Design en mer: quelle est la différence entre décorer une maison ou un bateau?
La différence entre l’architecture d’intérieur d’un bateau et celui d’une maison? «Ce sont des différences qui n’en sont pas vraiment», explique Guillaume Rolland, Directeur du Yacht Design chez Liaigre, basé à Paris. Son dernier projet de yacht, le SD118 de 35 mètres, vient d’être lancé en mer. «La seule différence, c’est qu’un bateau est constamment en mouvement, même à quai.»
«Après mes études d’architecture, mes premiers projets étaient des appartements de luxe pour des clients très exigeants. J’ai travaillé pour Philippe Starck pendant trois ans et je m’y suis principalement consacré aux hôtels et, notamment, à la conception du yacht Wedge Too, en 2002. Un peu plus tard, j’ai rejoint le Studio Liaigre.» Il est certain que Guillaume Rolland a des affinités avec l’eau, la navigation est ancrée en lui depuis le berceau et une houle sauvage lui coule dans les veines.
Un bateau comme un film
Le SD118 est le dernier fleuron du Studio Liaigre. Ce yacht de taille moyenne, c’est-à-dire d’une longueur de 35 mètres, offrant 350 mètres carrés d’espace habitable, 5 chambres et 4 ponts, a toutes les caractéristiques d’un grand yacht grâce à l’aménagement raffiné d’espaces de vie somptueux et confortables. Un projet original dicté par les besoins du propriétaire. «C’est toujours le cas», explique Guillaume Rolland, «le pragmatisme qui s’allie à un sens radical de la poésie.»
«L’architecture d’intérieur d’un yacht ou d’une maison est toujours double, ce sont en fait des différences qui n’en sont pas. Un projet pour un grand ou un petit espace, pour un bateau ou une maison, en soi, cela n’a pas vraiment d’importance. Il s’agit de créer des espaces intelligents, des espaces où l’énergie circule. Dans lesquels il y a une logique, un flux logique à la fois efficace et clair.» Guillaume Rolland parle avec une certaine ironie des décorateurs de bateaux: «Nous ne sommes pas des décorateurs, nous repensons tout de A à Z, chaque pièce et chaque porte. Dès le premier rendez-vous, nous chamboulons tout. Cela laisse parfois nos clients interdits, mais ils comprennent, ils voient pourquoi notre approche est différente. Nous créons un business plan pour l’espace, il s’agit de space solving, de résoudre le problème de l’espace, pas de l’habiller ou de le décorer. Il s’agit de créer des perspectives. Il faut y mettre de la poésie d’une part, mais d’autre part, aménager un yacht est un exercice très pragmatique.»
Guillaume Rolland compare la conception d’un yacht à l’écriture d’un film. «Un scénario peut sembler passionnant sur papier, mais le processus technique du tournage — l’éclairage, les accessoires, le son, la musique, etc. — ne doit pas étouffer la poésie. C’est une combinaison subtile, il faut de la magie, de l’alchimie.» On l’oublie parfois dans notre profession aujourd’hui, un design doit toucher le cœur par ses proportions justes, il faut créer une harmonie.»
La personnalité du client
«Les matériaux sont comme les couleurs d’un film, ils teintent le lieu d’une ambiance, ils traduisent la personnalité du client.» Et c’est assez rapide, après deux ans de mise au point du projet, de discussions et de zoom sur les détails du bateau, le choix des matériaux et des couleurs ne prend que quelques heures. «Si l’architecture du yacht est bonne, c’est facile, le matériau apporte la touche finale. Outre la personnalité du client, le choix des matériaux dépend également des destinations de voyage du propriétaire. Les régions arctiques ou méditerranéennes demandent des sensibilités différentes. Un Allemand de Bavière n’aura pas les mêmes souhaits qu’un jeune entrepreneur de Los Angeles.»
La personnalité du client est une chose, les habitudes quotidiennes d’un couple en sont une autre. Pour le SD118, les propriétaires avaient une demande spécifique. L’un des deux partenaires était plutôt du soir et l’autre plutôt du matin, et ce dernier ne souhaitait pas déranger le premier pendant sa grasse matinée… un vrai défi pour l’équipe de Guillaume Rolland. «Mais ce sont précisément ces difficultés qui, en fin de compte, déterminent la beauté d’un projet. La solution a été d’organiser un passage, une passerelle, autour de la chambre des propriétaires. Les différents espaces — la salle de bains, le dressing et le bureau — ont donc été disposés les uns à la suite des autres, de sorte qu’il n’est pas nécessaire de traverser la chambre. «Ce qui en fait forcément un projet asymétrique… et ce n’est pas un problème, mais certains designers sont obsédés par la symétrie, comme si c’était le seul but à atteindre. Il faut plutôt le voir comme un corps humain dont les organes ne sont pas non plus disposés de manière symétrique.»
L’espace de vie aussi est asymétrique. Le salon du SD118 n’est pas agencé de manière classique avec un fauteuil à gauche et un fauteuil à droite pour toujours permettre le passage entre les fauteuils. Le salon est conçu comme une bulle, avec un passage sur le côté. Ce qui donne aussi à la table de la salle à manger une forme asymétrique et organique. «Toutes les formes émanent d’une organisation logique du bateau.»
Dupliquer la mer
En faisant défiler les photos, on constate à quel point Guillaume Rolland est exigeant pour lui-même, pour son équipe, mais surtout pour le design, qu’il pousse jusqu’à l’extrême. «Pour rendre les espaces plus spacieux et plus intéressants, nous utilisons des surfaces laquées brillantes et foncées, par exemple, qui sont réfléchissantes et ajoutent de la perspective. Par des reflets, nous reproduisons en quelque sorte la mer à l’intérieur du yacht. Mais pas à la façon froide et in your face d’un miroir. Le laqué ajoute du mystère, une profondeur nuancée.»
Un peu plus tard, il donne plus d’explications à propos de l’une des chambres d’hôtes avec deux lits à une place. «La tête de lit de l’un des lits est positionnée à l’opposé de la tête de l’autre lit. Ce qui permet aux invités de se voir et de se parler encore un peu avant de se lever ou de se coucher.» Guillaume Rolland veut flatter le regard à tout moment, donner de la subtilité à chaque geste. Autre chose: «La surface au sol de la douche est assez restreinte, mais elle gagne en espace par une base inclinée.» Tout est dans les détails, c’est clair. «Et toutes ces réflexions, le nombre d’impressions que l’on a dans une pièce, les vues qui rehaussent le tout, la création de contrastes… tout commence par le projet.»
«Le temps que nous mettons pour créer un projet? C’est très variable, pour le SD118 un an, un an et demi… Les discussions sur le projet prennent assez peu de temps, quelques jours. Comme le musicien qui dessine la structure d’une composition, ou le scénariste qui écrit le synopsis d’un film, c’est assez rapide. Ensuite, nous nous concentrons sur tous les détails, c’est ce qui prend le plus de temps.» Ces premières esquisses, Guillaume Rolland les trace encore à la main, à l’ancienne. «C’est plus rapide, et les clients adorent, cela leur donne une première impression et la liberté d’en discuter. Nous parlons, tout est encore possible… ce n’est pas gravé dans le marbre.»
www.studioliaigre.com
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici