La joyeuse entrée des Danois: le Danemark s’est transformé à toute vitesse en pays de la mode du Nord
En juin, Time Magazine a désigné Ganni comme l’une des entreprises les plus influentes de 2023. Ce label de mode danois n’est pas le seul à avoir percé au niveau international. La coolitude de Baum & Pferdgarten, Stine Goya, Cecilie Bahnsen et autres monte en flèche. La durabilité et l’inclusivité portées en étendard par ces créateurs sont tout à leur avantage.
«Ce qui a changé la donne dans notre entreprise? Le jour où Michelle Obama a porté l’une de nos tenues lors de son voyage au Danemark pour promouvoir sa biographie Becoming. C’était en 2019.» Stine Goya exulte. Nous sommes dans les quartiers généraux du label de mode, dans une rue majestueuse de Copenhague, et venons de terminer une interview qui a duré plus d’une heure. Stine doit bientôt se rendre à un autre rendez-vous. Les affaires vont bien pour elle et son mari Thomas Hertz, CEO de l’entreprise. Le chiffre d’affaires de leur ligne de vêtements a augmenté de 37% l’année dernière. «Une augmentation que nous n’atteindrons probablement pas cette année», dit Stine. «Bien que… Nous nous sommes de plus en plus professionnalisés ces cinq dernières années, à tous les niveaux de notre activité. L’équipe est plus concentrée que jamais et les exportations se déroulent de mieux en mieux. L’intérêt pour la marque s’intensifie, en particulier aux États-Unis et au Royaume-Uni. D’ailleurs, nous venons d’ouvrir un nouveau magasin à Londres.» En Belgique aussi, la marque a du succès. Il n’y a pas de boutiques, mais la collection est distribuée par de nombreux magasins multimarques. Ce sont surtout les imprimés flashy, les volumes audacieux et l’approche artistique de Stine Goya qui séduisent les clientes. «J’évite de regarder ce que font les autres ou ce qui est à la mode», déclare Stine. «Il m’est arrivé de trop écouter mon agent italien, ce qui a abouti à la pire saison jamais enregistrée. Non, chaque collection doit être totalement moi.» Un défi qu’elle relève avec brio. Stine a été formé au métier à Londres et a choisi l’option fashion with print au département mode de la célèbre Central Saint Martin’s, où on lui a injecté une énorme dose de créativité. La ville de Londres lui a ouvert les yeux sur la diversité. Lors de son retour à Copenhague, elle s’est lancée dans le journalisme de mode, mais après un an, elle a choisi de créer sa marque de mode. C’était en 2006. C’était malheureusement peu de temps avant la récession de 2008, mais elle y a survécu.
Les créateurs danois n’ont aucun scrupule à rompre avec l’idéal de beauté traditionnel et invitent sur les podiums des mannequins de toutes tailles et de tous âges
Tout le monde veut Ganni
Stine Goya n’est pas la seule créatrice de mode danoise à se targuer d’une renommée internationale. Les exemples abondent. Depuis des années, Henrik Vibskov est une figure emblématique du circuit international de la mode. Il a d’ailleurs été l’un des premiers créateurs de mode danois à organiser un défilé pendant la semaine de la mode à Paris. Le nom de Malene Birger revient aussi régulièrement, même dans notre petit pays. Plus récemment, Ganni et Cecilie Bahnsen sont de beaux exemples de déploiement d’une marque à l’international. Pourtant, les deux labels sont très différents: Ganni est une marque mondiale, présente dans 20 pays et dans 400 boutiques multimarques. Les fondateurs Nicolaj et Ditte Reffstrup ont réussi à propulser en peu de temps une petite marque de cachemire en un label scandinave culte, que le magazine Time a désigné en juin dernier comme l’une des entreprises les plus influentes de 2023. L’année dernière, il était question de revendre le label pour la somme rondelette de 700 millions de dollars, mais cette vente n’a pas (encore) abouti. Depuis 2017, Ganni est détenu à 51% par L Catterton, une société de capital-investissement liée au groupe de luxe LVMH. Presque tout le monde dans le secteur rêve d’une collaboration avec Ganni. La saison dernière, l’enseigne a collaboré avec Ester Manas et cette saison, avec New Balance. Le hashtag #GanniGirls est devenu l’une des communautés en ligne les plus incontournables de ces dernières années, et n’a même pas été lancé par la marque, mais par quelques fans inconditionnels. Le look Ganni est très reconnaissable: les cols d’écolière surdimensionnés, cela vous dit-il quelque chose? Ou peut-être préférez-vous la robe longueur genou, à imprimé animalier bariolé, portée avec des chaussettes et des chaussures pointues à clous?
Couture et bottes
À l’opposé, il y a le style de Cecilie Bahnsen. Ici, on laisse la place aux jabots romantiques et aux étoffes délicates. Le travail de Cecilie est presque de la couture, car tout est confectionné quasi entièrement à la main dans son studio de Copenhague. Pourtant, le look couture n’est pas du tout ce qu’elle recherche: elle porte ses robes légères avec de grosses bottes militaires et refuse l’idée de réserver certaines robes pour les soirées. Cecilie a, elle aussi, étudié à Londres: elle a suivi le master en prêt-à-porter féminin au Royal College of Design et a vécu dans la ville pendant sept ans. Elle a d’abord effectué un stage chez Galliano en tant qu’assistante en conception de motifs, puis travaillé chez Erdem où elle a collaboré à l’élaboration de broderies. «Après cette expérience, je pouvais me mettre à mon compte», dit Cecilie, «mais je ne me voyais pas le faire à Londres. La famille est très importante pour moi. À Londres, je n’aurais pas supporté la frénésie du quotidien. J’ai souvent besoin de silence, je veux prendre le temps de réfléchir.» Depuis un an et demi, Cecilie présente ses collections à la semaine de la mode de Paris, ce qui accroît progressivement sa notoriété internationale, comme en témoigne la présence de ses pièces dans des boutiques cultes comme Dover Street Market.
One day at a time
La marque Baum und Pferdgarten a aussi pignon sur rue. Le label de mode des amies Helle Hestehave et Rikke Baumgarten existe depuis plus de deux décennies, mais ces créatrices se préoccupent moins de l’âge et des générations que du style. Helle adore imaginer des pièces en tricot tandis que Rikke aime dessiner les manteaux et les vestes. Littéralement: elles dessinent en effet vraiment! «Ce monde numérique nous joue parfois des tours», déclare Helle. «On voit et on entend de tout, ça ne s’arrête jamais, pourtant, il faut tracer ses propres lignes. «On oublie presque ce que l’on voulait faire, ce qui, pour les créateurs, complique le respect des deadlines. Il m’arrive donc d’avoir l’angoisse de la page blanche sur laquelle rien ne veut apparaître (rires), mais en même temps, je sais que cela finira par s’arranger. Avec les années, j’ai plus de discipline et quand je suis stressée, je me dis: let’s take it one day at a time. Car nous avons une expérience de 25 ans.» Et on dirait que ça marche!
Quand Baum a été créée en 1998, le paysage de la mode au Danemark était tout à fait différent. «Super boring», disent-elles en cœur. «Nous voulions expérimenter avec les couleurs et les formes. Nous voulions créer des vêtements auxquels les femmes pourraient s’identifier. Cela n’a pas changé.» Helle et Rikke renforcent leurs propos en nous faisant visiter leur tout nouveau flagshipstore au cœur de Copenhague. Il est agencé comme un appartement, avec cuisine, salle de bains et dressing. Précisément cet aspect hygge que l’on attend des Danois, mais un peu plus alternatif que d’habitude. Le secret de leur succès? Elles ne se l’expliquent pas vraiment. «Nous avons fait beaucoup d’erreurs», confie Rikke. «Mais ces premières années ont été un vrai bonheur, car nous avions toujours la chance de réessayer. Et cela a fonctionné. Aujourd’hui, les chiffres ont plus d’importance qu’avant. Et nous devons tenir compte d’énormément de facteurs.» Helle ajoute en murmurant: «La liberté des débuts me manque parfois. Juste créer quelques lovepieces. Ne serait-ce pas encore mieux?»
Ce qui a commencé en 2006 comme une modeste événement de trois jours, snobés par les acteurs importants, s’est transformé en une Fashion Week à part entière
Comme les Belges
Pourquoi la mode danoise connaît-elle un tel essor? On pourrait faire le lien avec les prémices de la mode belge dans les années quatre-vingt. À l’époque, les Belges avaient chacun leur concept, ne regardaient pas ce que faisaient les autres et ont conquis Paris, puis le reste du monde, d’une manière très singulière (sans top-modèles, sans investisseurs, sans trop de stratégie). Le succès des Belges est souvent associé à l’absence d’une histoire de la mode belge (contrairement à Milan ou Paris, qui ont une riche histoire de la mode) et il en va de même pour les Danois. Dans leurs collections, il n’y a pas de style unanime. Il y a quinze ans, d’ailleurs, le paysage de la mode danoise était complètement différent, avec des robes à fleurs simplettes et peu de couleurs, et encore moins d’imprimés bigarrés.
Le secret
Ce qui a certainement contribué au succès des Danois, c’est leur engagement pour la durabilité et l’inclusivité. Les créateurs danois n’ont aucun scrupule à rompre avec l’idéal de beauté traditionnel et invitent sur les podiums des mannequins de toutes tailles et de tous âges. De plus, la durabilité est une priorité pour presque tous les labels. Le fait que Ganni ait été récemment salué par le Time a tout à voir avec le label B Corp (obtenu en 2022). Tout en affirmant que le développement durable et la mode sont diamétralement opposés, les propriétaires de Ganni déploient des efforts pour fabriquer des vêtements plus clean et adopter une approche durable dans toutes les activités de leur entreprise. Avec Ganni Lab, la marque elle-même a créé une plateforme de revente de vêtements Ganni d’occasion. Cecilie Bahnsen, quant à elle, est active sur Nona Source, la plateforme de revente de tissus pilotée par LVMH, qui remet les tissus d’anciennes collections des marques de LVMH sur le marché. Il se peut que cette propension à la durabilité s’inspire du secteur du design danois, qui travaille depuis des années à un design clean et sobre, en tenant compte de la nature, du corps et de l’âme.
La création et le succès de la Copenhagen Fashion Week jouent un rôle dans cette ascension danoise. Ce qui a commencé en 2006 comme un modeste événement de trois jours, snobé par les acteurs importants, s’est transformé en une semaine de la mode à part entière, en présence des grands noms de Vogue, Elle et Harper’s Bazaar, et où les influenceurs du monde entier étalent leurs looks le long du tapis rouge. La CPH Fashion Week ne jure que par la durabilité et l’inclusivité. Une vingtaine de règles à respecter impérativement ont été fixées et elles sont vérifiées pour chaque événement au programme. Parmi celles-ci l’interdiction d’imprimer des invitations physiques et d’utiliser du plastique dans les coulisses. Stine Goya peut en témoigner. «La saison dernière, ils ont trouvé un sachet en plastique sur l’une des costumières. Ce n’était vraiment pas notre meilleur moment (rires).»
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