Rêver en grand: Le succès de la MoonSwatch

Le succès de la MoonSwatch se poursuit allègrement. Cela fait pourtant un an déjà que deux marques de montres du Swatch Group — la marque street Swatch et la marque haut de gamme OMEGA — ont lancé la MoonSwatch. Quel est le secret de ce phénomène?

«Depuis plus d’un an, c’est toujours la première question que l’on me pose et c’est une question à laquelle je n’aime pas répondre», nous confie Raynald Aeschlimann. Le CEO d’OMEGA nous accueille au siège de la marque dans la ville suisse bilingue (allemand/français) de Biel/Bienne. Avant qu’un silence gênant n’interrompe la conversation, un sourire se dessine sur son visage. «Ne vous inquiétez pas. Je répondrai à votre question et j’ai le droit de donner cette réponse: OMEGA était impliquée dans la MoonSwatch du début à la fin.»

A SPACE ODYSSEY

Petit retour en arrière. Le 24 mars 2022, les marques de montres Swatch et OMEGA ont lancé la MoonSwatch, une collection de onze modèles colorés évoquant une étoile, une planète ou un satellite, avec le look de l’OMEGA Speedmaster (s’inspirant de la montre portée par Buzz Aldrin, le deuxième homme à mettre le pied sur la lune en 1969), mais fabriquée à partir des matériaux caractéristiques (la biocéramique! ) plus abordables de la Swatch. Pour la modique somme de 250 euros la pièce (l’OMEGA Speedmaster étant généralement au prix de 6700 euros), les montres n’étaient et ne sont disponibles que dans les boutiques Swatch et donc ni en ligne ni dans les boutiques OMEGA.

Jamais un lancement de montre n’a engendré un tel succès de vente dès la première semaine

La MoonSwatch a déclenché une ruée vers les 110 boutiques Swatch sélectionnées dans le monde entier. Des files d’attente ininterrompues se pressaient devant les magasins. Jamais un lancement de montre n’a engendré un tel succès de vente dès la première semaine. En 2022 (en seulement huit mois), plus d’un million d’exemplaires de la MoonSwatch ont été écoulés, ce qui représente 20% du bénéfice total de 1,2 milliard d’euros réalisé par le Swatch Group (auquel appartiennent à la fois Swatch et OMEGA) cette année-là.

Et le succès ne se dément pas. Avec la réouverture du marché chinois, après le blocage en raison de la pandémie, Nick Hayek, CEO de Swatch Group, table sur des ventes totales d’un million et demi d’unités. À court terme!

UNE IMPRESSION DE RARETÉ

Le secret de ce phénomène? On se trompe rarement en évoquant pour réponse le marketing. Restreindre la vente aux seules boutiques Swatch et même pas à toutes, initialement, a suscité une impression de rareté. Dans les premiers temps qui ont suivi le lancement, il fallait parfois attendre des mois avant de réussir à obtenir un exemplaire. Ce qui a fait grimper les prix en flèche sur les plateformes spécialisées, jusqu’à la somme astronomique de 15 000 euros. Phénomène étrange, car la MoonSwatch n’était pas du tout destinée à être une limited edition et ne l’est toujours pas. Et pourtant, la demande reste supérieure à l’offre. La MoonSwatch pérennise d’ores et déjà la devise gravée au dos de la montre: Reach for the Planets, Enjoy the Mission, Dream Big. Les gens se sont laissés emparer par cette folie, ils ne voulaient absolument pas passer à côté de cette montre, alors qu’il suffisait d’être assez patient pour l’obtenir.

Le deuxième secret de ce phénomène? Le secret! Une collaboration entre Swatch et OMEGA avait été annoncée, mais personne ne savait exactement de quoi il en retournait. Le siège de Swatch, avec sa fabuleuse architecture, se trouve derrière la manufacture d’OMEGA à Biel/Bienne. Une passerelle relie les deux bâtiments et seuls quelques cadres privilégiés des deux marques y ont accès. Après enquête, Swatch nous apprend que: «Presque personne ici n’était concrètement informé du projet entre Swatch et OMEGA. Quand la MoonSwatch a été dévoilée, nous étions ébahis.»

Avec un tel éblouissement en interne, on ne s’étonnera pas de l’extraordinaire surprise qu’a suscitée la montre dans le monde. La MoonSwatch a bénéficié d’une exposition maximale.

CHIC ET PAS CHER

Mais vous n’avez pas encore la réponse de Raynald Aeschlimann, le CEO d’OMEGA. Il a pourtant le droit de la donner. «La MoonSwatch est une réussite, car elle respecte l’ADN des deux marques en jeu et ces deux marques ont un respect mutuel. La MoonSwatch était tout sauf une idée commerciale, à la base des pires collaborations. Dans le monde des affaires, 1+1 donne rarement le même résultat qu’en maths. Nous avons transformé deux icônes en une toute nouvelle icône, sans toutefois entacher les deux premières. Loin d’être un amalgame, c’est une coopération dans le vrai sens du terme. Dans ma position, je n’aurais jamais accepté que le look de la Speedmaster ne soit pas respecté au millimètre près. Car dans ce cas, la MoonSwatch aurait eu une influence négative sur la Speedmaster. Elle aurait banalisé l’OMEGA.»

«Chez OMEGA, nous considérons la MoonSwatch avant tout comme un succès de communication. Même si OMEGA est perçue comme une marque de luxe, cette nouvelle montre est la preuve qu’elle n’est pas arrogante. Nous sommes une marque capable d’inspirer tout le monde. Lorsque l’on achète une Speedmaster, ce n’est pas pour bluffer. On achète la montre pour son aspect, son design, son histoire, sa réputation. Le luxe ne se résume pas à des prix moyens de 5 000 euros, le luxe peut aussi être un produit de 250 euros. La MoonSwatch en est la preuve.»

«L’espace, c’est nous, OMEGA. C’est l’histoire que racontent nos montres. Mais comment l’expliquer aux jeunes? Eh bien, la MoonSwatch y parvient parfaitement. Et nous touchons le monde entier. La MoonSwatch a rehaussé l’aspect mythique de la Speedmaster. 2022 était une année record pour la Speedmaster. Et de très loin, car le record précédent a été dépassé de centaines de millions. Les chiffres prouvent à quel point la MoonSwatch met en valeur la Speedmaster. Mais le jeune homme que j’ai rencontré dans une boutique OMEGA le prouve tout autant. Je m’y étais rendu pour une interview et c’était pour lui la première fois qu’il mettait les pieds dans ce genre de boutique. Il m’a dit: «J’ai acheté une MoonSwatch et j’aimerais aujourd’hui savoir combien coûte la Speedmaster, car je me l’offrirai un jour.»

L’horlogerie est une industrie de l’inspiration. Tout le monde n’achètera pas forcément une montre qui vient de sortir. Mais elle sera peut-être vendue plus tard. Nous semons des graines. Nous ne saurons que bien plus tard si elles ont poussé pour devenir un arbre.»

LE CERCUEIL OU LA MINE D’OR

Raynald Aeschlimann ne souhaite ni confirmer ni réfuter une éventuelle suite à la succes story de la MoonSwatch. «La MoonSwatch est une Swatch. Je ne peux parler qu’au nom d’OMEGA.»

Il va sans dire que ce succès donne envie de continuer sur cette voie. Swatch célèbre cette année son 40eanniversaire. D’autres grandes marques constellent le portfolio du Swatch Group: Longines, Tissot, Blancpain, Rado, Hamilton… Et même la célèbre et sacrée marque Breguet. Bien entendu, le légendaire horloger Abraham Louis Breguet (1747-1823) se retournerait dans sa tombe si une BreguetSwatch était lancée sur le marché. Mais quel est le poids de la colère de Breguet dans son cercueil face à cette mine d’or?