Le designer Serge Rusak : “Le design ne se limite pas au mobilier”
De retour de ses vacances dans les Pouilles, Serge Rusak, designer belge établi à Paris en charge de la conception des motos électriques Saroléa, a répondu à nos questions autour d’un café sur une terrasse ensoleillée. Parce que le design ne se limite pas au mobilier.
“Le grand public connaît principalement le design à travers le mobilier. Or le design représente une véritable méthodologie qui consiste à concevoir et à fabriquer les objets du quotidien. Il est abusif selon moi d’utiliser le terme comme qualificatif dans des expressions telles que meubles design. Il serait préférable de parler de mobilier contemporain“, lance Serge Rusak (42 ans). “Ce sucrier et tout ce qui nous entoure ont été imaginés par un designer. Il est temps de vulgariser le métier, de casser le mythe des designers stars médiatisés et de sortir les autres de l’ombre”, poursuit-il. Et de se réjouir cependant de compter plusieurs grandes figures en Belgique comme Alain Gilles qui ont gagné leurs galons à l’échelle internationale.
Pouvez-vous résumer votre parcours ?
Serge Rusak : “Après des études en design industriel à l’école supérieure des Arts Saint-Luc à Liège et un stage chez Naos Design avec Damien Bihr, j’ai commencé à travailler sur des projets de mobilité urbaine pour Neerman Consulting à Courtrai. Je me suis ensuite installé comme indépendant en Belgique avant de créer mon agence à Paris. Celle-ci compte aujourd’hui trois à quatre collaborateurs en fonction des projets en cours. Nous sommes actifs dans le design à la fois d’objets et de moyens de transport. Une double casquette assez rare.”
Pourquoi un designer liégeois choisit-il de s’établir à Paris ?
SR : “En réalité, c’est avant tout pour des raisons personnelles que je suis parti à Paris il y a 8 ans. J’en ai fait par la même occasion une opportunité professionnelle. Bien que la Belgique bénéficie d’une certaine notoriété dans le milieu, il est plus facile de parler de design et de rencontrer des gens du milieu à Paris. Cette ville est inspirante H 24. On y trouve toujours quelque chose à voir ou à faire. Je suis Belge mais c’est dans la capitale française que je me sens désormais chez moi.”
Il est temps de sortir les designers de l’ombre
Pourriez-vous décrire votre studio ?
SR : “Je travaille à quatre minutes à pied de mon appartement dans le quartier de Montmartre. Une situation idéale qui m’évite de devoir prendre les transports en commun. Mon studio est lumineux et contemporain. Le plancher contraste avec les murs et le plafond recouverts de béton lissé. Je partage cet open space avec un bureau d’architecture, ce qui m’offre la chance d’être entouré de professionnels qui appartiennent à un univers connexe tout en ayant des points de vue quelque peu différents. Nos échanges sont très enrichissants.”
Quels sont vos projets en cours ?
SR : “Tout d’abord, nos projets pour Saroléa – une marque de motos liégeoise mythique qui a été reprise par Bjorn et Torsten Robbens, des jumeaux flamands – mobilisent beaucoup de notre temps. Nous sommes aussi sur le point de terminer un aviron haut de gamme pour Savile, une start-up désireuse d’offrir une expérience différente. Nous travaillons sur un tout premier projet de mobilier de manière officielle pour une maison parisienne. Nous développons également un prototype avec la marbrerie Van Den Weghe. Et nous collaborons à la conception d’un nouveau produit dans le monde médical. Notre travail est donc très varié et c’est précisément ce que je recherche.”
Comment devient-on designer moto ?
SR : “Les projets que je développe pour Saroléa comptent beaucoup à mes yeux car ils réunissent mes deux passions, le design et la moto. Le design est une démarche à part entière. Il ne suffit pas de faire un beau dessin sur papier en espérant que le reste suivra. Il faut s’intéresser aux technologies et aux matériaux pour fabriquer, voire orienter, la conception d’un objet. Le designer moto se situe en quelque sorte à mi-chemin entre l’artiste et l’ingénieur. En associant ces deux spécificités, il obtient des résultats qui tiennent la route. J’ai commencé à travailler il y a vingt ans avec Browning (division civile, sport et chasse de la FN Herstal, NDLR). Il s’agissait déjà d’objets très techniques, proches de ce qui se fait en horlogerie. Derrière ce type de produits se cachent une dimension mécanique et de nombreuses visites en usine, un lieu où je me sens particulièrement bien.”
Pourriez-vous nous parler d’un objet en particulier ?
SR : “Il y a près de trois ans, j’ai créé une table de salle à manger que j’ai exposée à la biennale Intérieur à Courtrai et lors du Uptown Design Tour, un circuit itinérant dédié au design à Bruxelles et initié par Kunty Moureau. C’est un objet qui me tient à coeur car il représente mon premier projet purement personnel en vingt ans de carrière. Il m’a permis d’exprimer et de figer qui j’étais à ce moment-là.”
“Je l’ai baptisée Enoki car son dessin et son architecture sont directement inspirés d’un champignon. Son asymétrie a nécessité un gros challenge en termes de réflexion, de portance, de résistance et d’équilibre. Le côté magique du Corian, un matériau composite minéral développé par DuPont, permet de dissimuler la technicité de l’objet et donne l’impression qu’il est très simple. La partie supérieure est lisse, exception faite de la cuvette douce et flottante qui a été creusée dans la masse de la table pour servir de coupe à fruits. Son pied est décalé. La partie inférieure qu’on discerne par transparence est un jeu de stries qui font écho aux lamelles d’un champignon sous son chapeau. L’aspect tactile du Corian invite à toucher la table. C’est une pièce unique mais elle est disponible en édition sur le site TheArsenale.”
Y a-t-il des éléments typiques qui se retrouvent dans tous les designs Serge Rusak ?
SR : “Les dessins de mes objets sont assez graphiques. Je les exécute jusque dans les moindres détails et ceux-ci ne sont pas toujours perçus. Je joue aussi avec la lumière tout en finesse, comme sur la carrosserie d’une moto. A contrario, j’essaie d’intégrer et de respecter au maximum les valeurs et l’ADN de la marque qui m’emploie pour que ma patte soit quasiment imperceptible.”
“Beaucoup de designers, parfois pour des questions d’égo surdimensionné, tiennent à rendre leurs objets reconnaissables. Mais plonger dans l’héritage de la marque en amont de la création est une partie de mon travail qui m’intéresse beaucoup. Je suis actuellement en contact avec une société dans le cadre d’un projet de poignées de portes. Visiter les ateliers, comprendre leurs méthodes de travail, leurs valeurs et le message qu’ils veulent transmettre à travers leurs produits est passionnant. Cela me semble plus important que ma signature personnelle.”
Chaque nouveau projet prend le pas sur le précédent
Vous enseignez à l’école Rubika à Valenciennes. En quoi le métier de professeur est-il enrichissant ?
SR : “J’assure le suivi de groupes d’étudiants un jour par semaine. Il est très enrichissant de voir à quelle vitesse progresse cette prochaine génération de designers, mais aussi de rester en contact avec la réalité et les toutes dernières nouveautés qui sont leurs sources d’inspiration. C’est là une très belle expérience que je vis depuis une dizaine d’années. Elle m’oblige à restructurer ma façon de travailler pour pouvoir l’expliquer. Je souhaite à tout le monde d’avoir un jour l’occasion d’enseigner. C’est formateur à la fois pour les étudiants et le professeur. Sans parler des retours et de la reconnaissance des étudiants quand cela se passe bien.”
Y a-t-il un objet sur lequel vous n’avez jamais travaillé et que vous adoreriez dessiner ?
SR : “L’un de mes rêves était de dessiner une moto et c’est chose faite. En réalité, chaque nouveau projet prend le pas sur le précédent. Je suis capable de me passionner pour presque n’importe quel objet.”
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