Une tasse remplie d’idées

Cet homme de coeur a un sourire communicatif et une affection toute particulière pour la couleur. Pourtant, le monde selon l’artiste Pascale Marthine Tayou est tout sauf rose. “Je suis pessimiste, donc je suis optimiste.” Trends Style l’a rencontré à la foire d’art londonienne Frieze le temps d’un café, dans les tasses qu’il a lui-même conçues pour la marque italienne Illy.
Pascale Marthine Tayou a beau avoir dépassé la cinquantaine depuis plusieurs années, il a toujours été en avance sur son temps. Par exemple, dans les années 90, il s’est défait de son prénom Pascal pour devenir Pascale Marthine, dans le simple but de démontrer que le genre de l’artiste d’une oeuvre n’a aucune importance. Il n’a pas peur d’abattre les cloisons. Comme celles entre les différentes disciplines: Pascale Marthine Tayou passe allègrement de la sculpture aux installations, de la vidéo aux dessins ou aux objets, comme les nouveaux services à café de la marque italienne Illy. Il n’est pourtant pas dans ses habitudes de collaborer avec des marques pour des projets commerciaux, même s’il affirme que le monde de l’art est un grand projet commercial. En témoigne la Frieze Art Fair, la plus grande foire d’art moderne de Londres, où nous avons eu la chance de déjeuner avec Pascale Marthine Tayou. “Je vois ce genre de foire comme un grand musée. Il m’est arrivé un jour de me retrouver tout seul dans les allées d’Art Basel, ce qui était fantastique. Mais ne vous y trompez pas: les musées aussi sont des institutions commerciales. L’art n’est pas exempt de mercantilisme, bien au contraire. Je ne pense donc pas qu’il soit correct de qualifier ma collaboration avec Illy de parenthèse commerciale”, dit-il avec un grand sourire. Un sourire qui ne s’estompera à aucun moment au cours des quelques heures que nous passerons ensemble. “Bien sûr, pour les tasses, je projette mon art sur un objet que je n’ai pas créé moi-même. La forme et la production des services à café Illy sont tellement emblématiques qu’il n’est pas question pour moi d’y toucher. Je vois donc cette Art Collection comme une coopération entre moi et Carlo Bach, le directeur créatif d’Illy. Il m’a transmis toutes les possibilités et restrictions et je me suis basé sur celles-ci pour me mettre au travail.”
L’art n’est pas exempt de mercantilisme, bien au contraire. Je ne pense pas qu’il soit correct de qualifier ma collaboration avec Illy de parenthèse commerciale
Des moitiés d’oeufs
Le résultat est un service richement coloré, avec des branches d’où semblent pendre des oeufs et des masques graphiques. “Ceux qui connaissent mon travail savent que j’affectionne la forme des oeufs — l’origine de toute vie — et les masques — le symbole de l’identité. Pour moi, les tasses Illy sont comme des moitiés d’oeufs. Et les oeufs colorés aux branches pourraient aussi être des grains de café. Peu importe quelle était mon inspiration initiale pour cette collection. En tant qu’artiste, je pense qu’il est très important de laisser la place à l’interprétation. Les couleurs sont universelles, tout le monde peut facilement y adhérer.” Ne pas imposer son inspiration ou son interprétation fait également partie de la personnalité de Pascale Marthine Tayou. Même si c’est un excellent narrateur, il préfère se fondre dans le décor. Et où s’installe-t-on quand on n’a pas envie de trop se démarquer sur la scène artistique internationale? Il a essayé Stockholm et Paris, mais a atterri en Belgique il y a plus de dix ans et plus précisément à Gand. “Gand est le centre du monde”, dit l’artiste en riant, mais il le pense vraiment. “D’ici, je peux facilement me rendre partout en Europe, mais au-delà de ça, les Belges ont quelque chose de spécial. Comme moi, ils se mettent souvent en retrait. De plus, le choix de Gand n’était pas une évidence ; on attend d’un artiste qu’il s’installe à Berlin, à Londres ou à New York. Et c’est justement ce qui m’attire.”

Mise en accusation artistique
En plus de Gand, Pascale Marthine Tayou possède également un atelier à Yaoundé, dans son Cameroun natal.
“On n’arrête pas de dire que le monde est devenu pessimiste ces dernières années. Mais c’est dès l’enfance que j’ai découvert que le monde est tout sauf rose. Je ris beaucoup et mon travail est très coloré et optimiste, mais c’est une façon de compenser mon tempérament naturel. Je suis pessimiste, donc je suis optimiste (rires).”
Même si Pascale Marthine Tayou laisse la liberté à tout un chacun d’interpréter son oeuvre, son travail n’est jamais sans engagement. Par exemple, son installation “Plastic Bags” était composée de 15 000 sacs en plastique que des volontaires ont noués les uns aux autres pendant des semaines. Au premier coup d’oeil, les sacs de toutes les couleurs dansent au gré du vent, mais se dessine très vite la mise en accusation de la mondialisation et de la consommation. En 2002, il a participé à Documenta 11 à Kassel et à la Biennale de Sao Paolo. Son travail a également été présenté à la Biennale de Venise en 2005 et 2009. Et en 2015, Bozar a consacré une exposition à Pascale Marthine Tayou. Actuellement, Pascale Marthine Tayou prépare une installation de 12 mètres de long pour “Forever is Now”, une exposition autour des pyramides de Gizeh en Égypte. “L’envergure des installations n’est pas forcément proportionnelle à l’énergie qui y est consacrée ou au message qu’elles véhiculent. Ces petites tasses ont tout autant d’importance qu’une installation gigantesque.”
www.pascalemarthinetayou.com, www.illy.com
Qui est Pascale Marthine Tayou (55 ans)
– Il est né à Nkongsamba, au Cameroun, en 1967
– Il a étudié le droit
– Il enseigne à l’École des Beaux-Arts de Paris
– Il vit à Gand avec son épouse Jo de Visscher et son fils cadet
– Il a ses ateliers à Gand et à Yaoundé (Cameroun), où il retourne de temps en temps
– Il a conçu une Art Collection pour Illy, mais n’adore pas le café
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici