budgétaire”

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Sebastien Buron
Sebastien Buron Journaliste Trends-Tendances

L’économiste en chef de Waterloo Asset Management, professeur à l’IESEG School of Management et à l’UCLouvain, analyse la récente crise bancaire. Selon lui, elle est le résultat d’un jeu malsain entre lobbying et instrumentalisation du secteur bancaire.

Le mois de mars 2023 restera dans les annales. Non seulement trois banques américaines sont tombées en quelques jours, mais les faillites de Silicon Valley Bank et de Signature Bank représentent les deuxièmes et troisièmes plus importantes faillites bancaires dans l’histoire des Etats-Unis, derrière celle de Washington Mutual en 2008, qui était intervenue en plein dans la crise financière. Elle avait d’ailleurs commencé par le sauvetage d’une banque anglaise, Northern Rock, en septembre 2007. Cette banque était inconnue du grand public, comme l’étaient les trois banques américaines qui viennent de faire faillite.

Revit-on ce qui s’est passé en 2008 ?

Non. Une crise bancaire n’est pas l’autre. La régulation des banques a évolué dans le bon sens, en veillant notamment à renforcer leurs fonds propres, à mieux contrôler leur dette à court terme, et à augmenter les actifs qui peuvent être rapidement vendus en cas de besoin. Les procédures de démantèlement et de liquidation des banques sont également plus cohérentes qu’auparavant. Cela dit, rien n’est parfait et tout est perfectible.

L’activité bancaire reste une activité intrinsèquement risquée et il existe toujours un risque que les gouvernements, et derrière eux les contribuables, soient de nouveau mis à contribution ?

On ne peut pas l’exclure en effet, car nous n’avons pas encore connu de crise aussi importante que celle de 2007-2009. La procédure à suivre est néanmoins beaucoup plus claire aujourd’hui. Tous les actionnaires, tous les créanciers et tous les gros déposants doivent passer à la caisse avant le contribuable. Une banque mal gérée doit pouvoir être démantelée sans que le contribuable n’y perde le moindre euro. Dans le cas contraire, on aboutit à un capitalisme de connivence où la prise de risque donne lieu à la privatisation des gains quand tout va bien et la socialisation des pertes quand tout va mal.

Cela ne veut pas dire que les enseignements du passé ne sont d’aucune utilité. Les crises bancaires ne reposent-elles pas toujours sur une prise de risque inconsidérée, souvent en lien avec un recours forcené à l’endettement ?

Oui, l’endettement, en particulier à court terme, celui que l’on doit rembourser dans des délais rapides, est à la base de nombreuses crises bancaires. D’ailleurs, l’effet de levier, mesuré par le ratio entre les actifs d’une banque et ses fonds propres, est encore souvent supérieur à dix actuellement. Certains voudraient le voir descendre à trois. Les retraits de dépôts sont aussi au cœur de la faillite de ces trois banques américaines. C’est une autre régularité dans les faillites de banques commerciales. L’utilisation croissante des applications bancaires sur les téléphones mobiles ne contribue certainement pas à faciliter la gestion des dépôts à l’heure actuelle.

Un autre grand enseignement des récents malheurs de la planète finance, n’est-ce pas, une fois de plus, l’instrumentalisation du secteur bancaire et financier par le pouvoir politique ?

Quand le pouvoir politique détient le pouvoir de l’argent, tout devient possible, parfois le meilleur et presque toujours le pire. Cette crise bancaire est le résultat d’un jeu malsain entre lobbying et instrumentalisation du secteur bancaire. La réforme financière du président Donald Trump en 2018, avec l’appui de 33 démocrates, a conduit à un relèvement très significatif du seuil au-delà duquel s’appliquent les principales contraintes réglementaires de la loi Dodd-Frank, votée en 2010. Ce seuil est passé de 50 à 250 milliards de dollars d’actifs. Fin 2022, Silicon Valley Bank et First Republic Bank, une autre banque actuellement en difficultés, étaient respectivement les 16ème et 14ème plus grandes banques commerciales américaines. Cette débâcle aurait pu être évitée si ces banques avaient été soumises aux contraintes de régulation en vigueur avant la réforme de 2018 car les autorités de régulation auraient pu intervenir plus directement.

Tout cela fait étrangement penser à la dérégulation du marché immobilier aux Etats-Unis dès la seconde moitié des années 1990 ?

La responsabilité du pouvoir politique dans la crise de 2007-2009 est immense : les présidents Bill Clinton et George Bush Junior voulaient démocratiser l’accès à la propriété immobilière, quoi qu’il en coûte, à des fins purement électoralistes. Quand le pouvoir politique donne un blanc-seing et qu’il est possible de faire de l’argent très rapidement, il ne faut pas s’étonner que cela dérape tout aussi vite.

Dans le même temps, l’environnement dans lequel évoluent les banques a tout de même sensiblement évolué depuis la débâcle de 2008.

C’est clair. Les banques américaines ne se financent plus à court terme de la même façon, comme elles faisaient à l’époque. Le marché du LIBOR, sur lequel les banques se prêtaient des dollars dans des conditions qui pouvaient rapidement se dégrader, a été remplacé par le marché du SOFR (Secured Overnight Financing Rate), via un taux de financement à un jour sur le marché des opérations de prêts garantis par les titres du Trésor américain. Ce marché est beaucoup plus profond et sécurisé. La Réserve fédérale peut intervenir sur ce marché en cas d’urgence plus efficacement. Dans la zone euro, on a également lancé le €STR (Euro Short-Term Rate), son équivalent.

Les banques commerciales ne détiennent pas non plus les mêmes produits structurés qu’en 2008, dont la valeur était estimée avec beaucoup un degré d’imprécision élevé.

C’est une autre différence notable. Les banques sont actuellement exposées au risque de hausse des taux d’intérêt, qui est un risque classique. Cela vaut bien mieux que d’être exposé au risque de crédit lié au non-remboursement de ménages dont on ne connaît rien et qui sont localisés de l’autre côté de la planète. Il y a avait même des produits synthétiques dont personne ne pouvait véritablement déterminer la valeur fondamentale.

Les bilans bancaires sont donc plus sains qu’il y a quinze ans ?

Les banques détiennent des obligations gouvernementales. Cela ne veut pas dire que c’est la panacée, en particulier quand les taux remontent aussi vite, mais les banques européennes ont une culture mieux établie de couverture contre le risque de taux et de gestion de la maturité de leurs engagements et de leurs actifs. Quand il y a de fortes incertitudes sur le marché bancaire, les investisseurs fuient vers la qualité et les obligations gouvernementales servent de coussin de sécurité dans ces cas-là. C’était exactement l’inverse pour les produits structurés : personne n’en voulait plus.

La rapidité de la hausse des taux d’intérêt reste néanmoins vertigineuse et est difficile à gérer, notamment pour les banques ?

Il faut remonter cinquante ans en arrière pour observer une remontée aussi rapide. On a joué trop longtemps aux apprentis sorciers sur le plan monétaire et budgétaire. Il fallait certes agir en 2008, lors de la crise de la zone euro et de celle du covid, mais adopter des mesures extrêmes «non conventionnelles», qui nous emmènent en «terra incognita», ne devrait jamais durer longtemps. Une erreur lourde de conséquence est de croire que le «quoi qu’il en coûte» nous donne accès à des repas gratuits ad vitam aeternam, que l’argent coule à flots et qu’il est gratuit. Il n’y a aucun repas gratuit dans ce bas monde et, si on vous le promet, fuyez en courant : une crise vous tombera sur la tête tôt ou tard.

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