Un problème de luxe : comment les maisons de mode et la fast fashion redéfinissent leur place en 2025
2025 promet d’être une année mouvementée pour la mode. Le secteur du luxe traverse une crise profonde, tandis que Zara et H&M tentent de se réinventer. Sans parler des rotations de personnel à la pelle.
Note éditoriale : Entre-temps, Mathieu Blazy a déjà été nommé nouveau directeur créatif de Chanel. Julian Klausner succédera à Dries Van Noten, et John Galliano a annoncé qu’il quitterait Maison Margiela. Aucun successeur n’a encore été désigné pour lui.
Il n’y a guère de raisons de se réjouir cet hiver, du moins pas dans le secteur du luxe. L’annulation in extrémis du spectaculaire spectacle de lumières que Saks Fifth Avenue organise chaque année dans son flagship store de Manhattan en dit long. C’est « une année difficile pour le secteur du luxe », a déclaré un porte-parole de la chaîne de grands magasins. En d’autres termes : l’heure est aux économies. Par conséquent, en cette période de Noël, les lumières s’éteignent à New York.
Après une décennie de croissance vertigineuse dans le secteur du luxe, les bénéfices dans l’univers de la mode diminuent comme peau de chagrin. Les grands groupes, tels que LVMH et Kering, prévoient peu d’amélioration dans les six mois à venir. Plusieurs raisons expliquent cette morosité, notamment la situation économique incertaine en Chine, 432 Chinois ayant perdu leur statut de milliardaires ces dernières années, et aux États-Unis, où la réélection de Donald Trump pourrait avoir de grosses répercussions sur l’industrie textile. Mais la forte augmentation des prix des produits de luxe est également loin d’être étrangère à cette nouvelle réalité. Certains consommateurs ne peuvent plus suivre, d’autres ne veulent plus suivre. Le système vacille.
Le luxe devient (un peu) moins cher
Les marques de luxe ont-elles été trop gourmandes en décidant d’augmenter leurs prix saison après saison ? Inflation, hausse des prix des matériaux, hausse des coûts de la main-d’œuvre : tout cela est inévitable. Mais un sac à main peut-il vraiment valoir 10 000 euros, ou un million, le prix de ce sac Louis Vuitton très exclusif que Pharrell Williams, star de la pop et directeur artistique des collections masculines de la maison?
Peut-être, comme l’expliquent les cadres de Paris à Milan, suffirait-il de revoir les prix à la baisse et de relancer toute la machine avec des sacs à main moins chers. Burberry est la première grande marque à revoir ses prix en 2025. Bon gré mal gré. L’entreprise britannique a joué dans le segment de la mode de milieu de gamme pendant des décennies. C’était une version européenne de Ralph Lauren, avec des manteaux décents et une ligne abordable à la Polo Ralph Lauren, Thomas Burberry, que l’on pouvait trouver dans presque tous les grands magasins. La collection défilé plus exclusive, Burberry Prorsum, devait surtout alimenter l’image de la marque. Mais cela n’était pas suffisant. Burberry voulait aller plus haut, éventuellement jusqu’à talonner Hermès. Thomas Burberry a été supprimée, tout comme Burberry Brit, une autre ligne abordable. Tous les clients étaient alors censés acheter la collection défilé. Qui est devenue plus chère. Et encore plus chère, et toujours plus chère.
‘Qui pourrait devenir le directeur artistique de ce qui est généralement considéré comme la plus grande marque de luxe au monde ?’
Le hic ? Les consommateurs n’ont jamais vraiment cru au nouveau statut de Burberry. Pour le monde extérieur, Burberry restait une marque de « luxe abordable » et ses prix exorbitants étaient invraisemblables et irresponsables. De plus, la mode défilé de la marque n’a su convaincre qu’un petit groupe de fashionistas fortunés. Le CEO a démissionné il y a quelques mois, après un bilan dramatique. Son successeur, Joshua Schulman, qui vient de l’entreprise américaine Coach, s’efforce aujourd’hui de ramener Burberry plus près de ses racines. Convenable et un peu plus accessible, à tous les égards. Le bon vieux trenchcoat beige et l’écharpe à carreaux Burberry font leur grand retour. Les boutiques se dotent de « scarf bars » et de publicités plus joyeuses. Un nouveau directeur artistique viendra peut-être remplacer Daniel Lee prochainement, qui a pourtant grandi sous les panaches de fumée d’une usine Burberry. Et des économies considérables sont réalisées. Il est peut-être déjà trop tard. Moncler aurait des vues sur Burberry. La fierté britannique se retrouverait alors entre les mains d’un corsaire italien.
Le jeu des chaises musicales n’a pas de fin
Les tensions au sein du secteur se reflètent également dans les nombreuses rotations de personnel récemment. En février 2025, la créatrice Sarah Burton fera ses débuts chez Givenchy lors de la semaine de la mode à Paris. Burton était directrice artistique d’Alexander McQueen depuis le décès de ce dernier. Haider Ackermann débute chez Tom Ford, qui défile dorénavant à Paris. Chez Céline, Michael Rider marche désormais dans les traces de Hedi Slimane, en fonction depuis sept ans. Rider, qui était jusqu’à récemment un illustre inconnu, était directeur artistique de Polo Ralph Lauren jusqu’au début de cette année. Et ce n’est pas tout. Nous attendons toujours l’annonce officielle des nouveaux designers de Dries Van Noten (plus de 70 candidats auraient été interviewés), Chanel et Fendi (les rumeurs misent sur Maria Grazia Chiuri, de Dior, qui voudrait revenir à Rome, ou encore sur Pierpaolo Piccioli, son ancien collaborateur chez Valentino), entre autres.
Et puis il y a les marques qui devraient opérer des changements au sommet. Chez Gucci, où Sabato de Sarno n’a pas pu répondre aux attentes (et où les chiffres sont toujours en chute libre ; la situation est similaire à celle de Burberry, et plus désastreuse encore, car Gucci est une marque bien plus grande), ou chez Maison Margiela, où John Galliano pourrait être remplacé par Glenn Martens. Le très admiré Jonathan Anderson, qui travaille toujours chez Loewe, pourrait bien décrocher un poste dans une maison bien plus importante. Ce qui déclencherait alors un nouveau jeu de chaises musicales (le conditionnel est de fait l’élément clé de ce paragraphe).
L’année 2025 de Chanel
Ce sera également une année riche en rebondissements pour Chanel, qui s’est soudainement vu priver de sa femme de tête en 2024. Virginie Viard, qui avait repris le flambeau de Karl Lagerfeld après avoir été son bras droit pendant de longues années, a tiré sa révérence après 30 ans passés rue Cambon, siège historique de la marque. Son départ était prévisible. Ses collections et ses défilés ne faisant pas la part belle au spectacle (comme si elle avait perdu de vue que le côté spectaculaire était censé cacher le manque de créativité des collections de Lagerfeld à la fin de sa vie) ont été la cible d’une vague de critiques. Le timing était cependant inattendu, d’autant plus que Chanel n’avait pas de successeur prêt à prendre la relève au pied levé. C’est ainsi que pendant des mois, professionnels de la mode en coulisses et fashionistas en ligne se sont livrés à des spéculations et à des commérages. Qui pourrait devenir le directeur artistique de ce qui est généralement considéré comme la plus grande marque de luxe au monde (plus ou moins ex aequo avec Vuitton) ?
Les noms de Hedi Slimane et Jacquemus étaient en tête de liste, bien qu’il ait souvent été noté que Slimane était trop exigeant, et Jacquemus peut-être trop léger. Derrière le choix d’un nouveau directeur artistique se jouerait aussi une bataille interne entre le directeur mode de l’entreprise, Bruno Pavlovsky, qui a travaillé avec Lagerfeld et Viard tout au long de sa carrière, et la CEO Leena Nair, nommée il y a deux ans. Elle souhaite mettre un terme définitif à l’ère Lagerfeld et faire de Chanel une marque plus accessible, plus jeune et plus féminine. Fait intéressant : Chanel a investi dans The Row, la marque de luxe de Mary-Kate et Ashley Olsen, il y a quelques mois.
La mode rapide se transforme
Il y a vingt ans, Karl Lagerfeld a été le premier designer reconnu à concevoir une collection capsule pour une chaîne de mode rapide. À l’époque, c’était un coup d’éclat de la part de H&M.
Plus récemment, le groupe suédois, qui possède également des marques telles que & Other Stories, COS et Weekday, s’est quelque peu essoufflé, avec des résultats décevants en ligne et la concurrence féroce de combattants des prix chinois tels que Shein et TEMU, qui ont donné un coup d’accélérateur aux formules de mode rapide.
H&M monte désormais en gamme, tout comme Zara. Les chaînes s’orientent davantage vers Uniqlo, qui entretient depuis longtemps d’étroites collaborations avec des designers confirmés (de Jil Sander à Lemaire) et dont Clare Waight Keller vient d’être nommée directrice artistique (encore un revirement à surveiller en 2025). H&M a annoncé il y a quelques semaines une collaboration avec Glenn Martens qui, bien que ponctuelle, se distingue des précédentes collaborations avec des designers (l’avenir nous dira en quel sens). L’entreprise organise également d’immenses fêtes et concerts dans le monde entier avec des stars telles que Troye Sivan, ce qui permet de donner une nouvelle vibe à H&M.
L’évolution vers un « luxe abordable » est particulièrement frappante chez la marque espagnole Zara, fondée en 1975, avec, par exemple, les campagnes pour la collection SRPLS du photographe Craig McDean et du styliste Karl Templer, deux vétérans très respectés dans la sphère de la haute couture. Ou encore avec les récentes collections spéciales de Nanushka et Stefano Pilati. Et le nouveau flagship store de Zara Home, situé à côté du Bon Marché à Paris, qui ressemble davantage à un concept store élégant qu’à un mastodonte typique de la grande distribution.
Il y a quelques années, Zara avait déjà lancé une ligne de parfums avec Jo Malone (la femme, pas la marque de parfum). Et en mars 2024, Guido Palau, l’un des coiffeurs les plus célèbres du secteur du luxe, a lancé une ligne de produits capillaires lors de la semaine de la mode à Paris. Dans des flacons conçus par une autre légende, le directeur artistique Fabien Baron, qui réalise des travaux graphiques pour la chaîne espagnole depuis environ sept ans, et dont la première mission créative à l’époque a été de reprendre le logo de Zara.
La révolution de Zara est menée par Marta Ortega Pérez, la cadette du fondateur, Amancio Ortega. Elle est présidente d’Inditex, le groupe qui chapeaute Zara, depuis 2022. « We don’t want to be fast; we want to be agile and flexible », avait-elle écrit dans le rapport annuel de l’entreprise cette année-là.
Ironiquement, la mode de luxe s’est autant tournée vers Zara et H&M ces 20 dernières années que l’inverse. Tout devait être plus rapide, avec des lancements incessants de produits souvent médiocres et une utilisation à tout va du marketing. Le spectacle plutôt que la substance. En fin de compte, il n’y a plus guère de différence entre le « haut » et le « bas » dans la mode, si ce n’est sur les étiquettes de prix. Mais cette époque est révolue, assure le magnat du luxe Bernard Arnault. Le fondateur de LVMH, qui devait être l’homme le plus riche du monde fin 2023, a déclaré lors d’un discours prononcé à Paris le mois dernier que le secteur du luxe devait moins s’appuyer sur le marketing et le spectacle et se concentrer sur le travail des artisans. L’homme d’affaires avisé le pensait-il vraiment ? Rendez-vous en 2025.
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