Søren Lynggaard : « Les montres de luxe suscitent de la jalousie, une oldtimer donne le sourire à tout le monde »
Søren Lynggaard est le PDG d’Ole Lynggaard Copenhagen, une entreprise familiale danoise spécialisée dans la haute joaillerie. En plus de sa passion héritée pour les bijoux, il nourrit une obsession saine pour les voitures de collection.
Contrairement au coronavirus, les connexions vidéo défaillantes n’ont pas encore été éradiquées et cette interview commence donc par un malentendu. Pendant un instant, Søren Lynggaard, qui apparaît souriant à l’écran dans une chemise décontractée, pense que nous, l’équipe de rédaction Trésorerie, voulons savoir ce qu’il fait de son portefeuille d’actions. La réponse du CEO de la plus célèbre maison de joaillerie du Danemark donne immédiatement le ton : « Je n’achète pas d’actions. » Parce que : « C’est terriblement ennuyeux. Combien de personnes se jettent sur leur téléphone le matin pour consulter les cours de la bourse ? Cela me stresserait. Mettre de l’argent dans un objet de spéculations et investir avec pour seul objectif de générer plus de profit, ce n’est pas mon truc. Je préfère les choses tangibles, les choses dont je peux profiter : les vieilles voitures, la jolie maison d’été que nous sommes en train de construire dans le nord de la Suède. Je veux investir dans ce qui me rend heureux. »
La prochaine vague
Après le départ à la retraite d’Ole Lynggaard, pater familias et fondateur de sa marque éponyme, ses enfants Søren et Charlotte ont repris le flambeau en 2003, lui en tant que CEO et elle en tant que directrice artistique. Aujourd’hui, la marque de joaillerie préférée de la famille royale scandinave est connue pour ses bijoux inspirés de la nature, comme « Snakes » et « BoHo », et pour son approche distinctive. Les bijoux Lynggaard sont parfois si vieux jeu qu’ils en deviennent revitalisants. Les marketeurs peuvent danser sur leur tête avec leurs calendriers « saisonniers », les lancements n’ont lieu que lorsque la famille est prête, les dessins étant toujours réalisés à la main par Charlotte et maintenant également par sa fille, Sofia. Dans l’atelier de Hellerup, près de Copenhague, pas de travail rapide et sous-payé, mais plusieurs générations d’orfèvres qualifiés. Même le conglomérat de luxe LVMH est revenu bredouille après s’être proposé comme investisseur potentiel.
L’aversion à investir dans des actions est donc tant soit peu en adéquation avec l’image du chef d’entreprise borné. Bien que ce ne soit plus tout à fait vrai aujourd’hui. Lynggaard nuance : « Nick Jacobsen, kitesurfeur de talent et ancien champion du monde, est un bon ami. Lorsqu’il a lancé sa marque de kitesurf avec Jacobsen Kites récemment, je l’ai aidé. Pour la première fois, j’ai investi dans une autre entreprise, dont je détiens 15 % des actions. » Le kitesurf est l’une de ses passions : « Quand vous volez au-dessus de l’eau, le reste du monde n’existe plus. Vous ne pensez plus qu’à la prochaine vague, au prochain saut, au prochain virage. C’est une passion qui peut être dangereuse si vous voulez qu’elle le soit, mais pour moi, c’est surtout méditatif : j’excelle dans l’art de prendre juste ce qu’il faut de risques. »
Demi-Harley
Il faut dire que ce CEO n’est pas un loup de Wall Street. Il se rapprocherait plutôt de James Bond ou du Batman, pour rester dans l’univers cinématographique, mais nous y reviendrons plus tard. Devant la porte des ateliers se trouve généralement sa « voiture de tous les jours », une Porsche 911 de 1980, avec laquelle il expérimente un maximum de trajets domicile-travail. Lynggaard : « Les voitures m’ont toujours fasciné. Cependant, je n’ai pas grandi dedans ; mon père conduisait des voitures familiales ordinaires. Un de ses amis, par contre, était toujours au volant des éditions spéciales de Porsche et Audi les plus folles : c’est là qu’est née cette passion. »
‘Les montres de luxe suscitent de la jalousie, mais une oldtimer donne le sourire à tout le monde’Søren Lynggaard
Une passion qui s’est par la suite étendue aux motos. Lorsqu’un ami a voulu acheter une Harley Davidson à 18 ans mais qu’il n’en avait pas les moyens, Lynggaard a contribué à hauteur de la moitié : « Pendant des années, nous nous sommes amusés à la démonter. Les gens pensaient que nous avions sans cesse des problèmes tellement nous la bricolions. Lorsque nous avons réalisé que cette moto était trop chère pour nous, même à deux, nous l’avons revendue. Ensuite, j’ai roulé en MG Midget pendant des années, la voiture vintage la moins chère sur le marché. Mais mon rêve ultime a toujours été d’avoir une Morgan Plus 8, une voiture spectaculaire qui, aujourd’hui encore, est fabriquée à la main à Malvern Link, au Royaume-Uni. »
L’histoire s’est alors répétée : « Vers l’âge de 40 ans, j’ai commencé sérieusement les recherches. Je savais que je n’avais pas les moyens d’acheter une Morgan. Lorsque mon père est passé devant mon bureau un jour, je lui ai fait signe : et si nous faisions moitié-moitié ? Nous avons acheté un joli modèle de 1974 avec un moteur V8 de 3,5 litres à bord duquel nous avons parcouru l’Europe, jusqu’à l’usine en Angleterre. Nous l’avons finalement vendue pour acheter une autre Morgan : une voiture déclarée perte totale suite à un accident que nous avons complètement retapée avec un gars que je connais. Si la précédente, avec ses accents noirs et rouges, faisait plutôt penser à The Great Gatsby, celle-ci, en gris mat, semble tout droit sorti de Batman. »
« Conduire une oldtimer, c’est incomparable. Vous avez réellement l’impression de conduire une voiture, tous vos sens sont sollicités : il y a le bruit, il y a les odeurs, et rien n’est automatique. L’expérience est totalement différente de celle que l’on a avec une Tesla ou toute autre voiture bien plus performante. Et contrairement aux montres de luxe avec lesquelles on a peur de se promener dans la rue aujourd’hui, personne ne convoite une oldtimer. Tout le monde aime la regarder, personne n’a envie de la voler. Des personnes âgées aux très jeunes enfants, tout le monde vous salue. C’est charmant. »
Lederhosen
Incapable de définir précisément son style, Lynggaard joue mieux que personne avec les vêtements et les perceptions. Vous avez autant de chances de croiser le CEO en costume, « trois pièces, toujours avec des boutons de manchette », qu’en t-shirt et en short, ou en pantalon de moto. « C’est justement ce que j’aime, envoyer des messages différents au travers de toutes ces tenues. Et je déteste être mal habillé. »
Bien qu’il traverse momentanément une crise vestimentaire : « En été, je ne porte que des chemises et des pantalons en lin, que j’achète souvent chez Lodenfry à Munich. Je les associe à des tongs délicieusement hideuses, au grand désespoir de ma femme. (rires) Mais à l’approche de la saison froide, il est donc temps de passer à autre chose. » Il y a de fortes chances qu’il se rende en Bavière: « Meindl fabrique les meilleurs lederhosen. Les classiques aussi, avec toutes les garnitures, mais j’aime surtout les cardigans en maille et les pantalons en cuir, qui sont plus destinés aux motards. »
Tête de mort
Détail amusant : sa famille a longtemps été exaspérée par sa bague préférée. Une bague qui, contrairement à ce que l’on pourrait supposer de la part du CEO, n’était pas une Ole Lynggaard. Il s’agissait d’une bague en forme de tête de mort que l’atelier avait fabriquée pour lui comme accessoire d’un costume de pirate. « Je la trouvais tellement jolie, et les vacances d’été qui ont suivi ont été si merveilleuses, que la bague est devenue le symbole de tous ces bons souvenirs. »
Résultat : impossible pour lui de s’en séparer. Il raconte en souriant : « C’est sûr, le reste de la famille n’était pas ravie. Ma sœur m’a dit qu’il était impensable que je porte une telle chose. Je lui ai répondu qu’elle pouvait m’en faire une autre mais, et je le savais très bien, elle ne dessine pas de têtes de mort. C’est ainsi que tout le monde a fini par accepter ma bague. »
Du moins pendant un temps. À 50 ans, la sœur de Søren lui a offert une véritable carte au trésor, « avec les bords brûlés et tout », et une pochette en velours : « Oh non, me suis-je dit. Est-ce qu’elle m’a fait une bague avec une tête de mort alors que j’aime tellement la mienne ? Eh bien elle n’aurait pas pu faire mieux : à l’intérieur de la grande bague se cache le diamant de mon grand-père, que mes parents avaient gardé pour moi. Depuis, je ne peux plus m’en séparer : si j’oublie ma bague à la maison, je fais demi-tour. » Et ce n’est pas tout : Charlotte Lynggaard ne dessine toujours pas de têtes de mort, mais les algues autour du crâne ont inspiré la collection BoHo. « En ce sens, je possède le tout premier modèle. »
24 heures de vol
Lynggaard vit pour faire des expériences. « Je ne quitterais jamais ce beau pays qu’est le Danemark, mais j’adore voyager. Lorsqu’une invitation à une fête en Australie arrive dans ma boîte aux lettres, je n’hésite pas une seconde. Certes, c’est un voyage de 24 heures, mais il y a 365 jours dans une année et pour une expérience extraordinaire, cela en vaut la peine. Mais je suis aussi une créature d’habitudes : depuis près de dix ans, ma famille se rend à Tarifa en Espagne pour les vacances, toujours dans le même petit hôtel deux étoiles, avec le même personnel et les mêmes clients. Nous nous y sentons comme à la maison. Il n’y a rien de plus simple et de plus authentique. »
Sa conclusion et son état d’esprit ? « Aujourd’hui, on parle beaucoup d’argent. Évidemment, tout le monde a besoin d’un minimum. Mais au-delà de ça, le surplus ne rend pas plus heureux. Ma sœur et moi partageons cet état d’esprit : nous ne voulons pas avoir la plus grande marque, nous voulons avoir une marque plaisante et authentique. Certains membres du personnel sont avec nous depuis plus de 40 ans, nous connaissons donc vraiment leur vie. Si demain je devais vendre tout ce que je possède, ce ne serait pas la fin du monde. Il faut surtout profiter au maximum du temps que l’on passe sur cette planète, et la famille passe avant tout. »
Par Natalie Helsen images Thomas Iversen
Søren Lynggaard
CEO d’Ole Lynggaard
Né au Danemark
Après 4 ans chez DLF, leader mondial des semences de gazon, débute en ‘94 comme « production manager » chez Ole Lynggaard
Reprend l’entreprise familiale en 2003 avec sa sœur
Père de 3 filles et 1 fils, vit avec sa femme Hanna Lynggaard
Ole Lynggaard compte 160 employés et 200 points de vente dans le monde
En savoir plus
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici