Monsieur Jean Rédélé a vu le jour à Dieppe, dans le nord de la France, il y a tout juste cent ans. Trente-trois ans avant sa marque de voiture, Alpine. Trends Style s’est rendu en Normandie, berceau de la marque française de voitures de sport pour découvrir les raisons de la pérennité de cette formule à succès.
Ce sont souvent des personnages hors du commun qui ont créé les grandes marques automobiles. À l’instar de Lotus, marque fondée par le concepteur et inventeur britannique Colin Chapman, Alpine est inextricablement liée à Jean Rédélé, qui, à 24 ans, pouvait déjà se targuer d’être le plus jeune concessionnaire automobile de France. Mais Jean Rédélé était unique à bien des égards.
Formation accélérée
Né en 1922 dans la ville normande de Dieppe, Jean Rédélé avait d’autres ambitions que de reprendre la concession Renault de son père Émile. Ce dernier avait pourtant été jugé assez bon pour être engagé en tant que monteur par nul autre que Louis Renault en personne, le fondateur de la marque Renault. Émile était le chauffeur du magnat de l’industrie avant de commencer à travailler comme mécanicien pour les sports de compétition. C’est ainsi qu’il s’est retrouvé à Dieppe pour le Grand Prix Automobile de France de 1907. Après la Première Guerre mondiale, il y ouvre un petit garage et une compagnie d’autocars. Jean naît quelques mois plus tard, le 17 mai 1922. Il est en pleine adolescence lorsqu’éclate la Seconde Guerre mondiale et le garage est bombardé en 1941. La famille se débrouille avec les moyens du bord et Jean part suivre une formation accélérée à l’École des hautes études commerciales de Paris dès novembre 1945. Un peu moins d’un an plus tard, il obtient son diplôme avec une mention spéciale pour sa thèse sur sa vision des affaires et la gestion des concessionnaires Renault. Il envoie la thèse à Pierre Dreyfus, le vice-président de Renault, qui l’apprécie tellement qu’il confie la concession Renault de Dieppe à Jean Rédélé plutôt qu’à son père Émile. Outre la vente de la Renault 4 CV, Jean se lance également dans la revente de surplus d’équipements militaires, ce qui lui permet d’affûter ses compétences de vendeur et s’avère être une activité lucrative. Il révèle là son grand talent d’adaptation à toute situation.
Dans l’usine, l’humain et la machine fusionnent dans un ballet parfaitement orchestré
Trouver un nom
Plutôt que de s’engager dans l’achat d’une imposante voiture de luxe américaine ou d’une voiture de sport italienne, Jean préfère courir avec une modeste Renault 4 CV. D’abord au Rallye de Monte-Carlo en 1950, puis au Rallye de Dieppe, qu’il remporte. Fort de ces performances, il demande l’achat d’une 4 CV 1063, destinée à la compétition. Sa plus belle victoire est celle des Milla Miglia en 1952. La 1063 est très rapide, mais onéreuse et rare. Jean Rédélé décide donc de construire lui-même une voiture plus adaptée. “C’est en sillonnant les Alpes avec ma 4 CV que je me suis le plus amusé. J’ai découvert le plaisir de conduire sur les routes de montagne.” Cette déclaration sera déterminante dans le choix du nom de sa propre marque de voiture: “Alpine”.
Cap sur la conduite
En 1952, il rencontre Giovanni Michelotti, un jeune concepteur turinois formé chez le carrossier “Stabilimenti Farina” de Giovanni Farina, frère de Batista “Pinin” Farina, avant de créer son atelier de design en 1949. Jean Rédélé et Giovanni Michelotti partageant le même goût pour l’élégance et l’efficacité, Jean Rédélé ne tarde pas à lui confier la conception d’une voiture de sport reprenant les pièces, la plateforme et la mécanique de la Renault 4 CV, mais nettement plus profilée et, surtout, plus légère. La carrosserie est réalisée en aluminium par les ateliers Allemano et la voiture ne pèse que 550 kilos, soit 60 kilos de moins que la petite Renault en acier. Au lieu de se concentrer sur les pièces détachées, comme la culasse ou l’arbre à cames, qui augmenteraient la puissance du moteur, Jean Rédélé préfère les pièces qui améliorent la conduite. Un choix qui, dès le lancement en 1962 de la “Berlinette”, la mythique Alpine A110 bleue, restera une constante chez Alpine.
Un pur plaisir de conduite
Cependant, le réel succès de l’Alpine A110 n’arrive que vers 1970. Après avoir remporté de nombreux rallyes en France, le bolide obtient également de nombreuses victoires au niveau international. En 1973, l’année du rachat d’Alpine par le Groupe Renault, l’A110 devient la première voiture à remporter le Championnat du monde des rallyes. Pourtant, les jours de gloire prennent fin lorsqu’en 1985, le rideau tombe sur Alpine. S’ensuit une longue période de silence jusqu’à ce que le groupe Renault ressuscite la marque en 2017 avec la A110 Première Édition. L’édition limitée s’inscrit dans la droite ligne de la formule à succès d’antan. Une formule à succès qui semble n’avoir rien à envier au passé et à laquelle nous goûtons lors de notre trajet de Courtrai à Dieppe dans la nouvelle Alpine A110S — avec son Aerokit en fibre de carbone (en option). Aucune faute de performance dans cette voiture de sport avec son moteur 4 cylindres 1,8 litre turbo de 300 ch. Pour un poids de seulement 1 109 kilogrammes, cela fait beaucoup de chevaux, mais ce sont surtout ses dimensions compactes, sa position assise, son comportement souple et sa tenue de route auxquels nous devons ce pur plaisir de conduite.
Un ballet de mécaniciens
Lors de notre visite de l’usine Alpine, nous observons l’alternance entre l’humain et la machine. Un ballet parfaitement orchestré et contrôlé jusque dans les moindres détails. Pour chaque voiture, les pièces sont préparées dans des kits d’assemblage et surveillées par des capteurs qui indiquent au mécanicien dans quel ordre prendre les pièces. S’il ne prend pas la bonne pièce, un signal sonore retentit. Un système qui évite les erreurs de montage. Nous sommes particulièrement impressionnés par le processus d’assemblage par rivets, pour lequel Alpine s’est inspiré de l’aéronautique, et qui permet à la marque d’offrir un excellent rapport qualité-prix au consommateur final. Il y a pas moins de 1 600 rivets dans chaque Alpine. “À la fin de l’assemblage, il ne doit pas rester un seul rivet. “C’est une forme d’autocontrôle, estime Dany Defontaine, responsable de la communication chez Alpine. “Après tout, ce n’est pas Ikea ici.” D’ailleurs, l’assemblage ne nécessite pratiquement aucune machine, ce qui rend le processus ultra-flexible. Dans la longue chaîne de voitures, nous voyons passer une A110 S, mais aussi une somptueuse A110 vert émeraude “Atelier Alpine”, qui fait partie du programme de personnalisation. Chaque couleur d’origine n’est utilisée que pour 110 exemplaires, c’est donc une voiture unique. “Certaines couleurs d’origine de cette gamme sur mesure sont vernies entièrement à la main”, précise Dany Defontaine. Dans l’atelier de contrôle de qualité, l’atelier de “paluchage”, les techniciens passent méticuleusement les mains sur la carrosserie pour trouver la moindre imperfection ou le moindre résidu de poussière provenant du ponçage. Plus loin, deux techniciens de l’atelier de finition premium examinent les automobiles à la loupe dans un immense tunnel lumineux. Ils examinent la couleur et la densité de la peinture, ainsi que la présence éventuelle d’un effet “peau d’orange” dans la finition. Comme l’a dit un jour Bernard Ollivier, directeur général adjoint d’Alpine: “l’usine Alpine, ce sont les petites mains de la haute couture du monde automobile”.
Un avenir électrique
Aujourd’hui, dix-huit Alpine quittent l’usine de Dieppe chaque jour, mais ce chiffre va peut-être augmenter, car Alpine prévoit de lancer trois nouveaux modèles sportifs et purement électriques d’ici 2026: une voiture compacte, un crossover GT et la future remplaçante de l’A110. C’est ici, sur le site de Dieppe, que sera construit le futur crossover GT électrique à partir de 2025. “Et le grand défi est d’ajouter la production de cette voiture électrique à l’usine et de produire 20 000 à 30 000 voitures par an”, nous dit Dany Defontaine. “Ce sera un véritable défi logistique”
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