Minimaliste dans l’âme. Créateur de bijoux si révolutionnaires qu’aujourd’hui, pour le soixantième anniversaire de la marque, ils restent d’une modernité inégalée. L’intemporelle beauté de Dinh Van.
«C’était ça. J’avais touché le métal et ce fut le début d’une passion. » Jean Dinh Van avait une explication très simple à son talent pour concevoir des bijoux qui repoussent les frontières. Mais chez Dinh Van, presque tout est d’une évidence trompeuse. La simplicité fait presque oublier combien ses créations étaient radicales dans les années 60. À une époque d’abondance et d’ornement, où les colliers sertis de pierres précieuses avaient vocation à rester au coffre, il transforma des objets du quotidien en bijoux : une lame de rasoir, une clé ou une punaise. Fixés, qui plus est, à un cordon banal. « J’ai toujours aimé faire des choses qui n’existaient pas. Pourquoi ? Je l’ignore, cela reste un mystère », disait-il un jour à propos de son perpétuel désir de renouvellement.
La créativité et la rébellion flottaient dans l’air des Sixties. Dans cette ambiance du « tout est possible », Jean Dinh Van remit en question toutes les conventions. Une bague se doit d’être ronde ? Il en créa une superbe, carrée. Et pourquoi cacher un fermoir ?, se demanda-t-il ; avec la collection Serrure, il plaça la serrure au centre, comme élément décoratif et fonctionnel. Bien avant que le mot « inclusivité » ne s’impose, ses bijoux étaient qualifiés d’unisexes. Et avant même que le terme « concept store » n’existe, il décida de vendre ses premières créations au Drugstore Publicis sur les Champs-Élysées, alors restaurant/bureau de presse/boutique cadeau très en vue. Ce qui dominait, c’était sa volonté de démocratiser la beauté et le design.


Les bijoux étaient pour lui bien plus qu’un investissement de prestige en or et diamants. Il estimait qu’un bijou devait faire partie de la vie quotidienne, comme les vêtements et le mobilier, afin de devenir un fragment de votre identité et de votre personnalité. « Un bijou doit être une part de vous-même, il doit vous apporter quelque chose », affirmait-il. Au lieu de pièces uniques et élitistes, il conçut des bijoux qu’il appelait « multiples », reproductibles. « Un bijou n’est une réussite que s’il plaît au plus grand nombre, disait-il. Les formes auxquelles vous croyez doivent être portées par le plus grand nombre. » Il comptait sur chaque client pour se les approprier. « Je crée et je produis, mais ce n’est que la moitié du travail. Le porteur fait le reste. »

Lames de rasoir et clés
Par-dessus tout, Dinh Van resta un artisan. « Il faut d’abord travailler avec les mains, puis avec la tête », tel était son credo. Son ego laissait la place aux collaborations avec des créateurs de mode et des artistes. Son atelier devint une pépinière créative. La légendaire « bague deux perles » anguleuse, il la réalisa avec Cardin. Avec Paco Rabanne, il imagina la double bague, deux anneaux reliés par une chaînette. Avec le sculpteur César Baldaccini, il façonna un pendentif en forme de sein, moulé sur la buste de Trucula Bonbon — quel nom ! — danseuse au Crazy Horse. Mais la vie quotidienne et les objets en apparence banals restèrent sa source majeure d’inspiration. Le rituel de rasage de son père lui révéla la beauté des lames de rasoir. La guerre du Vietnam le poussa à expérimenter avec des plaques d’identité militaires. La clé qu’il utilisait chaque jour et qui tenait si bien dans sa main fut à l’origine de l’iconique collection Menotte. « Chaque jour je pars puis je rentre, et j’utilise cette clé pour entrer chez moi. J’ai soudain pensé que je pouvais faire quelque chose de ce geste et de cette forme. »


Ainsi, des contours simples se chargent d’une dimension émotionnelle, les objets gagnent un second degré et les bijoux glissent vers le contexte quasi magique du talisman. C’est particulièrement perceptible dans son disque Pi, un simple cercle à l’attrait universel. « La création est une forme de révolution », disait Jean Dinh Van. À encadrer et à accrocher. Il a déclenché, il y a soixante ans, une véritable mutation avec la marque Dinh Van, et nous la contemplons encore, ébahis.
par Lene Kemps
Qui est Jean Dinh Van ?
. Jean Dinh Van est né le 3 janvier 1927 à Boulogne-Billancourt, France, d’un père vietnamien et d’une mère française.
. À l’École nationale supérieure des Beaux-Arts à Paris, il suit une formation en design joaillier et orfèvrerie.
. Son père était laqueur chez Cartier. Jean y commence comme apprenti au début des années 50 et évolue en designer/orfèvre.
. En 1965, il fonde sa propre maison, Dinh Van. Une première boutique rue de la Paix, à Paris, ouvre en 1976. Une adresse sur Madison Avenue, à New York, suit un an plus tard.
. Les pièces iconiques s’enchaînent : la bague carrée Deux Perles, les Menottes, les lames de rasoir, les punaises, le disque Pi.
. En 1998, il vend sa marque à un fonds d’investissement.
. Jean Dinh Van décède le 8 avril 2022 à l’âge de 95 ans.
Happy birthday
. Une expo, « Dinh Nan, 60 ans de liberté et de création », qui a eu lieu du 3 au 13 septembre chez Christie’s, à Paris.
. Un livre, Dinh Van, Sculpteur-Joaillier, de Bérénice Geoffroy-Schneiter, chez Flammarion.
. Des collections capsules : nouvelles interprétations des classiques Le Pavé et Serrure.
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