Ils ont le cœur pour l’horeca et la tête pour les chiffres. Grégory Marlier et Thibaut Dieltjens, deux entrepreneurs spécialisés en gastronomie et hospitalité.
Thibaut Dieltjens (27 ans), troisième génération d’entrepreneurs horeca, est responsable marketing pour The Bistro, Cella Restaurant & Bar, Horta Grand Café et Het Pomphuis. « Demain, je pars à Londres, une ville où je puise toujours beaucoup d’énergie et d’inspiration. C’est un voyage d’affaires de trois jours et j’ai réservé huit restaurants. Petit-déj, lunch, dîner. Je veux voir et goûter un maximum. Chaque séjour londonien inclut une visite à The Wolseley, une brasserie iconique qui tourne à plein régime toute la journée. Elle a été développée par le restaurateur Jeremy King, un maître du style grand café. J’ai aussi prévu de visiter ses nouvelles maisons : The Park et Arlington. Qu’est-ce qu’ils font autrement que nous ? Qu’est-ce qu’on peut apprendre ? Qu’est-ce qu’on peut ramener à Anvers ? Car Londres, c’est Londres, évidemment. Le marché y est tellement plus grand. Un concept tendance y est bien plus facile à faire vivre qu’ici. Prenez un restaurant comme Amazonico, un de mes favoris : la cuisine péruvienne fusionnée à la japonaise. Un concept délicieux, mais trop spécifique pour nous. Est-ce une frustration ? Absolument pas. Nous ne sommes peut-être pas les plus rapides à suivre les tendances — la culture cocktail ne s’est vraiment installée que depuis quelques années, le phénomène des rooftops ne perce pas vraiment et ce n’est pas seulement lié au climat —, mais le Belge reconnaît la qualité, apprécie un bon service, cherche l’authenticité. Ce sont de belles valeurs. Et le secteur n’est pas à l’arrêt : l’offre en boissons non alcoolisées a explosé. Le client voyage, a développé un palais plus large, est devenu plus cosmopolite. “On se croirait à Dubaï ou à Ibiza“, disent-ils chez Cella. Ça fait plaisir à entendre. »
Le cœur de l’hospitalité
« L’hospitalité est l’un de mes mots-clés. Je veux que le client vive un moment fantastique. Évidemment, il faut que ce soit bon, c’est essentiel, mais je pense aussi qu’on revient parce qu’on se sent chez soi dans un restaurant, parce que l’accueil a été chaleureux. Nous ne travaillons ni avec des shifts, ni avec des menus fixes. Chez nous, vous arrivez quand ça vous convient, vous restez aussi longtemps que vous voulez et vous choisissez ce que vous mangez. Pour moi, c’est ça, l’essence de l’hospitalité. Cette approche n’est pas possible sans un personnel d’exception, et nous y investissons beaucoup. La personne qui vient à votre table est le premier contact ; le service peut faire ou défaire votre soirée. Nous avons une centaine de personnes en poste fixe. Certains travaillent chez nous depuis avant ma naissance. Le turnover est faible. Deux tiers du personnel chez Horta Grand Café y sont depuis dix ans ou plus. Ils valent de l’or, il faut les choyer. J’aimerais encore davantage de service personnalisé en salle : lever un poisson à table, préparer un steak tartare sur place… Mais dans de grandes maisons comme les nôtres, où il arrive que mille personnes passent le week-end, c’est impossible. Les coûts de personnel représentent déjà environ 40 % du chiffre d’affaires, il y a peu de marge.
‘je pense que l’on revient parce qu’on se sent chez soi dans un restaurant
J’ai étudié les sciences économiques appliquées à l’université. Ce n’est pas une préparation concrète au métier, mais la formation aiguise l’esprit et forge la vision. Je pense qu’il y a encore de la place pour rationaliser et professionnaliser le business. Offrir une belle expérience au client passe avant tout, mais avec les chiffres en tête.
J’ai toujours vu mes grands-parents et mes parents travailler dur. Avec passion et plaisir. La restauration est un secteur très agréable, mais il demande une discipline et un engagement extrêmes. Il ne suffit pas d’assurer une performance top une soirée. La barre doit être haute chaque midi et chaque soir. »

Après une carrière dans l’IT, Grégory Marlier (51 ans) est passionné par l’horeca depuis une dizaine d’années. Il manage une quarantaine d’adresses dans la région bruxelloise, des chaînes comme Woodpecker et Bia Mara aux collaborations avec le chef Sang Hoon Degeimbre. « Comment décrire ma fonction ? Aujourd’hui, je suis cobaye. Le chef Max et Sang ont imaginé de nouveaux plats du midi et je peux les tester. Job fantastique, non ? À côté de ça, je suis manager, investisseur, coach… La question que je pose le plus souvent dans mon travail est : dis-moi comment je peux t’aider au mieux, que puis-je faire pour rendre ton job plus agréable ? Ma mission est de faire en sorte que chacun puisse accomplir sa tâche dans les meilleures conditions.
‘Entre tous les chiffres et analyses, il y a cette magie qui naît quand on se trouve au bon endroit au bon moment’
J’ai un immense respect pour les équipes avec lesquelles je travaille et pour mes partenaires. Je crois à la collaboration en pleine confiance. Ce n’est possible que si l’on partage les mêmes valeurs : humanité, intégrité, honnêteté… Je ne choisis pas des partenaires sur la base de leur CV ou de leur bilan. Bien sûr, je regarde aussi ça, mais je dois surtout sentir l’alignement sur ces valeurs. Je ne pourrais jamais collaborer avec quelqu’un qui sous-paie son personnel et le traite durement. »
Un secteur exigeant
« J’avais déjà fait carrière dans les télécommunications, j’avais géré un hôtel et une salle de fitness quand je me suis demandé ce que je voulais vraiment faire de ma vie. Je gagnais de l’argent, mais je ne travaillais pas par passion. “Pourquoi n’ouvres-tu pas un restaurant ?”, m’ont dit mes amis tout de suite. Ils savaient que j’avais hérité du virus culinaire par mon père et que j’aimais cuisiner et manger. Heureusement, j’ai été assez avisé pour ne pas suivre leur conseil. L’horeca est un secteur très exigeant et il faut que beaucoup de facteurs s’alignent pour faire de votre affaire un succès. Ça sonne romantique, ce petit resto où vous cuisinez pour tous vos amis, mais vous devenez l’esclave de votre travail. À ce moment-là, la chaîne Bia Mara s’est présentée et j’ai pu faire de ma passion culinaire mon métier, mais pas en étant derrière les fourneaux. J’en suis devenu managing partner, avec pour bagage tout ce que j’avais appris sur le plan du business. »
Forger l’esprit du temps
« Je crois beaucoup à l’empathie, à la compréhension des problèmes de vos collaborateurs, à aider quand c’est possible — même financièrement. Je ne suis absolument pas un businessman froid qui coupe toute émotion au travail. Mais j’ai aussi l’œil sur les chiffres. Si les ingrédients d’un plat coûtent si cher qu’il faudrait l’afficher à 70 €, ce n’est pas une bonne idée. Si le loyer d’un emplacement est si élevé qu’il vous coûte une semaine de chiffre, mieux vaut déménager. Votre loyer devrait pouvoir être gagné en une journée. Ici, chez Correspondance (restaurant de Degeimbre à Tour & Taxis, NDLR), je sais exactement combien de clients viennent et à quel moment, afin d’affecter efficacement le personnel et de maîtriser les coûts salariaux. Pour une chaîne comme Bia Mara, qui vit du passage, je calcule combien de passants défilent, quel est leur profil et quelles sont leurs attentes. Quand les données existent, ce serait bête de ne pas les utiliser.
Je travaille dans un secteur magnifique, j’en suis fou. À un moment, on ouvre Fishheads, un stand au Food Market, puis la place petit-déjeuner & brunch Woodpecker, puis Anju, le restaurant coréen de Sang. À chaque ouverture, je suis excité et nerveux, même si je sais que ce sera un succès assuré. Prenez Anju : une cuisine dans l’air du temps, portée par un chef renommé qui y a un lien personnel. C’est une histoire forte. C’est agréable quand ça marche. Entre tous les chiffres et analyses, il y a cette magie qui naît quand on se trouve au bon endroit au bon moment. Vous faites partie des beaux moments que vivent les gens, vous devenez un morceau de l’histoire d’une ville et, parfois, vous forgez un peu aussi l’esprit du temps. Chaque jour, je suis heureux de mon job et des personnes avec qui je travaille. »
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